APIC REPORTAGE
Par Pierre Rottet, de l’Agence APIC
20’000 lieux sous les cieux (230392)
Les moines de la Valsainte: si loin du monde mais si proches de Dieu
Fribourg, 20 mars(APIC) Le pont qui enjambe la rivière du Javroz, peu
avant Charmey, en Gruyère, à quelque 40 kilomètres au sud de Fribourg, ouvre sur la route qui mène à la vallée du même nom. Mais aussi au monastère
de la chartreuse de la Valsainte, à peine 4 ans plus jeune que la Confédération. C’est là qu’en 1295, des moines décidèrent de se retirer du monde
pour vivre dans le sillage de saint Bruno. C’est là qu’aujourd’hui 19 Frères et 14 Pères de l’Ordre des Chartreux vivent. Loin des hommes pour mieux
s’unir à Dieu. Dans la prière, le recueillement, la solitude et le silence.
Les toits pointus des bâtiments émergent au détour de la route, pour apparaître bientôt dans leur véritable dimension, élevés et imposants au milieu de la nature. Les tuiles rouges contrastent avec le ciel gris de ce
vendredi. Un ciel à peine un peu plus sombre que le mur d’enceinte du domaine, à peine aussi plus foncé que la longue barbe du Frère portier chargé
de recevoir les rares visiteurs admis à pénétrer à la Valsainte.
9 heures. Avec une demi-heure de retard – le moteur du tracteur ne voulait rien savoir ce matin-là -, les Frères bûcherons, les seuls à pouvoir
franchir quotidiennement les jours de semaine le portail de l’édifice,
s’apprêtent derrière le tracteur qui doit les conduire en forêt. Pour donner la première cognée. Travail important s’il en est pour les moines de la
Valsainte: l’abattage des arbres et le revenu du bois constituant la principale ressource financière du monastère.
Une vie érémitique tempérée de vie communautaire
Comme dans beaucoup d’Ordres, explique le Père…. chargé de l’accueil
des visiteurs et des retraitants, on rencontre chez les chartreux des Pères
et des Frères. Les Pères, qui sont tous prêtres ou appelés à le devenir,
vivent seuls en cellule. Une cellule qu’ils ne quittent que trois fois par
jour pour se rendre à l’Eglise, mais aussi une fois par semaine pour effectuer en groupe une promenade de trois heures environ à l’extérieur du monastère. Les Frères, eux, sont des moines laïcs, mais aussi de vrais contemplatifs. Ceux-ci s’occupent surtout de travaux manuels, de l’entretien de
la maison et de la communauté. A l’instar des Frères bûcherons, chacun
d’entre eux accompli un travail entrecoupé de temps de prière et de recueillement, en dehors des offices, des lectures spirituelles, des oraisons
et des complies… Du Frère hôtelier au Frère cuisinier, du Frère jardinier
au Frère ferronnier et du Frère infirmier au Frère menuisier…
La vie cartusienne est une vie érémitique tempérée de vie commune. Et si
la cellule d’un Frère ne se compose que d’une seule pièce en raison de ses
activités manuelles qui l’appellent à vivre en-dehors une bonne partie de
la journée, celle des Pères ressemble davantage à un «appartement». Le Père
chartreux passe le plus clair de son temps en cellule, ou plus exactement
dans son ermitage. Chaque cellule se compose d’une maisonnette et d’un petit jardin. Plus précisémment d’une pièce appelée «l’Ave Maria» parce
qu’elle contient une statue de la Vierge devant laquelle le moine récite un
«Ave Maria» avant de pénétrer dans le «Cubiculum», la pièce principale,
lieu réservé à l’oraison, à la psalmodie et à l’étude des Saintes Ecritures. Le religieux y prie et y dort. Hormis le dimanche et les jours de fêtes, les Père, comme les Frères du reste, prennent seuls leurs repas dans
les cellules qui s’ouvrent sur un cloître pour aboutir aux lieux communautaires: l’église, la salle du chapitre et le réfectoire. Au sous-sol enfin,
sur une surface égale aux deux pièces, un atelier a été aménagé pour permettre au moine de détendre son esprit en effectuant divers travaux manuels. Et de couper le bois nécessaire à l’alimentation de son fourneau, unique source de chauffage en hiver.
