Rencontre avec Mgr Ghaleb Moussa Abdallah Bader, archevêque d’Alger

Une Eglise de la relation avec l’islam

Fribourg, 25 octobre 2009 (Apic) «Je n’aurais jamais imaginé un jour être nommé archevêque d’Alger, même dans mes rêves… Je pensais rester toujours au service de l’Eglise de Jérusalem, avec sa vocation universelle, en Terre Sainte, terre du Christ, de Marie et des apôtres, Eglise mère, lieu de la première prédication». Citoyen jordanien âgé de 58 ans, Mgr Ghaleb Moussa Abdallah Bader, archevêque d’Alger depuis mai 2008, est le premier homme d’Eglise arabe à occuper ce poste depuis 1838, date de la création de l’évêché d’Alger.

Fribourg, 25 octobre 2009 (Apic) «Je n’aurais jamais imaginé un jour être nommé archevêque d’Alger, même dans mes rêves… Je pensais rester toujours au service de l’Eglise de Jérusalem, avec sa vocation universelle, en Terre Sainte, terre du Christ, de Marie et des apôtres, Eglise mère, lieu de la première prédication». Citoyen jordanien âgé de 58 ans, Mgr Ghaleb Moussa Abdallah Bader, archevêque d’Alger depuis mai 2008, est le premier homme d’Eglise arabe à occuper ce poste depuis 1838, date de la création de l’évêché d’Alger.

Mgr Ghaleb Bader succède à de grandes figures de l’Eglise en Algérie: Mgr Henri Teissier, archevêque d’Alger de 1988 à 2008, qui avait lui-même pris la succession d’une personnalité qui a laissé une forte empreinte dans ce pays du Maghreb, le cardinal Léon-Etienne Duval (archevêque de 1954 à 1988), qui s’était prononcé dès 1956 en faveur de l’autodétermination des populations d’Algérie.

L’Apic a rencontré Mgr Ghaleb Bader à l’occasion de son passage en Suisse, où il a participé vendredi soir 23 octobre à une marche aux flambeaux dans les rues de Massagno, au Tessin, en compagnie de Mgr Pier Giacomo Grampa, évêque de Lugano, et au moins 200 fidèles. Invité par l’Aide à l’Eglise en détresse (AED) et le responsable de son antenne pour la Suisse romande et le Tessin, Roberto Simona, il participait à la désormais traditionnelle «Journée nationale de prière pour les chrétiens persécutés» pour sensibiliser la population et en particulier les chrétiens, à la difficile situation que vivent les chrétiens dans certaines parties du monde.

Apic: Mgr Ghaleb Bader, vous parlez de «surprise totale» à propos de votre nomination à Alger…

Mgr Ghaleb Bader: Je suis né en Jordanie et j’ai toujours vécu dans l’Eglise de Terre Sainte. Je voulais continuer ma vocation de prêtre au sein de cette Eglise des tout débuts du christianisme. L’apprentissage à Alger, dans un contexte tout différent, a certes été dur, mais je l’ai pris comme un service à l’Eglise et comme un geste d’estime à l’égard de ma personne. J’en suis très heureux.

Apic: L’Eglise catholique en Algérie est très différente de celle de Terre Sainte!

Mgr Ghaleb Bader: Effectivement, en Algérie, il y a très peu de chrétiens autochtones: 90 ou 95% des catholiques sont des étrangers. Bien sûr, dans les années 60-70, il y avait bien un ministre, celui des finances, qui était chrétien, mais les catholiques algériens sont une petite minorité, quelques centaines ou milliers sur 30 à 50’000. Difficile de se faire une idée précise dans ce pays si vaste!

En fait, il n’y a pas de statistiques fiables, car l’Eglise en Algérie est une Eglise mouvante, composée essentiellement de gens de passage, de travailleurs immigrés qui ne sont là que pour une mission temporaire. Il y a des chantiers sur lesquels il y a des milliers de chrétiens. En Kabylie, par exemple, sur un chantier d’une station de traitement d’eau, il y a quelque 600 travailleurs philippins.

