Un Père missionnaire flamand raconte la Bolivie aujourd’hui (251191)

«Un mendiant sur un trône doré»

Anvers, 22novembre(APIC) Le Père Frans Daemen, missionnaire passioniste

flamand et secrétaire de la Commission de l’épiscopat bolivien pour «l’oecuménisme, les rapports avec les non-croyants et la culture», a accordé une

interview sur la situation de la Colombie aujourd’hui. D’après le missionnaire, le mot de l’explorateur allemand, le baron Aleksander von Humbolt,

au siècle dernier, est toujours d’actualité: «La Bolivie est un mendiant

sur un trône doré». Une «richesse exceptionnelle en matière première, n’empêche pas ce pays d’Amérique latine d’être un des pays les plus pauvres du

monde». Le Père Daemens propose son interprétation des faits: «Les explorateurs dépouillent le pays» alors que «peu de Boliviens acceptent d’y investir». Il explique aussi comment les Indiens «n’ont pas dit leur dernier

mot» et pourquoi la théologie de la libération est en perte de vitesse.

Le Père missionnaire ne voit pas comment la situation pourrait changer

de si tôt en Bolivie: «Depuis l’effondrement du communisme et le recul du

socialisme, il n’y a plus de véritable alternative au néo-libéralisme. Le

pays, qui détient le record latino-américain des coups d’Etat en 150 ans

d’indépendance, connaît certes actuellement une certaine stabilité politique».

Cette stabilité politique a un prix, poursuit le missionnaire passioniste: «C’est la disparition de toute opposition. Au gouvernement, les persécutés d’hier partagent le pouvoir avec leurs anciens persécuteurs. Les deux

présidents civils qui se sont succédés, Siles Suavo, Paz Estenssoro et

maintenant Paz Zamora, étaient tous des révolutionnaires de gauche. Ils se

sont alignés sur la politique des Etats-unis. L’ambassadeur américain à la

Paz, est deveu l’homme le plus important du pays, et dans le cadre de la

lutte contre la drogue, il y a des militaires américains en Bolivie».

L’opposition syndicale a aussi perdu de son influence, alors qu’elle

était une des plus actives et des plus puissantes en Amérique latine, explique le religieux flamand. Mais la fermeture des mines d’étain a porté un

coup fatal au front commun syndical dans le pays.

Et les Indiens?

Le seul contrepoids que certains espèrent pour la Bolivie, notamment

dans les milieux d’Eglise, pourrait venir du côté ethnique et culturel, en

l’occurence du côté des Indiens. Le Père Frans Daemen rappelle que la Bolivie est le pays d’Amérique latine le plus «indien»: 65% des habitants sont

des «Indios».  » Mais le missionnaire dénonce qu’»ils n’ont rien à dire, sur

les plans politique, social et économique, ils ne jouent pas un rôle décisif. Il n’y a d’ailleurs jamais eu de véritable dialogue entre les cultures

indienne et occidentale. Jadis, les Espagnols ont essayé de détruire les

cultures des Indiens. N’y parvenant pas, ils les ont systématiquement

niées».

Pour le Père Daemen, même la théologie de la libération est passée à côté du dialogue avec les Indiens». Mais les Indiens n’ont pas dit leur dernier mot: «500 ans après l’arrivée des Européens sur leur continent, les

Indiens sont en train de s’organiser sur le plan régional et même sur le

plan continental. Cela ne leur était jamais arrivé à cette échelle. Ils en

sont donc au commencement, même s’ils hésitent encore à dire le fond de

leur pensée».

«Les Indiens commencent à exiger un enseignement dans leur langue et

prennent conscience qu’il y a un problème de nationalité. Ils osent maintenant se dire Indiens. Or, il y a peu, traiter quelqu’un d’Indio, était une

injure. Cela m’a souvent fait penser à ce qui s’est passé aux Etats-Unis,

où les Noirs ont fini par revendiquer avec fierté leur négritude: ’Black is

beautiful!’».

