Série d’été: Découverte d’un culte africain à Fribourg
Un rayon de soleil africain en Suisse
Fribourg, 14 juin 2011 (Apic) L’»Eglise du Christ» réunit une cinquantaine de fidèles africains, chaque dimanche, au Temple réformé de Fribourg, rue de Romont 2. Une assemblée jeune et recueillie, où louange et musique occupent une place de choix.
Les récents travaux de restauration du Temple, édifié en 1875, invitent à le visiter. Situé à un carrefour stratégique de la ville, à quelques pas de la gare et au début de la rue piétonne de Romont, le Temple réformé domine le lieu. Depuis peu, la future salle de spectacle de l’agglo tente de lui ravir la prééminence.
Les fidèles africains arrivent au compte goutte, par petits groupes. Une maman porte son enfant sur la hanche, une fillette à la main, un homme transporte un synthétiseur, un autre son ordinateur portable. Chargé ou non, tout le monde s’arrête pour se saluer. L’accueil est chaleureux et fraternel. Un apéritif servi par la paroisse réformée occasionne un léger retard. 12h37, les cloches appellent les membres de l’assemblée chrétienne fribourgeoise pour assister au culte de 12h30.
«On dirait qu’on est un peu froid»
Le culte débute par une litanie d’»Alléluia». La foule répond par des «Amen». Au micro, Mam’Archevêque, Victorine Kabeya – épouse de son Eminence l’Archevêque Johnnie Okit’Omambo Kabeya, représentant légal d’autorité apostolique de l’»Eglise du Christ» – donne d’emblée le ton. Son image se découpe sur un arrière fond boisé, et à l’avant plan, une croix en bois.
S’ensuit une série d’actions de grâce pour la semaine écoulée, pour la protection accordée, pour la vie donnée. Chacun joint sa voix spontanément, dans son dialecte africain ou en français. La louange se transforme en une longue mélopée, les voix s’entremêlent. Puis, c’est le grand silence.
L’orchestre composé de 10 musiciens enchaîne alors un chant de louange. Batterie, congas, synthétiseur, guitare basse et voix polyphoniques s’animent. Tout le monde entonne et répond, soit en battant des mains, soit avec un tambourin. Les corps ondulent de gauche à droite. La musique opère sa magie. Je me surprends même à bouger.
Mam’Archevêque, en chaire, reprend le micro: «Seigneur notre Dieu, papa… Merci… Gloire soit à Dieu… Alléluia…» Puis elle invoque l’Esprit de Vérité. L’orchestre répond avec le chant: «Viens Saint Esprit de Dieu, ami fidèle». Elle insiste, implorant Dieu de se manifester. De son côté, l’assemblée supplie. La réponse est trop tiède au goût de la modératrice: «On dirait qu’on est un peu froid alors qu’il fait chaud dehors. Ce n’est pas normal, mes bien-aimés». Une salve d’»Alléluia», soutenue par des applaudissements et les percussions, témoigne que le message est bien reçu.
Durant cette heure de louange et de musique, les fidèles sont restés debout. Les enfants, qui représentent quasi la moitié de l’assemblée, se déplacent dans le Temple en silence. Une femme change son bébé, une autre le nourrit. Les retardataires grossissent les rangs. Le dépaysement est complet. Me voilà transporté, ailleurs, en Afrique peut-être.
«Bouffés» à cause de la Parole de Dieu
Viens alors le moment central: l’écoute de la Parole de Dieu. Mam’Archevêque le rappelle: «Nous allons entrer dans l’adoration, que notre cœur s’abandonne pour accueillir Dieu». Un chant a cappella acclame l’Archevêque qui remonte l’allée centrale. Ses pas résonnent sur le parquet récemment installé.
Tout de noir vêtu, excepté une cravate lignée blanche et violette, son Eminence salue les fidèles au nom du Seigneur. Il rappelle la journée mondiale de la communication, commémorée le 5 juin. Avec flamme, il explique que «toute la liturgie est orientée sur la Parole de Dieu. On ne l’aurait pas sans les écrivains». A présent, la célébration est traduite simultanément en «lingala», langue parlée en Afrique centrale.
