Rome: Salle au Musées du Vatican consacrée à Matisse et à sa chapelle de Vence
Une chapelle qu´inspira une religieuse, Soeur Jacques-Marie
Les Musées du Vatican ouvriront fin 2010 une salle dédiée au peintre français Henri Matisse (1869-1954) et plus particulièrement à la décoration de la chapelle du Rosaire à Vence, dans le sud de la France, près de Nice, que l’artiste a réalisée à la fin de sa vie. Une chapelle inspirée par une religieuse, Soeur Jacques-Marie, dominicaine, aujourd’hui décédée. Elle servit de modèle à Matisse, lorsque jeune fille, elle n’avait pas encore fait le choix du voile.
Parmi les pièces de la collection que le public pourra découvrir, figureront notamment les plans, dessins et autres maquettes de la future chapelle, autant de pièces léguées dans les années 1970 et 1980 par l’un des fils de Matisse et par les dominicaines en charge de cette chapelle, mais aussi la première série de vêtements liturgiques en soie conçus par Matisse. Sans parler de l’abondante correspondance de Matisse avec la mère supérieure des dominicaines, et, sans doute, quelques-unes des nombreuses lettres écrites par Matisse à celle sans qui cette oeuvre n’aurait jamais vu le jour. L’Apic avait rencontré cette religieuse, égérie alors méconnue de Matisse, lors d’une rencontre à Bidart, en 1993, près de Biarritz, dans les Pyrénées-Atlantiques. Projecteurs sur cet entretien, qui éclairent d’un jour nouveau l’actualité, avec cette salle consacrée aujourd’hui à l’histoire de la chapelle de Vence. A l’Histoire.
«C’est vrai, devait reconnaître la religieuse vendéenne, j’ai servi de trait d’union… La chapelle ne serait pas construite sans moi». Le ton était donné. Sa résonance n’en prend que plus d’ampleur en 2010, avec l’annonce de l’ouverture de cette salle dans les Musées du Vatican. Un concours de circonstances… avait commenté la religieuse… L’ébauche d’un vitrail réalisé par elle en veillant une consoeur défunte. Puis l’enthousiasme de Matisse lui-même, son Chemin de Croix, sa Vierge à l’Enfant… les vitraux, après ce fameux jour de fin 1947 où il lui dira, péremptoire: «Je vais la construire, votre chapelle». Les fonds? «On fera des expositions, on vendra des lithos…» Le 25 juin 1951, Mgr Rémond, évêque de Nice, bénissait la nouvelle chapelle.
«C’est avec vous que j’ai fait mes meilleurs dessins et mes meilleurs tableaux». L’aveu était de taille. Matisse n’a pourtant pas hésité à le faire à Monique Bourgeois, alors jeune infirmière de 21 ans appelée en 1942 à servir de modèle à celui qui, son oeuvre durant, n’a jamais cessé de faire chanter la couleur sur ses toiles. Une histoire pas banale, d’une amitié profonde, commencée en 1942, date de leur rencontre, jusqu’à la mort du peintre, en 1954.
Dans le Centre de rééducation «Les Embruns», à Bidart, qui accueillait notamment les accidentés de la route, Soeur Jacques-Marie peignait de son accent chaleureux les mots pour parler de «Monsieur Matisse». Sans cacher son émotion. Que ses yeux ne seraient du reste pas parvenus à dissimuler. L’horloge de son parcours marquait 72 années au compteur de sa vie, au moment de notre entrevue: «Oui, à un an près, j’ai maintenant l’âge que Matisse avait lors de notre première rencontre». A peine un soupir s’était-il échappé: sans doute le souvenir d’une chambre où, comme infirmière, elle avait autrefois soigné Henri Matisse convalescent à l’hôpital de Nice. Le souvenir de discussions et d’anecdotes aussi, lors de ses rencontres avec Chagall, Picasso ou autre Aragon, que Matisse côtoyait, était bien présent dans la mémoire de celle qui rêvait de faire de la musique, où encore les beaux-arts vers lesquels sa maman la destinait.
«Je me souviens de ce premier jour, de ce premier face à face en 1942. Monsieur Matisse m’observait du coin de l’oeil. D’un air détaché et d’un abord plutôt froid». Aspect trompeur: «Il était tout le contraire. Comment, sinon, aurait-il pu peindre ce qu’il a créé? Très vite la glace s’est rompue… Et l’artiste, en homme chaleureux et profondément humain, s’est peu à peu ouvert». Pendant un mois, elle remplacera l’infirmière au chevet du peintre. Huit ou dix jours plus tard, Matisse téléphonait pour lui demander de poser. «Je m’attendais à tout sauf à cela… Il faut dire qu’on ne me faisait pas de compliment sur ma beauté». Le peintre n’en eut cure. Son visage ovale avait séduit la sensibilité de l’artiste. Quatre chefs-d’oeuvre enrichiront de 1942 à 1943 l’oeuvre du fauviste: «Monique», de son prénom, «L’idole», «La robe verte et les oranges», «Tabac royal». Quantité d’autres portraits d’elle, dessins à la plume ou au fusain, créés ensuite jusqu’en 1946 – année où Soeur Jacques-Marie prononcera ses voeux -, sortiront de l’imagination du génie créateur. Ce furent les derniers. «Jamais plus je n’ai posé, n’y étant plus autorisée par ma supérieure».
