«Une économie pour la vie afin d’en finir avec l’idolâtrie du néolibéralisme»
Brésil: Congrès Continental de Théologie du 7 au 11 octobre à Sao Leopoldo
Porto Alegre, 9 octobre 2012 (Apic) Docteur en théologie et économiste de formation, Jung Mo Sung est l’une des principales figures de la théologie au Brésil et en Amérique latine. Il dénonce l’idolâtrie dont bénéficie le néolibéralisme et prône une «économie pour la vie», dans une interview donnée lors du Congrès Continental de Théologie à Sao Leopoldo au Brésil.
Apic: Lors de votre intervention au Congrès latino américain de Théologie, vous avez été très critique à l’égard du néolibéralisme, en employant les termes «idole» ou «idolâtrie». Dans quel sens?
Jung Mo Sung: Un des concepts théologiques fondamentaux de la Bible est l’idolâtrie. Toutes les sociétés produisent des dieux. Ils sont l’œuvre d’actions et d’interactions humaines (objets ou institutions) qui sont sacralisées. En son nom se fonde un ordre social existant qui exige des sacrifices de vies humaines nécessaires à la reproduction de l’ordre.
Les prophètes ont perçu cela et critiqué ce processus de production de dieux, d’idoles. En opposition à l’idole, la Bible nous présente Dieu qui ne veut pas de sacrifices mais la miséricorde. Les serviteurs de Dieu miséricordieux peuvent donner leur vie par amour, pour la liberté, mais pas par sacrifice.
Un aspect important dans la critique de l’idolâtrie est que l’idole fascine et attire. Quand je dis que le néolibéralisme présente une logique idolâtrique, je veux mettre l’accent sur la dimension fascinante du capitalisme global actuel. Face à la fascination, il ne suffit pas de critiquer. Il faut démontrer le processus sacrificiel pour se défaire de la fascination qui aveugle. Dans cette mission, la théologie a un rôle important à accomplir au sein de la société, en dénonçant cette fascination de l’idolâtrie du marché.
Apic: Pour vous, la vie économique aujourd’hui est perçue comme une religion, et le néolibéralisme, comme une nouvelle religion économique. Une «autre économie», juste et éthique, est-elle possible? Sur quelles bases pourrait-elle se développer?
JMS: Une idée aussi ample qu’une économie juste et éthiquement régulée nous aide à penser à une manière de dépasser l’économie capitaliste d’aujourd’hui. Mais, en même temps, elle n’est pas très opérationnelle et n’offre pas beaucoup de pistes concrètes pour formuler les points principaux d’une «autre économie». Notamment parce que nous entrons dans une discussion sans fin sur ce qui est «juste» et «éthique».
L’économie est le champ de la production et de la distribution de biens matériels et symboliques, nécessaires pour la reproduction de la vie humaine. Il ne suffit pas qu’une économie soit juste et éthique, si elle ne produit pas suffisamment pour la reproduction de la vie de toute la société. C’est pour cela que je préfère la proposition de Franz Hinkelammert qui parle d’»économie pour la vie». Cette expression se rapporte à: «JE suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l’ayez en abondance» (Jean 10,10). Elle s’oppose à l’économie capitaliste qui est pensée pour une croissance économique et une accumulation de capital.
L’économie pour la vie implique également la préservation de l’environnement, qui est la condition de la vie et de la vie de tous. Il s’agit de la vie corporelle, de fait la seule dont nous avons à prendre soin, la vie éternelle étant la grâce de Dieu.
Apic: Quel serait, selon vous, le principal défi pour cette «économie pour la vie»?
JMS: Le grand défi pour qui lutte pour une société juste et humaine, où toutes les personnes ont l’opportunité et la possibilité d’avoir une vie digne et agréable, est de répondre à cette question: comment serait une nouvelle forme de coordination de la division sociale du travail? Une caractéristique des économies non simples est la fragmentation du processus de production. C’est un fait: ni une personne seule ni un groupe de personnes ne peut produire l’ensemble des biens nécessaires pour sa survie. A partir de là, chacun fait une partie du travail nécessaire et il y a nécessité de coordonner ces travaux et processus fragmentés. Le communisme propose, comme alternative au capitalisme, un modèle de planification centralisé par l’Etat. L’histoire a montré que ce chemin était inefficient, car il est impossible de connaître de manière efficace tous les éléments de l’économie pour cette planification. Le néolibéralisme propose que le marché soit l’unique ou le principal instrument de coordination de la division sociale du travail. La lutte pour une «économie juste» ou une «économie pour la vie» passe nécessairement par ce défi de penser à une forme alternative de cette coordination. Les propositions économiques alternatives dans le cadre des unités de production telles que les expériences d’économie solidaire, communautaire ou régionale sont importantes et aident considérablement la vie concrète des gens. Ce sont des pistes à suivre.
Encadré
Jung Mo Sung est théologien et économiste, professeur et chercheur à la faculté méthodistes des sciences humaines et de droit de São Paulo. (apic/jcg/ggc)