De l’architecture à la vie religieuse
Dans les larges couloirs voûtés du monastère, nos pas résonnent et martellent la pierre ou le plancher grinçant des corridors dont les murs épais
préservent des rares bruits de l’extérieur. Silence rompu. Doublement rompu
avec la voix du Père…Comment expliquer les raisons qui poussent des hommes à s’isoler du monde pour mieux se consacrer à Dieu? «La vie des chartreux et des autres contemplatifs est d’imiter Jésus dans sa vie cachée
comme dans sa vie de pénitence. Or Jésus, c’est l’exemple pour tous les
hommes. Et à plus forte raison pour les chrétiens». La spiritualité des
chartreux consiste à chercher et à trouver Dieu; leur charisme à imiter Jésus dans sa vie pauvre, humble et de pénitence; d’aller à la rencontre de
Dieu dans le silence et la solitude. «Il ne s’agit pas de fuir le monde.
Les jeunes qui viennent ici dans l’espoir de fuir la société et leur responsabilité ne restent pas longtemps. Ils demeurent inquiets et sont des
poids pour la communauté. Ceux qui fuient la société et le monde ne s’entendent avec personne».
«Par notre choix, notre vocation et l’appel que Dieu nous a fait, nous
assumons les grands besoins du monde et de l’Eglise à un autre niveau: celui de la foi, celui de la pénitence, à l’exemple de Jésus et des Pères du
désert. Par notre prière, nous sauvons des âmes et soutenons les gens dans
le monde dans leur lutte pour l’Evangile».
L’homme qui parle, vêtu de sa coule en tissu écru, vit depuis 35 ans à
la Valsainte. Originaire de Saint-Gall, âgé de 61 ans, le Père… a un jour
choisi de quitter son métier d’architecte et tous les bien-être que procurent l’argent. «Oui, témoigne-t-il, j’ai fait des études d’architecte à Paris. A l’époque, je voyageais beaucoup et gagnais de l’argent. Mais je peux
dire que je ne changerais plus ma vie aujourd’hui. J’aimais beaucoup mon
métier… c’est beau de construire. Et moi qui n’ai jamais construit de
cathédrale matérielle, j’ai un jour décidé de faire plus en construisant
des cathédrales spirituelles pour contribuer à l’édification de l’Eglise».
Simplicité, austérité
Le cloître, la salle du chapitre, le réfectoire puis l’église, la bibliothèque ensuite… Les salles se suivent, avec leur histoire, leurs caractéristiques. Toutes ont en commun la simplicité née d’une volonté d’aller à l’essentiel sans jamais accepter le superflu. A vie austère, lieux
austères. Même le cimetiere où repose le cardinal Charles Journet n’y
échappe pas, avec ses croix anonymes en bois noir pour unique souvenir des
moines décédés au cours des siècles. «Des moines que l’on enterre sans cercueil, sur une planche seulement, avec leur coule et le capuchon sur la tête». Pour ce monde, explique avec le sourire le Père…. «Nous sommes et
nous vivons sur une autre planète et à une autre époque. L’essentiel n’est
pas d’être compris par ce monde, mais par Dieu». Reste que «l’homme a un
besoin instinctif de vérité et d’amour authentique. Et l’homme moderne
n’échappe pas à ce constat. Il ne comprend peut-être pas notre vie, mais au
moins cela le fait-il réfléchir».
«Pour nous, commente l’ancien architecte, la prière devient vraiment la
respiration de l’âme. La vie des chartreux est austère; elle apparaît pourtant comme équilibrée». «Non, il ne faut pas des qualités humaines exceptionneles pour mener à bien notre vie. Nous ne sommes pas des types extraordinaires. La grâce de Dieu nous soutient. Ce qu’il faut, c’est se vider
de tout ce qui est terrestre, y renoncer». Le grand mal de notre société?
«Elle vit à la surface de l’âme, dans le stress, dans la peur du silence et
de la solitude».
Ne pas se laisser distraire
11h30. Le monastère semble s’animer d’une vie nouvelle: les pas des Frères qui regagnent leur cellule. Les chartreux ne déjeûnent pas (à l’exception des Frères bûcherons), ne mangent jamais de viande, ne prennent qu’un
léger repas le soir – d’autant plus léger en cette période de Carême durant
laquelle le laitage leur est interdit -, mais l’approche de midi marque
pour eux aussi l’heure du repas. Dans le réfectoire des visiteurs qui nous
accueille, Frère hôtelier Bruno, saint-gallois lui aussi, apporte un plateau. Au menu: une soupe, des roestis, du poisson et une salade. Du pain
aussi, le tout agrémenté d’un pichet de vin rouge. Un repas en tout point
semblable à celui que prendront les Frères et les Pères, à l’exception du
poisson et du vin, Carême oblige.
