Genève: Le journal « Vigousse» accusé d’antisémitisme
Un humour « holo-caustique » qui provoque la CICAD
Genève, 2 février 2010 (Apic) Le nouveau périodique satirique romand « Vigousse » serait-il antisémite ? C’est du moins ce qu’a affirmé le 27 janvier 2010 Me Alain Bruno Levy, président de la CICAD (*) à Genève-Palexpo. A l’occasion du vernissage de l’exposition dédiée à la mémoire de l’Holocauste , « Ressentir l’indicible », le président de la CICAD a prononcé une allocution dans laquelle il a accusé le journal de propos antisémites. Eclairage sur l’origine de cette accusation et la prise de position des deux partis.
Lors du vernissage de l’exposition pédagogique sur la shoah – l’extermination des juifs par les nazis – mercredi 27 janvier 2010, le président de la CICAD, Me Alain Bruno Levy, s’est dit, dans son allocution, « révolté » face aux propos antisémites tenus par le nouveau périodique satirique romand « Vigousse ». Non seulement il a dénoncé la comparaison établie dans un de ses articles entre nazis et Israéliens, mais il a également pointé du doigt l’usage du terme de « juiverie » par un des journalistes du périodique à la radio. Le rédacteur en chef de « Vigousse », Thierry Barrigue, et son adjoint, Patrick Nordmann, ont répondu à la CICAD être « consternés » de constater la pratique d’amalgame qu’elle fait entre « l’Etat d’Israel et la religion juive au nom des souffrances passées et des persécutions subies. »
Un nouveau journal satirique
Dans son allocution, Me Alain Bruno Levy qualifie le journal de « soi disant satirique ». « Vigousse », quant à lui, se présente sans détour comme satirique. Petit nouveau au rayon presse, le journal hebdomadaire annonce sur son site qu’il « ne ménagera ni la chèvre ni le chou. »
L’article décrié par la CICAD a paru dans le premier numéro de l’hebdomadaire, le 4 décembre 2009, dans une revue annuelle signée Thierry Meury. Dans la rétrospective du mois de janvier, le journaliste relate la guerre de Gaza – l’opération « Plomb Durci » par Tsahal, l’armée israélienne, en Palestine: « Jamais en retard pour développer le commerce, les Israéliens ont inventé le concept de la guerre Tsahal. Une guerre qui, comme les Allemands savaient le faire à la Belle Epoque, vise avant tout les faibles civils enfermés dans un ghetto, qu’on appelle de nos jours une bande ! (…) Comme quoi, il reste toujours quelque chose quand on a la chance d’avoir de bons professeurs… »
La CICAD, qui s’est dite « outrée » par cet humour, a adressé une lettre au rédacteur en chef de « Vigousse » datée du 10 décembre 2009. L’association y dénonce l’humour et la satire du journal qui « ne peuvent servir de caches misère (sic) à l’antisémitisme » et y compare les Allemands et « ceux qui aujourd’hui lancent des bombes sur les civils israéliens ». Elle en appelle aux excuses de Thierry Meury.
Réponse de « Vigousse »
Au grand étonnement du rédacteur en chef de « Vigousse », sa lettre de réponse, datée du 16 décembre et adressée uniquement à M. Lévy, a été citée par ce dernier devant l’assemblée de 500 personnes présentes au vernissage de l’exposition sur la shoah. Dans cette lettre, Thierry Barrigue et son adjoint Patrick Nordmann ont répondu à l’association être « consternés » de constater la pratique d’amalgame qu’elle fait entre « l’Etat d’Israel et la religion juive au nom des souffrances passées et des persécutions subies ». Ils accusent la CICAD de qualifier d’antisémitisme toute critique de l’Etat d’Israël et l’enjoignent à lire également les attaques du négationnisme rédigées par Thierry Meury en février.
Le rédacteur en chef et caricaturiste, Thierry Barrigue, a déclaré à l’Apic n’avoir aucune raison de s’excuser. Fier de l’éducation anti-raciste et tolérante qu’il a reçue, il dit ne rien avoir contre la CICAD mais éprouver de la colère face au durcissement de sa position. Le rédacteur en chef demande à la CICAD de ne pas se figer sur un seul article et l’exhorte à lire l’entier du journal : « pourquoi ne lisent-ils pas nos prises de position sur l’évêque Williamson, par exemple ? » (l’évêque traditionaliste britannique Richard Williamson avait tenu des propos négationnistes en janvier 2009, ndr.). Thierry Barrigue a mentionné la publication d’une argumentation claire et détaillée (sur le concept, notamment, de « judéo-nazi », sur la condamnation de la politique israélienne par les instances internationales, etc.) dans le 3e numéro de « Vigousse » : il s’étonne n’avoir reçu aucune réponse de la part de la CICAD. Ne refusant pas le débat, il aurait souhaité une réaction de la part de l’association. « Je constate qu’en agissant ainsi, la CICAD se décrédibilise. Ils abîment la cause qu’ils défendent ! », a-t-il poursuivi.
Face à l’absence d’excuses, la CICAD poursuit ses démarches : s’adresser au Conseil suisse de la presse voire aux tribunaux le cas échéant.
L’humour a-t-il des limites ?
Dans l’émission « Médialogues » sur la RSR diffusée jeudi 28 janvier, Me Alain Bruno Levy est revenu sur le débat. Se disant « fervent adepte de l’humour », il a maintenu la présence de frontières à ne pas franchir : « on ne peut pas rire de l’esclavage des Noirs, on ne peut pas rire de la persécution des Juifs dans la Shoah… ». Dans les interdits toujours : on ne peut pas non plus utiliser le terme de « ghettos » pour parler de la position des Palestiniens : « On peut imaginer qu’il y a eu des crimes, qu’il y a des crimes comme dans toute guerre, ce qui ne veut pas dire qu’il y a une forme comparable à la Shoah ». Répondant à Patrick Vallélian dans « L’Hebdo » le 14 janvier, Alain Bruno Levy affirme que les propos de l’humoriste Thierry Meury ne relèvent pas de la liberté d’expression.
Au contraire, Thierry Barrigue a affirmé à l’Apic qu’on peut rire de tout, les juifs ayant eux-mêmes été les premiers à faire de l’humour sur leur sort. « Je ris de l’humanité car je n’ai plus envie d’en pleurer », a déclaré le sexagénaire qui, depuis 36 ans, a autant caricaturé les juifs que les Palestiniens. Dans le conflit israélo-palestinien, le rédacteur de « Vigousse » a même avoué être plutôt « pro-israélien » et détester l’humoriste Dieudonné, connu pour son humour contre les juifs.
La CICAD accuse également « Le Régional »
La CICAD avait également réagi à la publication dans l’hebdomadaire vaudois du 18 novembre 2009, Le Régional, d’un texte signé par la rédactrice en chef, Nina Brissot : «Dans cet ordre d’idée on peut se demander si le lobby juif ne va pas un jour proposer aux enchères les affaires personnelles d’Hitler. La vente pourrait se faire en faveur des déplacés des territoires occupés de Cisjordanie…». Suite à la réaction de la CICAD et de divers lecteurs, l’auteure avait présenté ses excuses dans l’hebdomadaire du 2 décembre 2009, «à toute personne ayant pu être heurtée » par ses propos. LCG
(*) Coordination Intercommunautaire contre l’Antisémitisme et la Diffamation (apic/lcg)