Une exposition pour que le monde retienne les leçons de la barbarie nazie

Genève: Quelque 1’500 élèves visitent l’exposition «sensorielle et thématique» sur la shoah

Genève, 31 janvier 2010 (Apic) Du 28 janvier au 2 février, quelque 1’500 étudiants romands – venus en majorité des établissements scolaires du canton de Vaud, ainsi que de Genève et du Valais – visitent l’exposition «Ressentir l’indicible» à la Halle 71 de Genève-Palexpo. Ils en ressortent fortement secoués, et veulent rester vigilants face au risque qu’une telle entreprise de déshumanisation puisse un jour ressurgir. Ils sont également critiques face aux conflits actuels, en mentionnant notamment la situation non encore résolue au Proche-Orient.

Elaborée à l’occasion de la Journée internationale dédiée par l’ONU à la mémoire de l’Holocauste et à la prévention des crimes contre l’humanité, cette exposition «sensorielle et thématique» sur la shoah – l’extermination des juifs par les nazis – est mise sur pied par la CICAD, la Coordination Intercommunautaire contre l’Antisémitisme et la Diffamation, basée à Genève.

L’événement, qui se veut pédagogique, se base sur la thématique des 5 sens. Ne pas oublier afin de tirer les leçons de l’Histoire, tel est l’objectif de la CICAD. «Vous êtes au lendemain d’une journée particulière qu’est la commémoration de l’Holocauste», rappelle Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la CICAD, aux quelque 80 étudiants et 8 enseignants de Corsier-sur-Vevey, du Collège de l’Elysée à Lausanne et du Collège de Staël, à Genève, venus visiter l’exposition sur la shoah en ce début d’après-midi du 28 janvier.

Les cantons romands n’ont pas tous répondu présents

Ils font partie des élèves et étudiants qui ont répondu présents à l’invitation émise par la CICAD à tous les départements de l’éducation romands – bien que seuls les cantons de Vaud, majoritaire, de Genève et du Valais aient honoré l’invitation. La moyenne d’âge avoisine les 15 ans, car «les plus jeunes pourraient être choqués», selon une organisatrice. Mais les collégiens sont un peu plus âgés. Une étudiante du Collège de Staël, à Genève, confirme: «Les images sont choquantes. Surtout la propagande, les slogans qui incitaient à haïr les juifs».

La CICAD n’en est pas à sa première activité pédagogique – conférences dans les écoles, réalisation d’outils pédagogiques, voyages annuels d’étude au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, etc. Elle innove pourtant aujourd’hui par la démarche de son exposition – dont la partie technique a été assurée par l’agence Events Concept – qui se base sur les 5 sens.

La visite débute dans un couloir où sont projetées des images de l’avant-guerre, sur fond de musique; les crises sociales, le franquisme, la montée du nazisme; s’ensuit un bruit de verre cassé des vitrines brisées – les pogroms antijuifs de la «Nuit de Cristal» dans le IIIème Reich les 9 et 10 novembre 1938 – la voix gutturale d’Adolf Hitler: l’ouïe à l’épreuve pour la montée en puissance de l’antisémitisme. Dans un «sas» suivant, le visiteur est «embarqué» par des images de train, la déportation, pour se retrouver face au spectacle terrifiant du camp de concentration et de la sélection des déportés par des «médecins», pour le travail forcé ou la mise à mort immédiate: la vue.

Puis le toucher: l’exposition invite à toucher briques, jute, barbelés. Une pancarte met en garde: «Fils de fer barbelés. Touchez avec précaution».

Montée du nazisme: bruit et fureur

L’indication rappelle au visiteur qu’il est bien loin de la réalité qu’on a voulu montrer: précaution versus rudesse. L’exposition se poursuit à travers des odeurs de caoutchouc brûlé – auxquelles étaient exposés les travailleurs forcés d’Auschwitz III à l’usine de caoutchouc synthétique de la Buna Werke. Elle se termine par la projection d’images de conflits actuels autour du monde: Rwanda, Darfour, Cambodge des Khmers rouges, Bosnie… avec en point de mire la question: «Le monde apprendra-t-il jamais ?».

Daniel Sottas, qui enseigne au Collège de Staël, remarque avec intérêt devant ses élèves: «Oui, ça c’est vrai ! Ce n’est pas fini…!» Si le jeune public est attentif durant la visite, il n’en demeure pas moins critique à l’égard du concept des 5 sens. Ainsi, trois étudiantes du Collège de Staël s’accordent à dire que l’idée n’est pas assez développée: «Ils ont voulu innover, mais ça n’est pas très pertinent». Le professeur estime que cette approche, intéressante, ne doit pas dispenser de l’analyse.