Serrurier de métier, Frère Daniel, aujourd’hui âgé de 55 ans, est entré
dans l’Ordre des chartreux en 1970, après avoir suivi une école pour les
vocations tardives et un passage de 3 ans chez les franciscains. «Mon désir
a toujours été de me faire moine. En raison de la mort de mon père, j’ai
d’abord été dans l’obligation de gagner la vie pour ma famille, d’où mon
apprentissage de serrurier. La vie de silence et de contemplation m’a toujours attiré. Chez les franciscains, qui ont une vie très active, je n’ai
pas trouvé ce que je cherchais: être uni à Dieu, dans la solitude».
Frère Daniel, qui reconnaît préférer les travaux manuels aux études,
travaille surtout à la forge de la Valsainte, en plus des réparations électriques. Une vie qui le satisfait pleinement: «Le monde qui vit à l’extérieur ne m’attire pas, et je n’éprouve nullement le besoin d’aller voir
comment il évolue. Les journaux, la TV, la radio, produits qui ne franchissent pas les murs du monastère, à l’exception de «L’Osservatore Romano» et
de quelques revues catholiques, ne m’intéressent pas davantage».
«Il faut un minimum pour avoir un regard juste, poursuit Frère Daniel en
soulignant n’avoir jamais été attiré par la vie de plaisir et de consommation». Un minimum, «mais pas trop pour que l’information ne devienne une
source de distraction. Pour une vie de prière, il faut se dégager de tout
ce qui est secondaire. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas au courant de ce qui se passe hors les murs du monastère, car le Père prieur nous
informe périodiquement de ce qui se passe aussi bien dans l’Eglise que sur
la terre». Quel regard sur le monde? «Je vois aujourd’hui un monde de haine
et de violence. Et cela me stimule pour ma prière».
Difficile, au début, de vivre cette vie? «Non! Lorsqu’on a la vocation… on a le goût de la prière et du silence. Puis le rythme s’acquiert.
C’est peut-être là le moment le plus critique, le moment où peut s’installer l’ennui, les dégoûts ou le désir de rentrer dans le monde. Il faut
alors s’enfoncer dans le recueillement intérieur; s’attaquer à tout ce qui
fait bruit autour de nous: nos désirs non satisfaits, nos petites rancunes… les souvenirs. Pour parvenir à la paix. C’est un chemin de patience,
parce que la prière et les sacrifices seuls ne suffisent pas. Il faut parfois des souffrances qui nous arrivent de l’extérieur».
Ne pas ramener le monde à l’intérieur du monastère
15h30. La pluie et le vent semblent redoubler à l’heure où retentissent
les premiers coups de cloche annonciateurs des vêpres. La neige encore proche sur les montagnes avoisinantes qu’une légère brume recouvre rappelle
l’hiver… et le froid vif que les portes du monastère laissent un brin
passer. Dans l’église où ils ont pris place, les Pères n’en n’ont cure,
voués qu’ils sont aux chants de la prière pendant que les Frères, non tenus
d’assiter à l’office, vaquent aux derniers travaux.
«C’est la prière qui s’exprime par le chant. Trop de qualité dans le
chant gênerait la prière. Le règle de la simplicité chez les chartreux défend d’ailleurs l’apport d’instruments de musique. Notre liturgie est plus
sobre aussi…» Les vêpres terminées, le Père Augustin, Père prieur de la
Valsainte depuis 1981, un Grison âgé de 67 ans, prend place derrière son
bureau. Des problèmes de vocations? Oui, bien sûr… «Deux jeunes se préparent aujourd’hui au noviciat chez les Pères, un autre viendra nous rejoindre bientôt. Trois jeunes également chez les Frères. Il n’en demeure pas
moins que nous avons pas mal de personnes âgées. Mais la relève est assurée
dans la mesure où l’Ordre de compte guère que 500 membres dans le monde,
dont 400 moines et 100 moniales répartis dans 24 monastères construits dans
neuf pays (France, Allemagne, Angleterre, Espagne, Etats-Unis, Italie, Portugal, Suisse, Yougoslavie).
«Il arrive, raconte le Père prieur, qu’un jeune venu le soir s’en aille
dès le lendemain, trop impressionné par notre vie de solitude. D’autres
font une semaine où deux… Même les familles proches des moines n’ont
droit qu’à une visite de deux jours pleins chaque année. Quant au courrier,
les Pères et les Frères sont autorisés à écrire trois fois par an. Pas de
lecture non plus, car la lecture ne doit pas nourrir les idées nouvelles,
mais la foi: on ne doit pas satisfaire la curiosité intellectuelle. Si nous
avons choisi de quitter le monde, ça n’est pas pour le ramener avec nous».
