Vatican: la crèche de la polémique
La crèche de la salle Paul VI du Vatican – où le pape tient ses audiences générales en hiver –, a semé la polémique. La présence d’un keffieh, foulard traditionnel utilisé par les Palestiniens comme symbole national, lors de l’inauguration avec le pape François le 7 décembre 2024, a suscité des protestations de la part des Israéliens.
Est-il légitime de placer dans une installation religieuse un élément ayant une signification politique très polarisante ? Telle est la question que cath.ch a posé à deux commentateurs, Eliezer Shai Di Martino, rabbin de la Communauté Israélite de Lausanne et du Canton de Vaud (CILV) et Sami Aldeeb, chrétien d’origine palestinienne et docteur en droit. Les titres et exergues sont de la rédaction.
COMMENTAIRES
Présenter Jésus comme un ‘Palestinien’ en keffieh est absurde historiquement et théologiquement
Eliezer Shai Di Martino

Dans l’air chargé de décembre, alors que les crèches illuminent les foyers, un paradoxe interpelle : combien se rappellent que le Nouvel An chrétien, célébré le 1ᵉʳ janvier, marque aussi une étape essentielle dans la vie d’un enfant juif ? Ce jour correspond à la circoncision de Jésus, un rituel juif ancestral. Pourtant, cette vérité historique, longtemps admise par l’Église, reste largement méconnue.
Dans un monde où narrations historiques et politiques s’affrontent, les Juifs restent au cœur d’accusations anciennes, habilement réinventées pour s’adapter aux conflits contemporains. Ainsi, présenter Jésus comme un «Palestinien» en keffieh, absurde historiquement et théologiquement, reflète une tendance dangereuse : le recyclage des accusations, du déicide au génocide, selon les contextes idéologiques.
L’accusation de déicide, qui a empoisonné les relations entre christianisme et judaïsme pendant des siècles, persiste apparemment dans certains milieux, malgré son rejet officiel par l’Église catholique en 1965 avec (la déclaration conciliaire NDLR) Nostra Aetate. La phrase de Matthieu 27:25, rendant collectivement les Juifs responsables de la mort de Jésus, a alimenté des siècles de judéophobie et préparé le terrain aux persécutions, de l’Inquisition à la Shoah.
«Jésus était un Juif pratiquant, respectueux de la loi mosaïque.»
Aujourd’hui, cette rhétorique évolue en accusations de génocide contre Israël, reposant sur un mécanisme similaire: imputer à un peuple un crime collectif, en écartant les faits et nuances. Le portrait de Jésus comme un «Palestinien» illustre cette falsification. Jésus était un Juif pratiquant, respectueux de la loi mosaïque. La notion de «Palestine» n’a été introduite qu’au IIᵉ siècle par les Romains, bien après la mort du Christ. Associer le Keffieh à la nativité ou à la crucifixion reflète une manipulation idéologique, visant à nier les racines juives du christianisme tout en délégitimant judaïsme et sionisme.
On observe une continuité entre trois accusations majeures: 1.Le déicide, où les Juifs sont accusés du meurtre de Dieu. 2.Les crimes rituels, attribuant faussement des sacrifices humains aux rites juifs. 3.Le génocide, accusation moderne contre Israël.
Ces mythes, nourris par des préjugés, perpétuent une haine millénaire. Aujourd’hui, l’accusation de génocide illustre une obsession antijuive où Israël devient un bouc émissaire universel. Ce phénomène révèle ce que l’on pourrait appeler le «facteur J»: une fixation irrationnelle sur tout ce qui touche aux Juifs ou à Israël.
Le «facteur J» incarne une obsession où les Juifs se voient investis d’un rôle mythique, unique dans l’histoire. De l’accusation de déicide à l’assimilation du sionisme à un colonialisme génocidaire, il reflète fantasmes collectifs.
Gustave Le Bon a écrit: «Les hommes les plus éminents ne dépassent que bien rarement le niveau des individus les plus ordinaires. Entre un grand mathématicien et son bottier il peut exister un abîme au point de vue intellectuel, mais au point de vue du caractère la différence est le plus souvent nulle ou très faible.» (Psychologie des foules, page. 17).
«La ‘palestinisation’ de Jésus nourrit des malentendus entre Juifs et chrétiens, exacerbant les tensions autour du conflit israélo-palestinien.»