Dans sa prédication, l’Archevêque invite à ne pas «avoir honte de la Parole de Dieu». Et de poursuivre: «Celui qui l’a écoutée ne doit plus agir comme les païens et vivre dans l’esclavagisme. Même si aujourd’hui, les chrétiens sont «bouffés» à cause de cette Parole».
Le prédicateur s’enflamme. Durant la bonne demi-heure de prêche, il interpelle l’assemblée à plusieurs reprises sur son enracinement en Suisse et les «Suisses noirs», sur les problèmes avec les musulmans et les autres religions, sur le rôle des théologiens. Son discours est proche des gens: un mélange de commentaire théologique, d’historique de la communauté africaine en Suisse et d’actualité.
Une célébration de deux heures
Le sommet du culte est le partage de la Sainte Cène, une fois par mois. On approche de l’autel avec respect. Les espèces sont protégées sous un tissu coloré. Sur un plateau, on présente le pain et le vin, qui permettent de «résister à tout combat», comme le précise l’officiant.
14h30, l’Archevêque donne la bénédiction finale. La célébration est minutée, son fils intervient si l’horaire n’est pas respecté. Ainsi s’achève le culte africain. Enfin presque, car après avoir goûté aux nourritures spirituelles, tous sont conviés à partager un repas africain, au sous-sol. L’ambiance de fête perdure, mais à présent, les enfants sont rois. (apic/ggc)
Encadré
L’»Eglise du Christ» en Suisse s’affilie à l’»Eglise du Christ» au Congo, de mouvance pentecôtiste, dont l’appellation remonte à 1934.
Sa création est liée à la figure du Révérend Johnnie Okit’Omambo Kabeya. Le 18 août 1983, le Révérend s’établit en Suisse, refusant de jouer un rôle d’indicateur au Congo RDC. Dans un premier temps, l’Eglise réformée du canton de Fribourg le nomme au poste d’aumônier auprès des Africains. Elle lui ouvre alors son Temple.
Une année plus tard, l’Organisation Chrétienne d’Evangélisation (OCE) voit le jour. En 1988, elle intègre l’»Eglise du Christ» dans son institution. L’OCE devient alors la Conférence des Eglises Africaines en Suisse (CEAS), dont le but est de promouvoir leur unité.
En 1998, le couple Kabeya est sacré «Archevêques» à Fribourg, par son Eminence Glisson Lévi de l’»European Christian Union» de Londres, un émissaire des évêques d’Angleterre. Dès lors, le nouvel Archevêque devient représentant régional d’»European Apostolic Union», responsable pour la Suisse.
En 2009, Rogeiro Kiala est ordonné pasteur de l’»Eglise du Christ» dans l’assemblée chrétienne fribourgeoise.
Encadré
Les cultes sont proposés tous les dimanches, de 12h30 à 14h30, et tous les vendredis, de 20h00 à 21h30, au Temple réformé, rue de Romont 2.
Les femmes chrétiennes se réunissent tous les mercredis de 19h30 à 20h30.
La «Chorale joyeuse» répète un dimanche sur deux, après le culte. Et le groupe évangélique de louanges «African Christian Music», tous les vendredis, de 18h30 à 19h50.
Un service d’accueil est également mis sur pied.
Encadré
Apic: De quelles régions d’Afrique proviennent les différents membres de votre Eglise?
Son Eminence Kabeya: Les membres viennent de divers pays. Nous avons des Angolais, des Camerounais, des Congolais de RDC et des Kenyans.
Apic: Rencontrez-vous des difficultés à renouveler vos membres? Quelle est votre manière de vous faire connaître?
Son Eminence Kabeya: Je n’ai pas de difficulté à me faire connaître, parce que je suis le doyen de tous les pasteurs africains (rire de son Eminence, ndlr).
