Série Apic: Lieux de pèlerinage moins connus de Suisse (6) Frère Crispin, l'âme de Heiligkreuz

Un refuge entouré d’une réserve de biosphère de l’UNESCO

Heiligkreuz, 11 juin 2013 (Apic) Située à 1’127 mètres d’altitude, le lieu de pèlerinage de Heiligkreuz (Sainte-Croix) est entouré de la première réserve de biosphère de l’UNESCO en Suisse. C’est ici, sur les hauts de Schüpfheim, dans le canton de Lucerne, que selon la légende un bœuf parti d’Arras, en France, vers 320 a porté un fragment de la croix de Jésus. Frère Crispin veille depuis 11 ans sur ce lieu saint. Il a dû apprendre à vivre heureux seul, et à répondre aux questions sur la vie que viennent lui poser les visiteurs.

«Les personnes se rendent ici quand elles ont des difficultés, quand elles ne savent plus comment avancer, dans leur mariage, avec leurs enfants, dans leur profession, ou avec l’âge. Elles doutent. Elles se demandent: Est-ce que tout était juste? Qu’est-ce j’ai fait de faux? Je leur demande alors: Qu’en pensez-vous?» Frère Crispin s’appuie sur sa chaise en bois et pose un regard brillant à travers ses lunettes tout en arborant un sourire entendu. En 11 ans de vie solitaire sur ce coteau, il a accueilli pas mal de souffrances.

Dans moins de deux heures, il doit retourner dans la vallée, auprès de la famille d’un homme de 25 ans qui s’est donné la mort il y a quelques jours. Trouver des paroles réconfortantes pour ce qui semble inconcevable fait aussi partie des tâches de Frère Crispin, l’âme sœur de ce lieu sacré qu’est Heiligkreuz: une chapelle pour le pèlerinage, un hôtel, un hospice, 80 hectares de terrain, 90 hectares de forêt. Son cahier des charges comprend l’accompagnement des pèlerins, la célébration de la messe, les baptêmes, les mariages, la prise en charge des groupes. Mais la sonnette à l’entrée du grand chalet en bois dans lequel il habite retentit à de nombreuses reprises durant la journée et rappelle bien que cette activité n’est pas faite pour un temps partiel.

La légende du bœuf avec le fragment de la croix du Christ

Heiligkreuz est un lieu de refuge pour les habitants de l’Entlebuch. L’église a dû être rénovée en 2004 pour un montant de 1,35 million de francs. L’argent nécessaire a été récolté avant même le début des travaux. «Cela montre que le sanctuaire est apprécié.» Johannes von Aarwangen s’y est installé en 1344 avec quelques compagnons et a construit une maison de prière. Selon la légende, au 4e siècle un bœuf parti d’Arras, en France, a porté un fragment de la Sainte Croix du Christ entre ses cornes et s’est arrêté dans l’Entlebuch. Cet épisode a forgé la reconnaissance du lieu de pèlerinage et lui a donné son nom. Depuis 1753, la prise en charge et l’aumônerie du lieu de pèlerinage sont confiées à l’Ordre des capucins.

«Cet endroit, c’est un refuge. Les gens viennent y trouver des réponses à leurs questions. Et je suis pour eux une bonne âme, quelqu’un qui les accueille. Il arrive que je dîne à quatre heures et demie, car ça n’arrête pas de sonner à la porte, de téléphoner ou d’envoyer des courriels. Mais ça ne fait rien, c’est mon devoir.» Cela fait 11 ans qu’il habite seul ici. «Il faut une base spirituelle solide pour supporter ça», affirme Frère Crispin. Fils de paysan, il a 8 frères et sœurs et a travaillé enfant comme domestique. Il était un des rares garçons à fréquenter les bancs d’école de l’internat pour filles du couvent de religieuses de Maria Rickenbach, en compagnie de quelques garçons de chalet des environs. Il étudie ensuite au gymnase et fait sa maturité à Stans chez les capucins. «Je savais depuis que j’étais enfant que je voulais entrer au couvent et devenir prêtre». En 1956, il rejoint le couvent de Wesemlin à Lucerne. Il étudie la théologie à la Haute-école des capucins à Soleure, puis célèbre sa première messe en 1961. Il est ensuite appelé à Sursee comme aumônier en milieu agricole, fonction qu’il accomplira durant 20 ans. «Les questions sont restées les mêmes, 30 ans plus tard. Les gens veulent vivre sans soucis, ils cherchent le grand bonheur. Souvent, ils remarquent après un certain temps que l’aspect financier n’en est qu’une partie, et pas la plus importante.»

«Ce lieu de pèlerinage n’est pas que pour les vieux»

Frère Crispin distribue 16’000 hosties par année. «Un lieu de pèlerinage comme celui-ci n’est pas fait que pour les vieux!», lance-t-il. «Durant les 11 années passées ici, je n’ai jamais vu moins de 12 personnes à la messe. A part une fois peut-être, quand il y a eu un orage de grêle. Si je devais prêcher devant moins de 12 personnes, alors je laisserais tout tomber».