Cette dynamique explique comment même des universitaires sombrent dans une obsession judéophobe, inversant les rôles: les agresseurs deviennent victimes, et les victimes, bourreaux.
Dans ce contexte, les responsables religieux et intellectuels ont un rôle clé. La «palestinisation» de Jésus nourrit des malentendus entre Juifs et chrétiens, exacerbant les tensions autour du conflit israélo-palestinien.
L’accusation de génocide, comme celle de déicide, n’est pas une simple erreur. Elle perpétue une haine ancestrale sous des habits modernes. Rétablir la vérité est essentiel pour contrer ces narratifs et promouvoir la dignité humaine.
En cette période de Noël, rappelons que Jésus était un enfant juif, enraciné dans une tradition et une culture. Reconnaître cette vérité ne diminue pas la foi chrétienne, mais favorise respect mutuel et paix. Joyeux Noël à nos frères et sœurs chrétiens!
Le Vatican et tout autre État ont le devoir moral et juridique de dénoncer les crimes
Dr Sami Aldeeb

Israël a exterminé 14’000 enfants palestiniens et 10’000 femmes palestiniennes… avec les armes et le soutien politique et économique des régimes occidentaux. Ces pratiques israéliennes sont condamnées par la Cour pénale internationale comme crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Israël est le pays qui tue le plus de journalistes dans le monde. La Fédération internationale des journalistes signale que plus de 145 journalistes ont été tués par l’armée israélienne depuis octobre 2023 à Gaza. Des zones entières de la Bande de Gaza ne sont plus du tout accessibles et on ne sait pas ce qui s’y passe. Il n’est donc pas étonnant qu’Israël et les communautés juives sionistes s’insurgent contre la présence d’un keffieh dans la crèche palestinienne du Vatican alors qu’Israël voudrait poursuivre ses crimes contre les Palestiniens en silence, sans que personne n’en parle.
«Personne de nous dans cette région tourmentée n’a choisi sa religion, son nom ou sa famille»
En tant que Suisse chrétien d’origine palestinienne, je condamne tout recours à la violence, quel que soit son auteur ou ses victimes. Personne de nous dans cette région tourmentée n’a choisi sa religion, son nom ou sa famille. Pourquoi alors se faire tuer et être privé des droits fondamentaux pour des choses que l’on n’a pas choisies? Je plaide pour un seul État avec des droits égaux pour tous quelles que soient leurs religions, selon le modèle de la Suisse dont j’ai traduit la Constitution en arabe à la demande de la Confédération.
Je ne suis ni pour le Hamas, ni pour Israël. Le Hamas a été créé par Israël et financé par le Qatar à la demande d’Israël, et le 7 octobre n’est qu’une mise en scène macabre de la part d’Israël pour justifier ses crimes contre les Palestiniens. La preuve? Israël a retiré son armée de la frontière avec Gaza quelques jours avant le 7 octobre pour permettre au Hamas de traverser la frontière et de commettre ses crimes contre des civils israéliens et de prendre des otages israéliens.
«En critiquant le Vatican, Israël et les communautés juives sionistes cherchent à museler toute prise de conscience face à ces crimes.»
Le Vatican et tout autre État et institution ont le devoir moral et juridique de dénoncer les crimes par tous les moyens à leur disposition, quels que soient les auteurs de ces crimes et leurs victimes. En critiquant le Vatican, Israël et les communautés juives sionistes cherchent à museler toute prise de conscience face à ces crimes. Cette attitude est immorale, d’autant plus qu’aucune perspective de paix juste n’est présentée par Israël qui ne fait que massacrer, affamer et détruire, transformant la Bande de Gaza en un grand camp de concentration pour plus de deux millions d’êtres humains. Garder le silence devant ces crimes constitue un acte de complicité.
Signalons ici que des hommes et des femmes, mais aussi des enfants, qui furent prisonniers du Hamas pendant des mois après l’attaque du 7 octobre, ont été reçus le 14 novembre 2024 par le pape au Vatican. Pourquoi alors refuser au Vatican le droit de se solidariser avec les victimes palestiniennes de la politique israélienne? N’est-ce pas là une volonté de faire taire tout le monde devant les crimes israéliens?
(cath.ch/com/mp)