Un ingénieur, qui est venu à la messe à Alger, nous a demandé de dire la messe sur le chantier, qui est un site de haute sécurité, très surveillé pour éviter les attentats. On trouve une bonne vingtaine de tels chantiers dans toute l’Algérie, où travaillent des Philippins et des Chinois, notamment.

Des entreprises comme la canadienne SNC-Lavalin y sont présentes depuis des décennies, notamment dans le secteur de l’énergie. Peut-être de 10 à 15% de chrétiens sont là pour rester, comme des ressortissants français ou d’anciens «pieds noirs» devenus Algériens, voire des Algériens de souche.

Apic: Vous prenez également en charge de nombreux étudiants de l’Afrique sub-saharienne.

Mgr Ghaleb Bader: C’est effectivement l’Eglise locale qui doit prendre en charge ces chrétiens de passage. Nous avons des paroisses entières composées d’étudiants africains, qui changent chaque année, en fonction de la fin des études. Ils partent quand ils ont leur diplôme. On trouve de telles paroisses partout où il y a des Universités, comme à Alger, Blida, Boumerdès… Ce sont des étudiants boursiers ou bénéficiant d’échanges; ils vivent leur foi pendant leur séjour en Algérie.

Apic: De temps à autres, on entend parler de chrétiens évangéliques qui se font remarquer…

Mgr Ghaleb Bader: La société algérienne est musulmane et l’Etat aussi. Le travail d’évangélisation des sectes évangéliques fait du bruit en Algérie, on en parle dans tous les médias. Beaucoup n’ont plus peur de se déclarer chrétiens, grâce à leur nombre. Des familles entières, des communautés, se convertissent, même si ce n’est pas toléré ni accepté par la société. Cependant, les autorités ne savent que faire face à ce phénomène, elles sont impuissantes.

Les Eglises protestantes historiques, qui sont là depuis longtemps, comme les anglicans ou les baptistes, sont une minorité parmi ces chrétiens, et les nouvelles communautés évangéliques luttent pour obtenir le leadership. Les chiffres, invérifiables, vont de 3’000 à 50’000, voire 100’000. C’est certainement exagéré, mais ce phénomène durcit les fronts et suscite de la méfiance dont nous sommes aussi victimes. L’Eglise catholique, depuis quelques années, a quelques difficultés pour obtenir des visas pour son personnel religieux: il faut justifier les besoins. Ce prosélytisme évangélique est certainement l’une des explications de cette politique restrictive.

Apic: Ce militantisme des chrétiens évangéliques a donc des conséquences…

Mgr Ghaleb Bader: Celles que j’ai mentionnées, mais aussi le fait que nombre d’entre eux, qui sentent dans ces communautés le manque de hiérarchie, de liturgie, de sacrements, voire de saints, veulent venir chez les catholiques. C’est un phénomène diffus, une situation délicate, car on ne sait pas si leur baptême est valide, voire même s’ils sont baptisés… Cela crée également des problèmes avec les autorités algériennes, car un ne peut pas quitter l’islam quand on est né musulman, et en Algérie, l’islam est la religion d’Etat!

Apic: Malgré tout, les relations des catholiques avec les autorités et la société algériennes sont bonnes.

Mgr Ghaleb Bader: Dans la société algérienne, nous sommes une toute petite minorité, et nous menons un dialogue dans la vie quotidienne. Nous sommes constamment entourés de musulmans avec lesquels nous travaillons et partageons notre vie. Notre Eglise est très engagée dans les activités culturelles et les activités sociales et éducatives. En soutenant un certain nombre d’activités culturelles, elle entend exprimer son respect pour la culture algérienne dans la diversité de ses composantes. Elle désire aussi apporter sa contribution, modeste mais réelle, aux efforts de formation déployés par le pays dans ce domaine.

