Une exploitation pétrolière au Soudan du Sud (KEYSTONE/CHINAIMAGES/Tong jiang)
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Une Co. pétrolière suédoise accusée de complicité de crimes de guerre

Le Conseil des Églises du Soudan du Sud a salué la décision du ministère public suédois de poursuivre les dirigeants de la société pétrolière Lundin Energy pour «complicité de crimes de guerre» entre 1999 et 2003 ayant causé des milliers de morts des centaines de milliers de déplacés.


Les procureurs suédois ont inculpé le 11 novembre 2021 le président et l’ancien PDG de Lundin Energy pour complicité de crimes de guerre commis par l’armée soudanaise et les milices alliées dans le sud du Soudan entre 1999 et 2003.

Selon l’accusation, la société suédoise avait demandé au gouvernement soudanais [à l’époque le Soudan du Sud n’avait pas encore acquis son indépendance NDLR] de libérer et de sécuriser un champ pétrolifère potentiel, tout en sachant que cela impliquerait de s’emparer de la zone par la force et d’en expulser la population. Le président Ian Lundin et l’ancien PDG de la société Alex Schneiter se sont ainsi rendus complices des crimes de guerre.

Ce qui constitue une complicité au sens pénal, est qu’ils ont formulé ces demandes alors qu’ils savaient, ou au moins pouvaient penser, que l’armée et les milices menaient la guerre d’une manière interdite par le droit humanitaire international, a expliqué le ministère public suédois. L’entreprise est ainsi coupable de ne pas avoir exigé de garanties suffisantes en matière de droits de l’homme et d’avoir facilité les déportations massives de zones qui n’étaient pas inhabitées.

«Il est important que ces crimes graves ne soient pas oubliés. Les crimes de guerre sont l’un des crimes les plus graves sur lesquels la Suède a l’obligation internationale d’enquêter et d’engager des poursuites. Un grand nombre de civils ont été touchés par les crimes commis par le régime soudanais, auxquels nous pensons que les accusés ont participé, a déclaré , le procureur général suédois, Henrik Attorps. La complicité de crime de guerre peut valoir la prison à vie pour ses auteurs.

Une enquête des ONG en 2010

La Suède a ouvert une enquête en 2010 à la suite d’un rapport établi par l’organisation non gouvernementale néerlandaise PAX (à l’époque IKV-Pax Christi), sur les crimes de guerre et les violations des droits de l’homme dans ce pays.

«Il s’agit d’une grande victoire pour la justice et d’une réalisation historique […]. C’est la première fois depuis Nuremberg [le procès des criminels de guerre nazis en 1945-46 NDLR] qu’une société cotée en bourse devra rendre des comptes devant un tribunal pour des crimes de guerre», a déclaré Egbert Wesselink, porte-parole de PAX.

Pas de justice sans réparation

Pour le révérend James Kuong Ninrew, président de la Coalition sud-soudanaise pour la justice transitionnelle et partie civile dans le procès, «l’impunité et le mépris des victimes ont été parmi les causes profondes de la perpétuation de la violence au Sud-Soudan. Il ne peut y avoir de paix sans vérité ni réparation. Les roues de la justice tournent lentement, mais personne ne peut y échapper, quelle que soit sa richesse ou sa puissance.»

Au moins 12’000 morts et 160’000 déplacés

«Pendant des années, j’ai servi sur le territoire du diocèse de Malakal, où se trouvent les zones pétrolières du Sud-Soudan, témoigne Sœur Elena Balatti, missionnaire combonienne. «Je me souviens très bien des histoires de gens de la population Nuer, qui n’avaient aucune idée de ce qu’était le pétrole et à quoi il servait. Le gouvernement de Khartoum a décidé de procéder à l’exploration et, une fois le pétrole trouvé, il a exigé que les régions soient nettoyées pour permettre aux entreprises de disposer de terres libres et de mettre en place les infrastructures. Les gens ont appris qu’ils devaient quitter leurs maisons, leurs champs et leur bétail pour que les activités d’extraction pétrolière puissent commencer. Évidemment, il y a eu des émeutes qui ont été réprimées dans le sang et les déportations ont suivi.» Selon plusieurs ONG, jusqu’à 12’000 personnes sont mortes de faim et 160 000 ont été déplacées, à cause de ce projet.

Lundin Energy réfute toute accusation

Lundin Energy a déclaré dans un communiqué qu’elle rejetait tout motif d’allégations d’actes répréhensibles. La compagnie affirme avoir mené des opérations commerciales tout à fait légitimes et responsables au Soudan en tant que membre d’un consortium international. Elle a opéré dans un cadre d’engagement constructif dans le pays, tel qu’approuvé par l’ONU, l’UE et la Suède.

Pour Lundin Enegy, les rapports des ONG auxquels se réfère le ministère public suédois ne peuvent pas être considérés comme des preuves au tribunal: ils sont principalement destinés à la formation de l’opinion et à l’activisme et manquent de crédibilité, d’exactitude et de fiabilité. Elle conteste aussi l’exercice par le ministère public suédois d’une «soi-disant compétence universelle».

Connue sous le nom de Lundin Oil jusqu’en 2001, la société a vendu ses activités au Soudan en 2003. Les procureurs ont également déposé une demande de confiscation de 1,39 milliard de couronnes (161,7 millions de dollars) auprès de Lundin Energy, correspondant au bénéfice que la société a réalisé sur la vente de l’activité Soudan en 2003. L’entreprise a déclaré qu’elle contesterait cette demande. 

La société, dont les actions ont clôturé en baisse de près de 5% après l’annonce de sa mise en accusation, a également déclaré que son président Ian Lundin ne se représenterait pas à sa réélection lors de sa prochaine assemblée générale annuelle. (cath.ch/ag/mp)

Une exploitation pétrolière au Soudan du Sud (KEYSTONE/CHINAIMAGES/Tong jiang)
2 décembre 2021 | 14:31
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 4 min.
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