Jérusalem:Le pape présent au Mur des lamentations, lieu le plus sacré des juifs
Visite du pape Jean Paul II en Terre Sainte
Jean Paul II demande pardon à Dieu pour les souffrances des juifs
De notre envoyée spéciale Caroline Boüan
Jérusalem, 26 mars 2000 (APIC) Pour la première fois dans l’histoire, un pape s’est rendu dimanche matin au Mur des lamentations, le lieu le plus sacré des juifs vénéré comme l’unique vestige du Temple de Salomon. Jean Paul II tenait particulièrement à toucher les gros blocs du mur occidental et il a placé d’une main tremblante un billet dans un interstice entre les immenses pierres d’un jaune ocre, comme le font les juifs pieux. Dans son message dactylographié, le pape demande pardon à Dieu pour les souffrances des juifs à travers l’histoire.
Le pape, qui avait gardé sa croix malgré les protestations de juifs ultraorthodoxes, a appelé à la fraternité entre les fils d’Abraham et les peuples de l’Alliance. Selon la police, plusieurs extrémistes de droite ont été arrêtés pour avoir tenté de manifester contre la venue du pape au Mur occidental, tandis qu’au moins un juif ultraorthodoxe a été emmené par la police après avoir crié des insultes contre le pape.
Plus jamais l’Inquisition et les horreurs des camps de concentration
Jean Paul II a été accueilli par le rabbin chef du Mur et deux rabbins membres du gouvernement israélien. L’un d’eux, le ministre Melchior, chargé des juifs de la diaspora, a pris la parole pour saluer le pape, et évoquer les souffrances des juifs aux temps de l’Inquisition, les horreurs des camps de concentration, et les efforts des juifs pour défendre leur Etat. «Plus jamais !», s’est-il exclamé à de nombreuses reprises, en remerciant par ailleurs Jean Paul II pour son engagement pour plus de justice envers son peuple.
Jean Paul II a à son tour lancé un appel pour un véritable rapprochement entre juifs et chrétiens au cours d’un nouveau «mea culpa» chargé d’émotion. Jean-Paul II s’est alors approché du mur pour y réciter en latin le psaume 122, qui est un «salut à Jérusalem» composé par le roi David, dans lequel Jérusalem est décrite comme «une ville où tout ensemble fait corps». Le pape a récité le psaume et a déposé une prière sur les juifs qu’il avait lue lui-même le 12 mars dernier dans la Basilique Saint-Pierre lors de la cérémonie de demande de pardon à l’occasion du Jubilé.
Le Souverain pontife avait réaffirmé alors, au noms de tous chrétiens, vouloir s’engager pour créer des liens de «fraternité» avec «le peuple de l’Alliance». «Dieu de nos pères, Vous avez choisi Abraham et ses descendants pour amener Votre nom aux nations. Nous sommes profondément attristés par le comportement de ceux qui dans le cours de l’histoire ont fait souffrir vos enfants et nous demandons votre pardon», avait écrit le pape en anglais sur le billet blanc glissé dans le Mur.
«Un pas en avant dans l’histoire», «un point culminant du point de vue juif»
C’est «un pas en avant dans l’histoire», a aussitôt commenté le Ministre israélien de la Sécurité intérieure Shlomo Ben-Ami, lui-même professeur d’histoire européenne: «Pour la première fois, le pape a explicitement demandé pardon aux juifs», a-t-il déclaré à la radio israélienne. «Il a touché le Mur, mais le Mur l’a aussi touché. Il y a quelque chose d’une beaucoup plus grande signification spirituelle de faire cette demande de pardon au lieu sacré du judaïsme, sous autorité israélienne», a déclaré pour sa part le ministre Michael Melchior, qui a salué la venue du pape.
«Il ne voulait pas quitter le ’Kotel’ et il était très ému», a précisé Michael Melchior, qui a qualifié ce moment de «point culminant du point de vue juif. (…) Il est venu à un endroit où de nombreux chefs d’Etat refusent d’aller. C’est un acte historique de réconciliation.»
De son côté, le maire de Jérusalem Ehud Olmert a déclaré à la presse israélienne que c’était une honte que les deux Grands Rabbins n’étaient pas présents pour saluer le pape quand il s’est rendu au lieu le plus sacré du judaïsme.