«L’exposition m’a moins touchée. J’ai besoin de témoignages»

De façon générale, la préférence est donnée non pas à l’exposition, mais à au film qui la clôture, réalisé par la CICAD en 2009 en partenariat avec Nomades productions. Intitulé «Des récits contre l’oubli – Mémoires croisées, des rescapés témoignent», il existe aussi sous forme d’un double DVD et est conçu comme un outil éducatif et pédagogique principalement destiné aux établissements scolaires. Il donne la parole à six survivants qui habitent en Suisse: Ruth Fayon, Noëlla Rouget, Léon Reich, Laszlo Somogyi, Otto Klein et David Planer.

Ces témoignages de 6 anciens rescapés des camps de concentration alternent avec des images d’archives. Les souvenirs décrits se révèlent également à travers les sens. Noëlla Rouget évoque «des bruits, des aboiements, des vociférations», l’éblouissement de la lumière au sortir des wagons, les brimades des SS qui frappent «à coups de ›schneller’» ou encore la puanteur dont souffraient les détenus: «Il n’y avait qu’un seau pour nos besoins». Et le silence règne dans le public attentif. Audrey, étudiante en 9e au collège de l’Elysée à Lausanne, le confirme: «C’est par le film qu’on sent ce que les gens ont vécu».

L’absence des catholiques

«Ce type d’exposition invite d’autres minorités également», relate Johanne Gurfinkiel qui mentionne la présence de la communauté rwandaise (à travers l’association IBUKA) lors de la cérémonie officielle tenue la veille. Y étaient présents également Charles Beer, conseiller d’Etat genevois, président du Département de l’Instruction Publique, Laurent Huguenin-Elie, journaliste à la TSR, Patrick Vallélian, journaliste à L’Hebdo et Me Alain Bruno Lévy, président de la CICAD.

Johanne Gurfinkiel déplore toutefois l’absence de représentants catholiques: «Tous les dignitaires catholiques romands ont été invités. Le président du Synode de l’Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud et quelques pasteurs étaient là. Mais aucun représentant catholique, dommage…»

Le secrétaire général souligne l’effort de la CICAD à régulièrement inviter les catholiques: «En 2006, pour célébrer le 40e anniversaire de Nostra Aetate, nous avions fait venir à Genève le cardinal Lustiger, le cardinal Georges-Marie Cottier, Mgr Amédée Grab, président de la Conférence des évêques suisses, Mgr Kurt Koch … Ces rencontres sont le fruit de notre initiative». Il se dit «triste» d’une telle absence «surtout dans le moment actuel» où divers événements entachent les relations entre juifs et catholiques.

Parmi ceux-là, Johanne Gurfinkiel énumère les propos négationnistes tenus par l’évêque traditionaliste britannique Richard Williamson devant une chaîne de télévision suédoise en janvier 2009; la levée d’excommunication du même évêque, issu de la Fraternité Saint-Pie X, par le pape Benoît XVI, peu de temps après l’annonce de ces propos; le décret du Vatican ouvrant la voie à la béatification de Pie XII, pape durant la Seconde Guerre mondiale, accusé – par certains milieux – d’avoir été silencieux face à l’extermination des juifs par les nazis; enfin, la récente publication de commentaires de l’évêque émérite polonais Tadeusz Pieronek, affirmant que les juifs s’étaient «approprié» l’Holocauste comme une «arme de propagande». LCG/JB

Encadré

Elèves critiques face à la politique israélienne

Si Johanne Gurfinkiel juge la démarche de cette exposition non politisée (la CICAD, dans la documentation où elle présente ses 4 axes d’action, se donne cependant comme objectif la «défense de l’image d’Israël lorsqu’elle est diffamée»), un professeur d’histoire du Collège de Staël regrette quant à lui l’absence d’allusion à la politique israélienne. En effet, aucune prise de recul par rapport à la politique d’Israël n’y apparaît, notamment en fin d’exposition, lorsque sont évoqués les conflits mondiaux et qu’est lancé l’appel «pour demander au monde de retenir les leçons de la shoah». Certes, le professeur ne veut pas comparer les situations et les mettre au même niveau, mais pour lui, comme pour nombre de ses élèves, les droits de l’homme sont indivisibles.

Concerné par les événements en Palestine, Stéphane, élève de 9e au collège de l’Elysée, qui s’est déjà rendu à Auschwitz, évoque: «Il faut être conscient de la shoah. Mais je n’aime pas qu’on prenne la shoah comme prétexte pour justifier la politique israélienne en Palestine». Florian Giacobino et Romain Emery, du Collège de Staël, qui craignent l’absence de vigilance face à la montée du racisme et de l’antisémitisme – «on a l’impression que cela n’arrivera plus, mais chez nous, avec une certaine propagande politique, quand l’étranger devient le bouc émissaire de tous les problèmes, on est déjà sur la 1ère marche… Mais d’autre part, quand on critique la politique de l’Etat d’Israël envers les Palestiniens, on est vite traité d’antisémite!» (apic/lcg/be)

31 janvier 2010 | 17:40
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
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