Visitation de Marie à Elisabeth /photo:evangile-et-peinture.org
Homélie

Homélie du 20 décembre 2015 (Lc 1, 39-45)

Père Etienne Perrot sj – Eglise Ste-Croix, Carouge, GE

4e dimanche de l’Avent

Lectures bibliques : Michée 5,1-4a ; Hébreux 10, 5-10 ; Luc 1, 39-45


LES TROIS DEGRÉS DE LA MISÉRICORDE

Marie va visiter sa cousine Elisabeth. Apparemment, la miséricorde n’a rien à voir dans cette histoire. Mais cette apparence est trompeuse, car, alors que pour nous la miséricorde suit l’offense ou la faute (et c’est même au pardon reçu que nous mesurons l’importance de l’offense), en revanche, pour Marie, la miséricorde a précédé toute faute. « Le Seigneur fit pour moi des merveilles… il s’est penché sur son humble servante » dira Marie dans le Magnificat. Les théologiens diront de Marie qu’elle a été préservée du péché. C’est pourquoi toute la vie de Marie est baignée dans la miséricorde. Non seulement ses actes publics, depuis Cana jusqu’au pied de la croix, mais encore ses gestes les plus simples, comme cette visite à sa cousine Elisabeth.

Si donc la miséricorde a précédé la rencontre des deux cousines, vous pouvez voir dans cette petite histoire, si vous regardez bien, les reflets de la miséricorde prévenante de Dieu envers Marie. Par ses effets, se révèlent les trois degrés de la miséricorde : la justice, la tendresse et la crainte de Dieu.

La justice, la tendresse et la crainte de Dieu

Et d’abord, la justice. Il ne s’agit pas simplement de la justice humaine que l’on représente traditionnellement par une grande femme les yeux bandés et tenant une balance. Les yeux bandés, pour traiter également les riches et les pauvres, les amis et les ennemis. La balance, pour maintenir l’équilibre entre l’offense et la réparation. Cette justice humaine vise l’ordre public –c’est déjà beaucoup, et jamais pleinement acquis. En revanche, la justice divine contenue dans la miséricorde va plus loin que cet équilibre précaire entre l’offense et la réparation ; elle rend à chacun, dans la particularité de sa vie singulière, incomparable, la vie qui lui est due. La justice divine ne compare pas l’offense et la réparation. Elle ne vise que le bien du coupable. Ce qui permet de sortir d’une justice de l’équilibre, équilibre toujours instable et sujet aux variations de l’opinion publique, et qui fait le lit de la vengeance.

Car sans pardon, l’équilibre que l’on cherche entre l’offense et la réparation est toujours sujet à caution. Pourquoi ? La réponse est évidente : tant le dommage que sa compensation sont ressentis par chacun d’une manière différente, toujours singulière, l’offenseur jugera qu’il a trop payé, l’offensé, au contraire, ne sera jamais satisfait. Le pardon est l’apport essentiel du christianisme à la vie politique disait Hannah Arendt, car il rompt la chaîne de la vengeance.

Ce qui conduit Marie vers sa vieille cousine, c’est bien la justice divine qui vise le bien-être d’Élisabeth dans sa situation singulière, situation si particulière, inattendue, troublante. Dès que Marie apprend que sa cousine est enceinte, elle se hâte.

Vulnérabilité du pardon

Pour  restaurer la vie du coupable, la miséricorde doit accepter de se rendre vulnérable, de s’exposer à l’incompréhension, de se laisser entraîner par cette raison du cœur que l’intelligence humaine ne maîtrise pas. Cette vulnérabilité est celle de la tendresse. Le prophète évoquait la transformation du cœur de pierre en cœur de chair. C’est le deuxième degré de la miséricorde, ce pardon qui jaillit spontanément des lèvres d’un ami. Fruit de l’affection mutuelle, baignée de tendresse, cette vulnérabilité du pardon n’a rien à voir avec ce subtil mépris qui flotte dans le pardon lorsque nous nous sentons tellement supérieur qu’aucune offense semble pouvoir nous atteindre.

Le pardon baigné de tendresse est, comme la fleur, sans pourquoi. Et c’est bien ce que les peintres ont retenu lorsqu’ils ont traduit sur la toile cette rencontre de Marie et d’Élisabeth : un doux baiser, une relation que rien ne peut rompre tellement chacune se livre entre les mains de l’autre. L’a priori de bienveillance entre les deux cousines surmonte tous les dérangements.

La crainte de Dieu, celle de faillir à sa mission qui est de porter la vie

Marie affronte sans trouble une vie dérangée depuis la visite de l’ange. Son premier réflexe est geste de justice envers sa parente dans le besoin. Cette tendresse prend sa source dans la crainte de Dieu. La crainte de Dieu, troisième degré de la miséricorde, est non pas la peur, mais la crainte de mal faire, crainte de faillir à sa mission qui est de porter la vie.

Marie se met au service d’Élisabeth alors même qu’Elisabeth reconnaît en elle « la mère de son Seigneur » ! L’humilité de Marie traduit simplement cet ultime degré de la  miséricorde, qui reconnaît l’origine divine de sa démarche. Nous le ressentons lorsque le pardon que nous accordons déborde comme le prolongement du don reçu. Comme nous le disons dans le Notre Père, c’est le pardon venu de Dieu que nous transmettons lorsque nous pardonnons. Comme l’écrivait un philosophe contemporain, seul ce qui est impardonnable appelle le pardon.

À la veille de Noël qui nous fait entrer dans une ère nouvelle, nous avons dans cette histoire le concentré de l’Ancien Testament qui prépare le nouveau. Marie l’a vécu selon les trois degrés de la miséricorde. Ce que nous rappelle  Michée: pratique la justice, aime avec tendresse, et marche humblement avec ton Dieu.

 


 

4e dimanche de l'Avent/photo:cath.ch 4e dimanche de l’Avent/photo:cath.ch

 

Visitation de Marie à Elisabeth /photo:evangile-et-peinture.org
20 décembre 2015 | 09:15
Temps de lecture: env. 4 min.
Marie (17), Visitation (10)
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