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Dossier

Vatican: Immeuble de Londres: retour sur un procès laborieux 1/2

11 décembre 2023 | 17:00
par I.MEDIA
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Le procès de l’affaire dite ‘de l’immeuble de Londres’ touche à sa fin: entre le 13 et le 16 décembre 2023, le juge Giuseppe Pignatone devrait rendre son verdict, après plus de 80 audiences et près de deux ans et demi de procédure. Analyse d’un procès hors norme pour le Vatican.

Camille Dalmas et Isabella de Carvalho/I.Média

Ce procès aux ramifications tentaculaires a pu être perçu comme le signe de la volonté ferme du pape François d’en finir avec les affaires financières au sein de la Curie romaine. Alors que la procédure s’approche de son terme, I.Média fait un premier bilan de cette affaire qui s’est avérée délicate, voire périlleuse, pour la justice vaticane comme pour le pontife.

Au printemps 2019, Gianfranco Mammi, directeur de l’Institut pour les œuvres du Vatican (IOR) – la ‘banque privée’ du Vatican – décidait de signaler au Bureau du promoteur de justice une demande de prêt effectuée par la secrétairerie d’État qu’il jugeait irrecevable et suspecte. Pour la justice vaticane, c’est le début d’une longue enquête qui va aboutir, en juillet 2021, à l’ouverture d’un procès historique. Pour la première fois, un cardinal se retrouve sur le banc des accusés, en la personne d’Angelo Becciu, ancien substitut de la secrétairerie d’État et ‘numéro 3 du Saint-Siège’.

L’immeuble du scandale est situé sur Sloane Avenue, à Londres | © Timitrius/Flickr/CC BY-SA 2.0

Quand l’enquête est lancée en 2019, la plus grande partie de ‘l’affaire’ est déjà connue au plus haut niveau au Vatican. Depuis décembre 2018, la secrétairerie d’État tente de résoudre cette crise, décidant dans un premier temps – avec l’accord du pape – de la régler en interne afin de limiter les pertes.

Les difficultés rencontrées concernent un immeuble à Londres que la secrétairerie d’État possède depuis 2014. Après le signalement interne, le Bureau du promoteur va alors examiner les opérations économiques entourant cet ancien siège de Harrod’s, situé au numéro 60 de Sloane Avenue dans le quartier chic de Chelsea à Londres. Il se rend alors compte que ces opérations ont été défavorables au Saint-Siège, et entame un long travail d’enquête. Celui-ci aboutit au renvoi de plusieurs employés et est rendu public par le pape François en novembre 2019, ce dernier évoquant des «cas de corruption».

La disgrâce du cardinal Becciu

L’enquête va se poursuivre avec plusieurs perquisitions et l’arrestation d’un banquier, Gianluigi Torzi, qui va être incarcéré pendant dix jours au Vatican en juin 2020. En septembre de la même année, le pape François décide subitement de retirer ses droits de cardinal à Angelo Becciu, substitut de la secrétairerie d’État entre 2012 et 2018, quelques jours seulement avant que des articles ne le mettent en cause dans plusieurs scandales financiers.

Le promoteur de justice a requis 7 ans et trois mois de prison contre le cardinal Becciu | © Vatican News

Face à la disgrâce papale et aux accusations médiatiques, le cardinal italien réfute toute malveillance. Des articles lui reprochent, outre son rôle dans les opérations entourant l’immeuble londonien, un don de 150’000 euros à une association diocésaine gérée par son frère en Sardaigne ainsi que l’embauche, contre près de 600’000 euros, d’une «experte en diplomatie informelle», Cecilia Marogna, pour la libération d’une religieuse capturée par des djihadistes dans le Sahel.

Le 27 juillet 2021, le grand procès dit «de l’immeuble de Londres» s’ouvre finalement. Le dossier construit par le promoteur de justice affirme que la secrétairerie d’État a perdu entre 139 et 189 millions d’euros dans diverses opérations financières.

Se retrouvent assis sur le banc des accusés, outre le cardinal Becciu, Cecilia Marogna, à qui il est reproché d’avoir dilapidé l’argent censé permettre de libérer la religieuse, deux banquiers qui ont géré l’immeuble de Londres – Raffaele Mincione et Gianluigi Torzi -, l’avocat de ce dernier (Nicola Squillace), deux employés de la secrétairerie d’État (Fabrizio Tirabassi et Mgr Mauro Carlino), un conseiller financier (Enrico Crasso) ainsi que les deux anciens dirigeants de l’entité anti-blanchiment d’argent du Vatican (René Brülhart et Tommaso di Ruzza) qui n’auraient pas signalé les irrégularités de l’opération immobilière.