Nous sommes actifs au niveau des bibliothèques, notamment pour la bibliothèque de recherche (histoire, monde arabe et Maghreb) du Centre d’Etudes Diocésain d’Alger. C’est le cas aussi pour le Centre de Documentation saharienne de l’évêché de Ghardaïa ou pour la bibliothèque des sciences humaines d’Oran. D’autres bibliothèques ont été formées plus récemment dans des domaines particuliers: bibliothèque biomédicale, bibliothèque de littérature et Centre de Documentation Economique et Social d’Oran, le centre Amel à Mascara, la bibliothèque de médecine, de sciences exactes ou de sciences humaines en arabe du Centre Culturel Universitaire d’Alger, bibliothèque Dilou (din wa lougha) de Constantine, bibliothèque psycho-socio-éducative de la Caritas à Alger ou bibliothèque augustinienne de Annaba, etc.

Nous avons de très bons rapports avec les autorités civiles et religieuses algériennes, notamment le Ministère algérien des Affaires religieuses et la présidence du Haut Conseil islamique. On s’échange des vœux pour les fêtes et on se rencontre plusieurs fois par année. Il faut souligner qu’il y a du respect à notre égard de la part des autorités. L’archevêque d’Alger est une des figures symboles de l’Algérie et fait partie du paysage diplomatique du pays. A noter que du fait que je sois le premier évêque arabe à Alger, cela peut être ressenti de deux manières: une certaine fierté, mais aussi un questionnement pour ceux qui ont dans l’idée que tout arabe est musulman… JB

Apic: Après la «période noire» qui a vu l’assassinat des moines trappistes de Tibhérine, et celui de l’évêque d’Oran, Mgr Pierre Claverie, en 1996, peut-on parler d’un retour de la normalité en Algérie ?

Mgr Ghaleb Bader: Cette période des années 90 a été une véritable «période noire» pour l’Algérie. C’est du passé, grâce à Dieu! L’Eglise a perdu 19 martyrs, mais je ne veux pas dire qu’il s’agissait d’une persécution visant spécifiquement les chrétiens. Il y a eu peut-être 250’000 victimes durant cette période, et comme l’Eglise fait partie de ce pays, elle a aussi souffert de cette violence aveugle qui n’a épargné personne. Certes, c’est une période qui appartient au passé, mais il faudra du temps pour que ces atrocités disparaissent de la psyché du peuple algérien. Beaucoup ont encore de la difficulté à croire que l’on peut vivre dans la paix et la sécurité après le cauchemar qu’ils ont vécu. On se sort difficilement de cette violence sans respect pour personne qui a duré une décennie… Mais c’est sûr, on va vers le mieux! JB

Encadré

Jusqu’au 7 ou 8e siècle, il y avait près de 500 évêchés de la Libye au Maroc

Le christianisme a atteint le Maghreb dès la fin du premier siècle, notamment à partir des communautés juives qui s’y trouvaient en diaspora et des relations que cette région du monde entretenait avec le Moyen-Orient comme avec la rive Nord de la Méditerranée. (Cf. www.ada.asso.dz) Les premiers indices connus de la présence de l’Eglise en Algérie remontent à la fin du IIe siècle. Ils sont essentiellement constitués par les témoignages des martyrs. C’est l’époque où les Saintes Perpétue et Félicité furent martyrisées à Carthage en 203. A la même époque, un berbère libyen, Victor Ier, était pape de l’Eglise catholique à Rome. Preuve de l’importance numérique et qualitative de l’Eglise en ces régions. A noter que le Maghreb donnera encore par la suite deux autres papes à l’Eglise, les saints Miltiade (311-314) et Gélase Ier (492-496).

Jusqu’au 7 ou 8e siècle, il y avait près de 500 évêchés de la Libye au Maroc et l’Eglise était alors florissante, relève Mgr Ghaleb Bader, «et tout cela a été balayé, effacé!». C’est la grande figure de saint Augustin qui a fait la gloire de l’Eglise du Maghreb et plus particulièrement de l’Algérie. Né à Taghaste (l’actuelle Souk Ahras) en 354, sous l’influence de sa mère Sainte Monique, après une vie passablement dissolue, il se convertit à la foi chrétienne en 387 et devint par la suite évêque d’Hippone de 397 à 430, date de sa mort. L’islam arrive en 647 au Maghreb et du VIIe au XIIe siècle, la présence chrétienne va disparaître progressivement, contrairement à ce qui s’est passé au Proche-Orient. Ensuite, l’Eglise en Algérie va perdre tout caractère autochtone et ne subsister que par la présence de chrétiens étrangers: commerçants venus de la rive Nord de la Méditerranée, consuls et personnel des comptoirs marchands établis dans le pays sur la base de traités passés avec les souverains locaux.

