Voyage de Jean Paul II au Mexique (6-13 mai) (030590)

L’agence APIC publie aujourd’hui la seconde partie du dossier consacré au

voyage du pape au Mexique et à Curaçao. (La première a été publiée le 1er

mai.) Un troisième volet, à propos d’une lettre écrite au pape par 325 prêtres mexicains qui se veut «un petit guide à l’usage du pape» en vue de sa

visite complètera le présent dossier. Cette 47e visite pastorale à l’étranger est la deuxième dans ce pays et la neuvième en Amérique latine.

Portrait de l’Eglise mexicaine (II)

Mexico, 3mai(APIC) Jean Paul II rencontrera au Mexique une Eglise jeune

et dynamique. Une Eglise en plein renouveau, que n’épargnent pas non plus

les remises en questions qui traversent les Eglises en Amérique latine dans

la mise en pratique des options pastorales décidées aux assemblées épiscopales de Medellin (Colombie, 1968) et de Puebla (Mexique, 1978). Jean Paul

II ira à la rencontre d’une Eglise qui pourrait bien adresser à son intention des voeux, des souhaits, mais aussi des critiques, sous forme de questions peut-être embarrassantes.

Dans le contexte de l’Amérique latine, l’Eglise mexicaine a aussi ses

singularités. La première est qu’elle est… mexicaine. Il y a à cela plusieurs raisons: son enracinement populaire, dû aux circonstances historiques, sa mise à l’écart de la vie publique, qui l’a contrainte à compter

sur ses seules forces, ou encore le fait que la quasi-totalité de ses plus

de 10’000 prêtres et religieux sont mexicains de naissance. Sur ce dernier

point, il faut rappeler que tous les prêtres et religieux étrangers furent

expulsés (et certains martyrisés) au lendemain des «lois de réforme»

(1857).

Cette assise populaire s’est vérifiée et consolidée aux grands moments

de l’histoire de la Nouvelle-Espagne et du Mexique. Elle trouve son origine

dans le rôle joué par l’Eglise lors de l’invasion et durant la période coloniale, quand l’Eglise se fait l’avocat du petit peuple. Ce sont encore

deux prêtres qui donnent le signal de l’indépendance: Miguel Hidalgo, qui

prend la tête d’un soulèvement d’Indiens et de petites gens en 1810, et José Maria Morelos, qui continue son action de guérilla dans tout le pays et

qui, en 1813, proclame l’indépendance. Tous deux seront exécutés, après

avoir été désavoués par la hiérarchie favorable, elle, au pouvoir espagnol.

Catholiques à la Pierre l’Ermite contre Jacobins

En dépit du rôle joué par de nombreux prêtres aux côtés des insurgés,

les indépendantistes, imprégnés des idées de la Révolution française, et

qui gardent rancune à la hiérarchie d’avoir pris le parti de l’occupant,

vont s’en prendre à l’Eglise, avec d’autant plus de virulence que leur est

refusé le droit de patronat sur l’Eglise dévolu hier encore aux rois de Castille. La persécution de l’Eglise et sa marginalisation vont grandement

contribuer à l’enracinement de l’Eglise dans le terrain mexicain puisque,

dépouillée de ses biens, elle ne peut plus compter désormais que sur le

soutien du peuple. Cette assise populaire et l’indépendance dont elle jouit, l’engagement des catholiques, qui trouvent dans les épreuves et les

croisades successives l’occasion de raffermir et d’approfondir leur foi,

sont pour l’Eglise d’incontestables bienfaits.

La popularité de l’Eglise porte ombrage à un gouvernement qui, en se

proclamant seul «agent révolutionnaire», entend s’arroger le monopole de la

défense du pauvre. L’ambiguïté d’un tel discours n’échappe bien sûr à personne. Un président mexicain n’avouait-il pas il y a quelques années que

«si le gouvernement détient le pouvoir, l’Eglise tient le peuple?» A cet

égard, on ne peut qu’être frappé par la convergence des avis émis par les

historiens de tous bords – y compris ceux qui adhèrent à l’idéologie officielle – sur le conflit qui oppose les autorités civiles, le «Parti officiel», et l’Eglise dans ses différentes composantes, entre ce que le poète

Lopez Velarde appelle «des jacobins primaires» et «des catholiques à la

Pierre l’Ermite», prédicateur de la première croisade qui envoya des foules

de pauvres se faire massacrer par les Turcs.