Mon arrivée a été une sorte de rayon de soleil auprès des Africains en Suisse. J’ai eu la chance à Fribourg, canton catholique, de trouver une ouverture d’esprit de la part des Réformés. Ils ont choisi de créer une aumônerie auprès des Africains. Cela a été le déclenchement. Aujourd’hui, la Conférence des Eglises Africaines en Suisse (CEAS) est la continuité de ce travail entrepris dans les années 1980.
Apic: L’»Eglise du Christ» est-elle membre du Conseil Œcuménique des Eglises (COE) à Genève? (Le COE est une communauté d’Eglises, qui compte 349 membres de presque toutes les traditions chrétiennes, dans plus de 120 pays et sur tous les continents, ndlr)
Son Eminence Kabeya: Nous ne sommes pas membres, parce qu’aucune occasion ne s’est présentée. Je n’ai aucune objection à en être. Toutefois, je ne vois pas ce qui pourrait me rattacher. Car nous vivons déjà la communion, comme institution chrétienne.
Apic: C’est pourquoi vous accordez au Temple de Fribourg un statut «universel» (rire franc de l’Archevêque)? Pour son ouverture, parce qu’il accueille la communauté africaine, et en référence à la confession de foi, où l’Eglise est proclamée universelle?
Son Eminence Kabeya: Mon accueil à Fribourg m’a fait comprendre que les Réformés ne sont pas loin de cette compréhension. D’autre part, l’Eglise est universelle, comme vous venez de le résumer dans les termes appropriés (tape de son Eminence sur ma main).
Apic: Comment l’»Eglise du Christ» à Fribourg subvient-elle financièrement à ses besoins?
Son Eminence Kabeya: Les revenus insuffisants sont complétés par les offrandes. Pour la dîme, c’est un peu difficile. Certains croyants, voyant nos difficultés, versent un 10e de leur revenu (la dîme). Des enveloppes se trouvent également au fond du Temple, pour qui veut apporter son offrande.
Apic: Le titre d’Archevêque est-il lié à une fonction? (la question déclenche un nouveau rire, ndlr) Ou est-ce une reconnaissance de votre Eglise envers un pasteur éminent et engagé?
Son Eminence Kabeya: Indirectement, Dieu me console. Mon diplôme de théologie africain n’a pas été reconnu en Suisse. Or comme Africain pentecôtiste (Le pentecôtisme est né en 1906 aux Etats-Unis, de l’enseignement de Charles Fox Parham, avec la doctrine du lien entre le parler en langues ou glossolalie et le baptême dans l’Esprit, et autour de l’évangéliste noir William James Seymour, ndlr), j’apporte un regard nouveau et un peu exceptionnel. L’Eglise réformée de Fribourg m’a montré un degré supérieur de sa foi, en m’attribuant sa confiance.
L’ironie de l’histoire, c’est qu’un certain Lévi – un descendant des Lévites, chargés du service divin – a été mandaté par l’Eglise d’Angleterre pour me sacrer non pas Evêque, mais directement Archevêque. En tant qu’aîné des pasteurs africains, j’ai vu que cela était très biblique. Alors, je ne me suis pas opposé.
Apic: Quel bilan dresseriez-vous de votre engagement en Suisse, depuis votre arrivée en 1983?
Son Eminence Kabeya: Le bilan est positif. Le fait de t’avoir en face de moi confirme ce que je viens de dire. Je bénis Dieu qui me garde en vie. Un défi qu’il me lance aujourd’hui est d’aider la jeune génération qui vient, soit dans la musique religieuse (d’abord guitariste, l’Archevêque a eu une vocation tardive, ndlr), soit dans la découverte de Dieu.
De plus, le pasteur qui m’assiste actuellement a travaillé durant dix années avec moi. L’évolution de sa détermination dans l’œuvre du Seigneur m’a poussé à le consacrer. J’ai suivi ma conviction, dictée par le Saint Esprit. Et je suis comblé. (apic/ggc)
Avis aux rédactions: des photographies peuvent être commandées auprès de l’Apic apic@kipa-apic.ch pour illustrer cet article. 80.– francs pour la première photo 60.– francs pour les suivantes. (apic/ggc)