L’histoire de l’Eglise d’Algérie est inscrite dans certains lieux privilégiés: Hippone dont Saint-Augustin fût l’évêque pendant plus de 30 ans, Beni-Abbes, Tamanrasset et l’Assekrem où le Père de Foucauld a vécu son expérience spirituelle propre. A Touggourt, petite Soeur Magdeleine a fondé en 1939 une congrégation internationale féminine et à El Abiodh Sidi Cheikh, le père Voillaume a suscité la naissance des Petits Frères de Jésus en 1933. Ces lieux sont visités par des pèlerins venus d’Algérie ou de l’extérieur. (Cf. www.ada.asso.dz) JB

Encadré

L’Eglise mène des activités sociales et éducatives

Des conférences, ouvertes à tous, sont organisées notamment par le Centre d’études Diocésain d’Alger, le Centre Pierre Claverie et la bibliothèque biomédicale d’Oran et le Centre de Documentation Saharienne de Ghardaïa. Les conférenciers sont très souvent des musulmans, et les auditeurs aussi en grande majorité. Les Caritas des diocèses d’Algérie, mais aussi d’autres groupes comme la Conférence de St Vincent de Paul, les Petites Sœurs des Pauvres, les paroisses ou les mouvements, prennent des initiatives d’action sociale. Les équipes comptent sur la participation des musulmans.

Des religieuses sont aussi engagées auprès des malades, dans des structures publiques ou privées. Des membres de la communauté chrétienne contribuent à la formation des enfants et des jeunes handicapés, au sein de structures publiques ou d’associations, qui aident enfants et jeunes marqués par divers handicaps: mal entendants, mal voyants, infirmes moteurs cérébraux., enfants autistes, déficients mentaux, etc.

L’Eglise favorise aussi des activités de promotion des artisanes de diverses régions, et organise également des activités d’animation pour enfants et jeunes adolescents. Une maternité privée dépendant des Sœurs de la Charité Maternelle accueille les femmes qui préparent une naissance et les soutient pour l’accouchement (Blida). Des maisons de personnes âgées sont tenues à Annaba et à Oran par des religieuses. JB

Encadré

Ghaleb Bader, dernier-né d’une famille paysanne de neuf enfants

Mgr Ghaleb Bader est le dernier-né d’une famille paysanne de neuf enfants du village de Khirbeth, au nord de la Jordanie. Khirbeth, une localité de 6000 habitants (20% de chrétiens), est située non loin de Jerash, l’antique Gérasa, une ville de la célèbre Décapole. Né le 22 juillet 1951, Mgr Bader étudie au séminaire de Beit-Jala, près de Jérusalem, avant d’être ordonné prêtre en 1975 à Amman. Après avoir été secrétaire du patriarche latin de Jérusalem, il est vicaire dans la capitale jordanienne. Il obtient ensuite une licence en droit civil de l’Université de Damas, en Syrie, pour devenir juge au tribunal ecclésiastique à Jérusalem. De 1981 à 1986, il étudie à l’Université du Latran, où il obtient les doctorats en philosophie et en droit. Official à Jérusalem et professeur au séminaire, il est nommé en 1992 curé et official (président du tribunal ecclésiastique) à Amman. Il fut également consulteur auprès du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux à Rome de 1996 à 2001. Mgr Ghaleb Moussa Abdallah Bader est archevêque d’Alger depuis le 24 mai 2008. JB

Des photos de Mgr Ghaleb Moussa Abdallah Bader peuvent être obtenues à l’apic: jacques.berset@kipa-apic ou apic@kipa-apic.ch, tél. 026 426 48 01 (apic/be)

25 octobre 2009 | 12:38
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 10  min.
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