Du repli à l’ouverture

Revers de la médaille: la relative liberté dont a pu jouir récemment une

Eglise échaudée par les déboires passés a provoqué un repli sur soi et une

extrême prudence. La période de répit qui a suivi les années 40 a incontestablement correspondu à une croissance remarquable d’un Eglise alors frileuse vivant dans sa forteresse et sans ouverture au monde nouveau et pluraliste à laquelle invitait l’ecclésiologie de Vatican II. Au Concile, du

reste, les évêques mexicains, peu habitués à faire des déclarations communes, se parlaient peu.

Les choses ont changé depuis. Dans la foulée des assemblées épiscopales

latino-américaines de Medellin et de Puebla, la théologie de la libération,

le phénomène des communautés ecclésiales de base (CEB) et la présence parmi

les indigènes, les marginaux et les habitants des bidonvilles voient l’engagement de nombreux prêtres, religieux et laïcs. Parmi les 107 évêques mexicains (pour 73 diocèses), certains sont connus pour leur audace: Mgr Mendez Arceo, évêque émérite de Cuernavaca, qui n’a jamais caché ses sympathies pour les révolutionnaires sandinistes et cubains (jusqu’à ce que Rome

l’invite à plus de retenue); Mgr Almeida (Chihuahua), lui aussi rappelé à

l’ordre par Rome pour avoir dénoncé des fraudes électorales; Mgr Ruiz (San

Cristobal de las Casas), l’avocat des indigènes du Chiapas; Mgr Lona Reyes

(Tehuantepec), qui a récemment déclaré à propos de la révision de l’article

130 de la Constitution (sur le statut de l’Eglise): «Il y a deux conceptions de l’Eglise: les uns veulent qu’elle soit considérée comme le peuple

de Dieu, les autres en font une affaire de droit»; Mgr Carrasco (Oaxaca),

qui après avoir demandé un auxiliaire, s’est vu imposer un coadjuteur.

Les risques de l’engagement

Parmi ces évêques, trois appartiennent à la région pastorale du Pacifique Sud (les évêques Ruis, Lona Reyes et Carrasco), une région qui a récemment été l’objet de la sollicitude de Rome et qui, aux yeux des tenants de

la théologie de la libération, des prêtres et laïcs engagés dans les communautés de base pourrait servir de test en vue d’un «rééquilibrage à la

brésilienne».

La nomination du coadjuteur de l’évêque d’Oaxaca, Mgr Gonzalez Martinez,

a été ressentie comme un échec cuisant dans les neuf diocèses de la région.

Les chrétiens ont aussitôt exprimé leur solidarité avec Mgr Carrasco. Un

évêque de la région pour qui les dernières nominations épiscopales «ont

brisé l’unité des évêques de la région» a protesté en ces termes: «C’est un

cheval de Troie que l’on introduit au sein de la Conférence épiscopale».

A peine nommé coadjuteur, Mgr Gonzalez Martinez annonçait la couleur, en

demandant la fermeture du séminaire régional «Seresure». Une décision qui

semble avoir été prise contre la majorité des évêques de la région et malgré les protestations de l’équipe des formateurs. «Auparavant, être envoyé

dans la sierra pour servir les pauvres et les indigènes était considéré

comme un châtiment. Pas pour les prêtres sortis de ’Seresure’», protestent

ces derniers.

Le tort des quelque 160 prêtres sortis de «Seresure» depuis sa création

il y a vingt ans a été, selon les reproches, de travailler en équipes et

d’organiser la pastorale autour des communautés ecclésiale de base. C’est

encore un évêque qui critique en affirmant: «Rome semble plus attentif à

ceux qui critiquent… Rome a peur des laïcs engagés dans la libération.

Peur du marxisme. Car les communistes de base sont bien entendus «marxistes». Raison pour laquelle Rome fait tout pour couper les évêques des

communautés de base…»

Dans un pays où le laïcat est étroitement impliqué dans les tâches

d’évangélisation, une Eglise où l’un des problèmes les plus urgents à résoudre est le manque de vocation (10’500 prêtres pour 84 millions d’habitants), les inquiétudes qui se font jour dans les diocèses du Pacifique Sud

sont partagées ailleurs. Cela d’autant plus que, dans sa tâche d’évangélisation, l’Eglise mexicaine doit aujourd’hui relever un autre défi: celui de

la présence de plus en plus grande des sectes venues des Etats-Unis en même

temps que les sectes pseudo-religieuses. (apic/cip/pr)

3 mai 1990 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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