Alors qu’il a reçu de l’épiscopat bolivien, la mission de promouvoir le

dialogue des chrétiens avec d’autres cultures, le Père Daemen se trouve

dans une position paradoxale en Bolivie. «Là bas, affirme-t-il avec humour,

il n’y a pas de non-croyants! Il y a plutôt trop de religion! Les sectes

savent parfaitement s’y prendre pour assurer le développement de ce que

j’appelle: le secteur religieux informel».

L’importance de ce «secteur» sous l’influence des sectes, ne doit cependant pas être exagéré, ajoute le Père Daemen. Le phénomène concerne des

milliers de petits groupes de centaines de régions différentes. Mais je ne

crois pas personnellement à un grand complot nord-américain contre la position dominante de l’Eglise catholique. Un tel complot supposerait un ensemble de relations qui n’existe pas, même si l’action des sectes touche à

présent de 8 à 10% de la population».

Comment expliquer le succès des sectes? Le religieux passioniste invoque

l’importance et la rapidité des changements de société, et l’incapacité des

structures traditionnelles de l’Eglise catholique à accueillir les mutations en cours». Même les grandes assemblées des évêques latino-américains

à Medellin (Colombie) en 1968, puis à Puebla (Mexique) en 1979 ont été, aux

yeux du Père Daemen, «trop cléricales, conservatrices et trop peu pastorales».

On peut en dire autant, pense-t-il, de la grande majorité des catholiques. Cela ne veut pas dire que les sectes soient progressistes, bien au

contraire! Mais les croyants déracinés y trouvent une réponse informelle à

l’impuissance des Eglises formelles en ces temps de mutations rapides.

Quant au dialogue avec les sectes, même si la plupart se qualifient de

chrétiennes, je les trouve particulièrement pénibles: elles prennent les

Ecritures au pied de la lettre et n’apprécient pas l’oecuménisme».

Une Conférence épiscopale pour tout le continent

L’an prochain, 500 ans après les débuts de l’évangélisation de l’Amérique latine, les évêques du sous-continent vont tenir une nouvelle conférence, cette fois à Saint-Domingue. Par rapport à cette 4e Assemblée de

l’épiscopat latino-américain, depuis celle de Rio en 1955, le Père Daemen

se veut «réaliste»: «Pas d’attentes exagérées ni d’a priori négatifs. Il

espère que les évêques saisiront l’occasion d’approfondir la question du

dialogue interculturel.

A l’origine, rappelle-t-il, les évêques ne voulaient aborder à Saint-Domingue que le problème d’une culture chrétienne ou celui du dialogue entre

le christianisme et la culture. C’est l’intervention de Rome qui les a incités à mettre aussi à l’ordre du jour les problèmes de la justice et du

développement. Le Vatican a également demandé que l’on envisage le dialogue, non pas avec «la», mais avec «les» cultures. Voilà qui ouvre les perspectives sur le dialogue interculturel en Amérique latine».

Le Père Daemen entend plus largement juger avec nuance l’évolution de

l’Eglise en Amérique latine. Ainsi, fait-il remarquer: «La théologie de la

libération est d’abord née comme pastorale de la libération, précisément

parce que l’Eglise traditionnelle n’était pas suffisamment pastorale en

Amérique latine. Ce sont les partisans et les opposants qui en ont fait une

théologie.

Selon l’analyse du passioniste, «l’opposition à la théologie de la libération n’est pas venue de Rome; elle s’est manifestée localement avec des

personnes telles que Mgr Alfonso Lopez Trujillo en Colombie, par ailleurs

président du Conseil pontifical pour la famille, Mgr Pierre Vekemans (Pauzera) au Chili et Mgr Carlos José Boaventura Kloppenburg (Novo Hamburgo) au

Brésil» .

«Il y a même plus de jeunes qu’on ne pourrait le croire parmis les opposants à la théologie de la libération, poursuit-il. En Amérique latine,

comme sur d’autres continents, on constate que la génération montante est

finalement plus conservatrice que la précédente. En ce qui concerne l’épiscopat, ce n’est donc pas qu’une question de nominations par Rome. Il se

fait que les évêques nommés récemment appartiennent à une génération globalement plus conservatrice». (apic/cip/ap)

25 novembre 1991 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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