La présentation des éléments rassemblés par le promoteur de justice Alessandro Diddi lors du procès a permis de constater que de nombreuses erreurs avaient bien été commises à tous les niveaux de l’appareil de la secrétairerie d’État.

Cecilia Marogna connaissait le cardinal Becciu depuis 2015 | capture I.Media

Cependant, les avocats de la défense affirment que le promoteur a construit son réquisitoire sur une idée préconçue plutôt que sur les faits. Et ils affirment qu’il n’est pas capable d’apporter des preuves indiscutables qui permettent de soutenir sa thèse, celle de malfaiteurs qui auraient abusé d’un système faible, en agissant parfois de manière coordonnée.

Pression sur les témoins

La thèse défendue par le promoteur de justice s’appuie notamment sur le témoignage d’une personnalité qui est apparue centrale dès le début du procès: Mgr Alberto Perlasca, ancien responsable des finances de la secrétairerie d’État. Ce dernier, expert de la gestion des biens ecclésiastiques en charge des finances de l’administration centrale du Vatican entre 2009 et 2019 et donc au cœur du système, n’a pas été mis en cause par le promoteur. Il est même partie civile dans le procès, en tant que victime présumée d’une subornation de témoin de la part du cardinal Becciu.

Cependant, la crédibilité de Mgr Perlasca, qui a pointé du doigt la responsabilité du cardinal Becciu et d’autres accusés, a été ébranlée pendant le procès. Lors d’une audience le 13 janvier 2023, il est apparu qu’il avait été influencé par deux personnalités singulières: Genoveffa Ciferri Putignani, et surtout Francesca Immacolata Chaouqui.

Mgr Alberto Perlasca s’est positionné comme un simple exécutant, renvoyant la prise de décision vers Angelo Becciu | DR

«Chaouqui est comme le charbon, qui la touche se salit», a-t-on pu entendre au cours d’une audience. La jeune femme est bien connue au Vatican: elle a déjà été condamnée par la justice du petit État en 2014 pour son rôle dans une affaire de fuites d’informations, ‘Vatileaks 2’, condamnation qu’elle impute au cardinal Becciu, son ‘adversaire’.

En 2020, Chaouqui et Genoveffa Ciferri – une amie de Mgr Perlasca qui s’est présentée comme sa protectrice – auraient participé activement à la préparation d’un mémoire de défense que Mgr Perlasca, alors interrogé par la justice vaticane, a remis au promoteur de justice. Ce texte est le premier document dans lequel Mgr Perlasca met en cause le cardinal Becciu. Ce dernier dira plus tard qu’il s’agissait-là d’une «cruelle vengeance» de Chaouqui.

Selon le témoignage de Genoveffa Ciferri, Francesca Immacolata Chaouqui l’aurait manipulée, elle et son ›protégé’, en lui faisant croire qu’elle travaillait avec la gendarmerie vaticane et le promoteur de justice Alessandro Diddi – ce qui n’était pas le cas. Ce dernier est apparu très embarrassé par ces révélations qu’il n’avait pas anticipées, et a annoncé l’ouverture d’une autre enquête.

Mais il a affirmé dans son réquisitoire que l’intervention de Ciferri et Chaouqui n’avait pas influé sur la vision d’ensemble qu’il avait des faits et que sa démonstration ne reposait pas sur le seul témoignage de Mgr Perlasca.

À noter que certains avocats de la défense ont mis en cause le témoignage d’autres témoins présentés par le promoteur, notamment l’architecte Luciano Capaldo. Ce dernier avait récupéré la gestion de l’immeuble de Londres de mai 2019 jusqu’à juin 2022. (cath.ch/imedia/cd/ic/bh)

> Encore plus qu’une éventuelle malveillance, le procès a peu à peu révélé une forme d’amateurisme présent au plus haut niveau de la Curie romaine, mettant en exergue une Secrétairerie d’Etat défaillante. Le procès présente aussi des risques pour le système judiciaire du Vatican. Ne manquez pas la deuxième partie de notre analyse, demain à 17h.

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11 décembre 2023 | 17:00
par I.MEDIA

Le procès de l’affaire dite 'de l’immeuble de Londres’ touche à sa fin: entre le 13 et le 16 décembre 2023, le juge Giuseppe Pignatone devrait rendre son verdict, après plus de 80 audiences et près de deux ans et demi de procédure. Analyse d’un procès hors norme pour le Vatican.

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