Revendications musulmanes sur Jérusalem
Juste au-dessus du Mur des Lamentations, sur l’Esplanade des Mosquées, le pape avait rencontré auparavant les dignitaires musulmans, dont le mufti de Jérusalem, et des responsables politiques palestiniens, notamment Faysal Husseini, ministre de l’Autorité palestinienne pour Jérusalem. Appelée par les musulmans le «Haram al-Charif» (Noble sanctuaire), l’Esplanade est le troisième lieu saint de l’islam après La Mecque et Médine, où se trouvent les Mosquées du Dôme du Rocher et Al Aqsa. Al-Aqsa signifie «la plus lointaine», parce que ce serait d’après le Coran, l’endroit le plus éloigné où le prophète Mahomet se serait rendu.
Lors de sa rencontre avec le grand mufti de Jérusalem et de Terre Sainte, le Cheikh Ikrimah Sabri, sur la large plate-forme plantée d’arbres où s’élève la célèbre mosquée Al-Aqsa, construite au VIIème, et le Dôme du Rocher à la coupole d’or édifié un siècle plus tard, le pape a été accueilli avec cordialité.
Au cours de cette rencontre, qui au total a duré une demi-heure, le Cheikh Ikrimah Sabri a tenu à faire part à Jean Paul II de plusieurs revendications des musulmans palestiniens. Les jours précédents, il était déjà intervenu plusieurs fois dans la presse à ce sujet, exprimant son souhait de voir le pape transmettre à Israël leurs demandes de justice et de liberté, et affirmant vouloir demander l’aide de Jean Paul II pour mettre fin «à l’occupation israélienne et aux souffrances des Palestiniens».
Si toute l’esplanade du temple était vide lors de cette rencontre, de nombreux policiers israéliens assuraient pourtant une surveillance sévère sur le site, tandis que deux hélicoptères le survolaient en permanence, créant une certaine tension, malgré le calme du lieu, parmi les quelques journalistes palestiniens qui assistaient à l’événement. Ces hélicoptères n’ont toutefois pas empêché qu’un drapeau palestinien ne vienne voler au-dessus du dôme pendant la rencontre, soutenu par des ballons.
Le directeur du Bureau de représentation de l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP) auprès du Saint-Siège, Afif Safieh, a déclaré à l’APIC être «très heureux» de cette visite du pape pour deux raisons. «D’une part, le fait que le mufti reçoive le pape chez lui, dans un lieu saint, est un moment important pour faire progresser le dialogue entre chrétiens et musulmans», a-t-il souligné. «D’autre part, je pense que grâce à cette rencontre, le pape quittera la Terre Sainte en comprenant mieux la douleur du peuple palestinien et son aspiration à plus de justice». «J’espère aussi, a ajouté Afif Safieh, que cela contribuera un peu à diminuer les possibilités d’exploitation politique de sa venue à Jérusalem par les juifs».
Des drapeaux palestiniens flottent sur Jérusalem-Est
A Jérusalem-Est, les enfants des écoles ont agité des drapeaux palestiniens et des fanions du Vatican quand le pape a commencé à visiter les lieux saints dans la vieille ville de Jérusalem annexée par Israël, en 1967. La police israélienne n’a rien entrepris pour empêcher les manifestations palestiniennes, mais a tout de même fait descendre certains grands drapeaux de leur mât. Quand le pape s’est approché de l’Esplanade des Mosquées, que les juifs appellent Mont du Temple, un ballon à air chaud aux couleurs palestiniennes s’est envolé au-dessus des lieux saints.
Jean Paul a ensuite célébré une messe au Saint Sépulcre, le plus important sanctuaire chrétien de Jérusalem. C’est à cet endroit, selon la tradition chrétienne, que Jésus a été crucifié sur le Golgotha et que se trouve le tombeau du Christ où fut déposé son corps avant sa résurrection. Après avoir regagné la nonciature apostolique, où il a séjourné durant toute la période de son séjour en Israël et dans les territoires palestiniens, le pape s’est préparé pour repartir à Rome en début de soirée à bord d’un appareil de la compagnie El Al, qui décollera de l’aéroport de Ben Gourion, près de Tel-Aviv. (apic/jpost/bbc/imed/be)