Frère Crispin se lève chaque matin à 5 heures. Il déjeune, prie et prépare la messe. Il cuisine lui-même, nettoie sa maison, fait la lessive et repasse ses habits. Il doit parfois se rendre à Schüpfheim avec sa Subaru Impreza traction quatre roues pour faire ses achats. «J’ai besoin d’une telle voiture ici en hiver». En été, il doit arroser 42 caisses de géranium, tondre le gazon et laver les façades. Frère Crispin est âgé de 78 ans. Bientôt, ses supérieurs devront choisir son successeur. Pour autant que quelqu’un accepte de venir ici. «Nous sommes encore 130 capucins en Suisse alémanique, la moitié d’entre nous sont âgés de plus de 70 ans. Cela peut donc devenir difficile.»

Quand le moment sera venu de partir (et Frère Crispin assure qu’il ne va plus rester longtemps la bonne âme de Heiligkreuz), il retournera dans la vallée. Où, il ne le sait pas encore. En raison de son isolement sur ce monticule, il n’est plus vraiment rattaché à une communauté fixe. Il aura donc une certaine liberté de choix. «Le bonheur n’est pas lié à un endroit. Même à Heiligkreuz. Ce lieu de pèlerinage est fait pour que les gens qui viennent le visiter se visitent eux-mêmes. Viennent ensuite des questions, auxquelles ils pourront essayer de répondre». Et pour tout le reste, ils peuvent compter sur Frère Crispin.

Encadré 1:

Un lieu de pèlerinage confié aux capucins depuis 260 ans

Le lieu de pèlerinage est géré par la curatelle de Heiligkreuz, une fondation ecclésiale qui appartient à la paroisse catholique d’Entlebuch. Depuis 1753, la prise en charge et l’aumônerie du lieu de pèlerinage sont confiées à l’Ordre des capucins. Le point central du lieu de pèlerinage, situé dans une réserve de biosphère de l’UNESCO, est la chapelle datant de 1593, agrandie et transformée en style baroque en 1753, puis entièrement restaurée en 2004.

Les informations sur les heures des messes et dates des pèlerinages se trouvent sur le site internet www.heiligkreuz-entlebuch.ch.

Encadré 2:

Une oasis perchée sur les hauteurs

Le lieu de pèlerinage de Heiligkreuz est accessible en autocar depuis la gare d’Entlebuch en 20 minutes. Il se prête à de nombreuses promenades dans les pâturages et les forêts de la réserve de biosphère suisse de l’UNESCO qui l’environne. L’hôtel et maison de cure Heiligkreuz est situé juste à côté de la chapelle (informations sur le site internet www.kurhaus-heiligkreuz.ch ). En hiver, un skilift monte de Heiligkreuz au restaurant de montagne de «First».

Encadré 3:

La légende fondatrice de Heiligkreuz

Un boeuf est le personnage principal de la légende fondatrice de Heiligkreuz, indique Paul Hugger dans son ouvrage «Lieux de pèlerinage / La Suisse entre ciel et terre». En 320, après que la mère de l’empereur Constantin eut découvert la croix du Christ lors de sa visite à Jérusalem, elle en envoya des fragments à des proches ou à des gens disposés à en propager la vénération. Parmi eux, un soldat romain. Avec un compagnon, l’homme se mit en devoir de rapporter la relique dans sa ville natale d’Arras, au nord de la France. Là-bas, les autorités ecclésiastiques exigèrent, comme preuve de l’authenticité de la relique, qu’on l’attache entre les cornes d’un boeuf sauvage qui avait causé beaucoup de ravages dans la région. Et la bête indomptable devint docile.

On décida de laisser le boeuf partir avec la relique: là où il s’arrêterait, on construirait un lieu de vénération de la vraie Croix. L’animal prit la direction de l’est et fit une première halte à Mayence. Mais l’impatience le poussa plus loin. Il traversa l’Alsace et acheva son voyage dans l’Entlebuch, sur une montagne «haute et déserte», en vérité couverte de forêts. C’est là qu’il laissa reprendre la relique. Telle serait l’origine du pèlerinage.

Encadré 4:

Série Apic: Lieux de pèlerinage moins connus de Suisse

A côté d’Einsiedeln ou du Ranft, de nombreux lieux de pèlerinage moins emblématiques attirent de nombreux visiteurs en Suisse. Ils sont connus dans leur région, mais souvent très peu au-delà des frontières cantonales. L’agence Apic en présente 13 dans une série consacrée aux «Lieux de pèlerinage moins connus de Suisse».

Déjà parus: La Collégiale Ste-Vérène à Zurzach (AG), la Basilique Notre-Dame de Genève, la Grotte de Sainte-Colombe à Undervelier (JU), Notre-Dame de Fatima à Ponthaux (FR), Notre-Dame de l’Epine à Berlens (FR) et le lieu de pèlerinage de Heiligkreuz (LU).

A paraître: L’Ermitage de Longeborgne (VS), Zitail (GR), Maria Dreibrunnen à Wil (SG), la paroisse de Ste Marie de Lourdes à Zurich, la chapelle de l’Immaculée à Quarten (SG), les gorges de Sainte-Vérène à Soleure et Maria Rickenbach (NW).

Indication aux médias: Des photos de ce reportage peuvent être commandées à apic@kipa-apic.ch. Prix pour diffusion: 80 frs la première, 60 fs les suivantes.

(apic/ami/bb)

11 juin 2013 | 09:38
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 6 min.
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