Artiste dans l’âme, infirmière par vocation, Monique sentira néanmoins confusément que l’appel de la vie religieuse allait finir par l’emporter. «J’ai hésité, puis reporté ma décision». Le plus difficile fut d’annoncer à «Monsieur Matisse» sa décision d’entrer au couvent. Profitant d’un passage de quelques jours à Vence, elle en fera part à Lydia, secrétaire du peintre. «Ne le dites pas au ’patron’. Je choisirai le moment pour lui parler». Et dans la tête de Soeur Jacques-Marie les mots de désarroi de Matisse martelaient encore sa mémoire lors de notre rencontre: «Comment avez-vous pu avoir une idée pareille? Pourquoi partez-vous? J’avais l’intention de vous faire travailler le dessin… J’avais tant admiré les illustrations de vos cahiers d’infirmière». «J’ai su, mais après coup, que Matisse est ensuite resté plusieurs mois sans travailler».
Les pages du classeur auraient fait le bonheur de n’importe quelle galerie d’art. Des collectionneurs. Un privilège, que de les feuilleter, de les tourner, une à une, que la religieuse n’avait probablement jamais montré à quiconque: les lettres de Matisse. Des dizaines de lettres, dont certaines coloriées et illustrées de motifs, de fleurs, de croquis ou de dédicaces. Une richesse. «Pour le dimanche de Soeur Jacques-Marie»; «Pour celle qui donne pour le plaisir de donner… à Soeur Jacques, dominicaine, Noël 1948». Les deux lithos offertes par Matisse, l’une lorsque Soeur Jacques-Marie prononça ses voeux perpétuels, l’autre peu avant sa mort, ainsi qu’un carreau de céramique signé de l’artiste en avril 53, semblaient prendre autant de place que les souvenirs fugaces de la religieuse. Y compris ceux liés aux noms de Chagall et de Picasso: «Autant le premier était dans la lune, autant le second était vif argent. Les discussions entre aux étaient parfois animées. Quant à Picasso, qui ne voyait pas d’un bon oeil Matisse exécuter la chapelle de Vence, il lui avait un jour lancé: «Ta chapelle, ce sera une halle à légumes». Des années plus tard, la réprobation de la religieuse se lisait encore dans son regard à l’évocation de cette «prédiction». Des yeux qui se teintèrent de tristesse à la pensée de Chagall, désemparé après la rupture avec sa femme et la séparation de sa fille. Des yeux pétillants de tendresse au souvenir d’une anecdote: «Matisse avait donné des pigeons blancs à Picasso qui lui servirent plus tard d’inspiration pour sa «Colombe de la paix». Divergence entre les deux hommes… et Matisse de lui asséner: «Ta colombe de la paix, ta colombe de la paix… c’est mes pigeons à moi!». «Matisse était un homme calme et posé. Mais il ne supportait pas que l’on puisse me manquer de respect. Comme Aragon l’avait fait en me tournant le dos lorsque Matisse me présenta à lui. Le peintre, furieux, en prit ombrage».
Dans le hall d’entrée des «Embruns», un patient du Centre avait promené son regard attentif sur une céramique aux couleurs vives. Des formes de poissons, comme pour rappeler d’autres arabesques chères à Matisse. On ne vit pas impunément l’amitié du peintre sans en subir l’influence. Devant cette oeuvre, son oeuvre, Soeur Jacques-Marie assurait ne rien regretter de son choix. «La seule tristesse, devait-elle lancer avec émotion, est de ne pas avoir été là durant les deux dernières années de sa vie, de ne pas l’avoir accompagné au moment où, sans doute, il avait le plus besoin de moi. Peu de temps avant sa mort, je l’ai revu. Il me prit par la main… Vous savez, Monsieur, lui ai-je dit, je sais que si je restais, que si la religieuse restait, je vous ferais faire le pas. Peut-être bien, m’a-t-il répondu». Il mourra le 3 novembre 1954 à Nice… «et j’ai passé à côté de tout ce qu’il me demandait à travers ses dernières lettres. Oui, c’est le grand regret de ma vie». Un soupir, sans amertume aucune s’était échappé… comme pour dire qu’il restait quelque part au fond d’elle l’histoire d’une chapelle, à Vence, un jardin secret, de pureté, de couleurs et de soleil. De portraits et de formes. Et une poésie nommée Matisse. (apic/pr)