Cours du Yangtsé, à Shigu, province du Yunnan, 2003 | © Jialiang Gao / www.peace-on-earth.org / wikipedia / CC BY-SA 3.0
International

Un projet de barrage chinois menace des monastères tibétains

Près de mille Tibétains, dont des moines, ont été arrêtés depuis le 14 février 2024 lors de manifestations pacifiques organisées dans le comté de Dege, dans la région historique tibétaine. Les manifestants protestaient contre un projet chinois de barrage hydroélectrique, qui entraînera la relocalisation de deux villages et la destruction de six monastères.

Le gouvernement chinois a annoncé le lancement de la construction du barrage hydroélectrique de Gangtuo, sur la rivière Drichu, l’un des affluents du fleuve Yangtze, dans la province du Sichuan ou «province des quatre rivières» (région autonome tibétaine, au sud-ouest de la Chine et à l’est du Tibet). Ce barrage ferait partie d’un vaste projet destiné à produire un total de 1313 mégawatts d’énergie.

Près de 2000 habitants, de deux villages, devront être déplacés et six monastères seront vraisemblablement détruits. Parmi eux, les monastères historiques de Wonto et de Yena, qui ont survécu à la révolution culturelle et abritent d’importantes peintures murales datant des 13e et 15e siècles.

Dure répression contre les manifestants

Les manifestations de la population locale et de moines bouddhistes se sont intensifiées durant le mois de février dans le comté de Dege, pour implorer les autorités chinoises de reconsidérer leur décision. Elles ont été relayées par plusieurs ONG tibétaines de Dharamsala (Inde), où siège le gouvernement tibétain en exil (CTA), placé jusqu’en 2011 sous l’égide du dalaï-lama.

Publication sur le compte Instagram de Students for a free Tibet

La réponse des autorités chinoises a été très musclée. Des habitants témoignent de l’utilisation de canons à eau, de gaz poivré et de tasers à l’encontre des manifestants. Le 22 février, des policiers armés, spécialement formés dans la région du village de Upper Wonto, à Kardze, ont arrêté plus de 100 moines tibétains des monastères de Wonto et de Yena ainsi que des résidents locaux, dont beaucoup ont été battus et blessés. Des vidéos «volées» montrent des fonctionnaires chinois en uniformes noirs qui retiennent de force les moines, que l’on entend crier pour faire cesser la construction du barrage.

Les personnes arrêtées – moines et résidents locaux – sont détenues dans divers endroits du comté de Dege, a police ne disposant pas d’un seul lieu de détention, ont déclaré à Radio Free Asia des sources qui ont requis l’anonymat pour des raisons de sécurité. «Le fait que la police demande aux Tibétains d’apporter leur tsampa (un aliment de base pour les Tibétains: ndr) et leur literie est le signe qu’ils ne seront pas relâchés de sitôt», a déclaré l’une d’elles.

À la suite de la nouvelle de ces arrestations massives, de nombreux natifs d’Upper Wonto sont rentrés dans leur village et se sont rendus dans les centres de détention pour demander la libération des Tibétains arrêtés. Ils ont également été arrêtés.

Les autorités ont aussi procédé à un blocage du réseau dans la région et ont saisi de force les téléphones portables des résidents tibétains qui tentaient de documenter les manifestations.

L’importance historique et culturelle de Wonpo

«Il est exceptionnel de voir tant de gens se mobiliser de manière groupée en Chine et oser ainsi défier le pouvoir. Il est pratiquement impossible de se réunir dans les villes de Chine, du fait de caméras posées un peu partout. C’est certes plus facile dans les campagnes, mais cela demande beaucoup de courage», déclare René Longet, co-responsable de la section romande de la Société d’amitié suisse-tibétaine.

Pour cette association, le déplacement forcé des habitants du village de Wonpo témoigne d’une tentative délibérée d’effacer le tissu culturel et historique de la région. Wonpo revêt une importance profonde dans l’histoire de Dege, servant de bastion du bouddhisme, de la culture et de la langue tibétaines. Ses habitants sont confrontés à la menace imminente de perdre leurs terres ancestrales et leur identité.

La question de l’eau

Depuis de nombreuses années, la République populaire de Chine mène une politique «intensive» de construction de barrages le long de ses fleuves, tels que le Brahmapoutre, le Mékong et le Yangtsé. Ce nouveau projet en est un de plus dans une liste déjà longue. Cette politique de détournement et d’accaparement des eaux suscite des tensions avec les pays voisins (Laos, Thaïlande, Cambodge, Vietnam) qui dépendent de ces fleuves et les inquiétudes d’experts en environnement.

Dans une déclaration commune, les ONG tibétaines de Dharamsala rappellent l’importance des glaciers et des rivières du Tibet historique, peut-on lire dans The Tibet Express.  Ils «servent de source aux principaux fleuves qui alimentent plus de 1,5 milliard de personnes en Asie. La stabilité écologique du Tibet est donc essentielle pour le bien-être non seulement des Tibétains, mais aussi d’innombrables autres personnes qui dépendent de ces voies d’eau vitales.» (cath.ch/sast/lb)

Cours du Yangtsé, à Shigu, province du Yunnan, 2003 | © Jialiang Gao / www.peace-on-earth.org / wikipedia / CC BY-SA 3.0
12 mars 2024 | 15:07
par Lucienne Bittar
Temps de lecture: env. 3 min.
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