Le pasteur Pierre-Philippe Blaser, président de l'EERF, s'est inquiété du respect de la liberté de la presse au sein des Églises protestantes | © Jacques Berset
Suisse

Une commission des Églises protestantes examinera «l’affaire Protestinfo»

La Conférence des Églises (protestantes) romandes (CER) a décidé, le 29 novembre 2025, de la création d’une commission chargée de faire la lumière sur le licenciement des journalistes de Protestinfo. Plusieurs représentants d’Églises se sont inquiétés de la liberté de la presse et du dégât d’image sur les institutions.

«Je me sens concerné, en tant que protestant: il en va de notre identité que de disposer d’un processus autocritique, de recevoir d’éventuelles questions gênantes, et d’y répondre», a relevé Jean-Philippe Blaser. Le délégué de l’Église évangélique réformée du canton de Fribourg (EERF) s’est exprimé ainsi lors de l’assemblée générale de la CER, le 29 novembre, dont les débats sont relatés dans le journal Le Temps.

Une interview «embarrassante» au cœur de l’affaire

Le représentant fribourgeois s’interrogeait sur le cas de Protestinfo, qui fait grand bruit en Suisse romande. Mi-octobre 2025, les deux journalistes de l’agence Protestinfo, Anne-Sylvie Sprenger et Lucas Vuilleumier étaient licenciés. Leur employeur, la Conférence des Églises réformées romandes (CER), a justifié cette mesure par une rupture de confiance de longue date.

Mais certains pensent que les journalistes ont été écartés parce qu’ils enquêtaient sur les liens persistants de l’Église réformée vaudoise avec un théologien connu soupçonné d’abus sexuels. L’interview à ce sujet de Laurence Bohnenblust-Pidoux, présidente du Conseil exécutif de la CER et membre du Conseil synodal de l’Église évangélique réformée vaudoise (EERV), a été au centre de l’affaire. La publication de l’article a été gelée suite à un désaccord, l’EERV étant impliquée dans l’affaire intéressant l’agence de presse.

Gros dégâts d’image

Les journalistes ont reçu un important soutien à l’intérieur du monde protestant, une lettre ouverte signée par une centaine de personnalités a notamment demandé leur réintégration. L’affaire a même pris une tournure internationale puisque, fin novembre, la Plateforme du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes a également demandé la réintégration des deux employés de Protestinfo.

«Nous avons été choqués par la gestion de ce cas, a aussi réagi Ueli Burkhalter, des Églises réformées Berne-Jura-Soleure, lors de l’assemblée générale. La liberté de la presse est pour nous très importante, et le dégât d’image est grand pour toutes les Églises. Les répercussions au niveau européen sont catastrophiques.»

Un «problème institutionnel insoluble»?

Le Conseil exécutif de la CER a fourni des explications, d’abord par la voix de Laurence Bohnenblust-Pidoux, rapporte Le Temps. Absente pour raisons de santé, elle a transmis sa défense par écrit. Elle réfute catégoriquement un éventuel abus d’autorité, rappelant s’être récusée à deux reprises, et nie avoir voulu restreindre la liberté de la presse, assurant avoir simplement fait usage de son droit de relecture de ses citations. Elle assure également dans son message n’avoir pas l’intention de démissionner.

Le vice-président de la CER et délégué neuchâtelois Yves Bourquin a décrit un «problème institutionnel insoluble». La seule décision possible était, selon lui, de ne traiter que l’aspect des ressources humaines, en se basant notamment sur des situations passées. Une accusation réfutée par Anne-Sylvie Sprenger. Sans vouloir se prononcer sur un éventuel abus de pouvoir, elle se défend. «Je n’ai aucune connaissance de problèmes de ressources humaines récurrents de la part de nos deux directeurs successifs. Quand nous avons été convoqués, c’était, je cite, pour ›parler des suites à donner’ à l’article gelé par le Conseil exécutif.»

Quel avenir pour la presse protestante?

Pour prendre de la hauteur, et soigner une crédibilité égratignée par l’affaire, l’assemblée a finalement voté la création d’une commission chargée d’établir un rapport sur les faits, et les conditions permettant à l’agence de faire son travail. En seront membres Pierre-Philippe Blaser et son confrère valaisan Gilles Cavin, ainsi que Serge Reymond, ancien directeur des publications romandes de Tamedia, en tant qu’indépendant.

La commission devra rendre son rapport au premier semestre 2026, et d’ici là, les postes concernés ne devront pas être repourvus à durée indéterminée. La révision de la charte déontologique de l’agence devra se poursuivre, avec l’implication d’un syndicat, ainsi qu’une réflexion sur la gouvernance du projet. Un travail institutionnel est également en cours, qui devrait prévenir de tels imbroglios, a souligné Yves Bourquin. Certains observateurs se questionnent toutefois sur l’avenir possible pour Protestinfo. Le Neuchâtelois croit, lui, qu’un avenir pour l’information protestante est possible.

«À part une réintégration, je ne vois pas quel autre chemin permettrait de retrouver la crédibilité construite pendant 25 ans», confie toutefois au Temps Michel Kocher, ancien directeur de Média-pro, (l’entreprise chapeautant les médias protestants romands, devenue Réf-Médias). (cath.ch/letemps/arch/rz)

Le pasteur Pierre-Philippe Blaser, président de l'EERF, s'est inquiété du respect de la liberté de la presse au sein des Églises protestantes | © Jacques Berset
30 novembre 2025 | 10:42
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 3  min.
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