Contre l’avis de sa famille
17h. Frère René, l’infirmier du monastère, un Fribourgeois de la région
d’Autigny, s’en va porter des médicaments à deux moines malades, dont l’un
est à l’article de la mort. «Je me souviens du premier jour où je suis entré à la Valsainte. C’était le 16 décembre 1942. Ma famille ne voulais pas.
Et mon frère, persuadé que je rentrerais à la maison après 15 jours, s’est
vu dans l’obligation de reprendre l’exploitation du domaine agricole. Il y
a un demi-siècle de cela.
Autre Fribourgeois, Frère Emmanuel ne pensait pas «devenir un jour le
bûcheron» qu’il est aujourd’hui. Dans le hangar où sont rangés outils et
tracteur, Frère Emmanuel, 50 ans, raconte qu’il aspirait dans sa jeunesse à
un ministère actif. «Je me suis aperçu, dès les premières années de séminaire, que je n’étais pas à ma place. Que la vie de contemplation m’attirait davantage. Mais le plus drôle, avec la tâche qui est la mienne, est
que je suis vraiment actif aujourd’hui». Combien d’arbres abattus durant la
journée? «Pas beaucoup, à cause de la tempête. Trois en tout… c’était des
gros. Deux frères travaillent à l’abattage et à l’ébranchage, deux ou trois
autres s’occupent de les mettre en place au bord de la route pour permettre
au camion de les charger». Pour eux, le travail ne manque pas durant les
mois d’octobre à avril: 125 hectares de forêts, sans compter les terres
agricoles et les alpages – une centaine d’hectares – loués à des fermiers.
Le bois et les dons seuls ne permettraient pas au monastère de s’en sortir
financièrement. «Tout augmente et le prix du bois diminue». A la Valsainte
comme ailleurs la récession frappe. Aussi la manne venue de la Maison Mère
de la Grande Charteuse, près de Grenoble en France, est-elle d’un grand secours,
A l’abri du temps des hommes
19 heures. La nuit est maintenant tombée sur la Valsainte. Les frères
ont regagné leur cellule. Pour y prier et s’y reposer avant l’office de
nuit. A peine quelques lampes allumées ici et là. Le silence encore, plus
réel que jamais dans le monastère endormi.
23 heures. Une bougie dans le fond, un autel et un siège de pierre, une
simple croix placée dans le Choeur… murs nus volontairment dépouillés,
plafond voûté. Le décor est planté, dans cette église plongée dans la pénombre, îlot de paix plantée au milieu du monastère. Rien ne manque. Pas
même le Frère qui agite la cloche pour sonner les matines au moyen d’une
longue corde. Et surtout pas les moines dans les stalles, avec leur coule
et le capuchon sur la tête, recueillis devant d’immenses livres. Les premiers chants s’élèvent, égrenant des prières. Deux heures durant pour les
Frères et trois heures pour les Pères. Psalmodie ininterrompue des matines,
avant de regagner les cellules pour un second repos. Jusqu’à l’heure où la
cloche retentira pour la messe du matin. L’appel du lever du jour.
9 heures, samedi. Les portes du monastère se sont refermées. Le vieux
moine à la longue barbe blanche a tourné la clé. Lentement, sans précipiation, à l’image de sa démarche, à l’image des quelques 60 ans de sa vie
passée à la Valsainte. A l’abri du rythme de la vie des hommes. Si loin du
monde mais si proche de Dieu. (apic/pr)
ENCADRE
La chartreuse de la Valsainte fut fondée en 1295 par Girard de Corbières, seigneur de Charmey. Après plusieurs siècles de vie paisible, le monastère va connaître une longue période de troubles en raison d’ingérences
multiples du pouvoir civil – notamment – dans les affaires religieuses. La
vie religieuse reprit dès 1863 et n’a jamais été interrompue depuis.
La chartreuse de la Valsainte fait partie de l’Ordre fondé au XIe siècle
par saint Bruno dans le massif de Chartreuse, près de Grenoble. Né vers
l’an 1030, saint Bruno fut pendant 30 ans maître des études de l’école
cathédrale de Reims, avant de se retirer près de Grenoble, puis d’être appelé à Rome par le pape Urbain II en qualité de conseiller. Un rôle qu’il
n’assumera que quelques mois. Repris par son désir de vie solitaire et contemplative, il se retire dans les forêts de Calabre, en Italie, où il mourra le 6 octobre 1101. (apic/pr)
APIC – Reportage
Jacques Berset, Agence APIC
Chine: «L’Eglise a changé de visage, pas de coeur» (181191)
Tianjin, 18novembre(APIC) «Notre Eglise de Chine a changé de visage, pas
de coeur, la foi est restée la même, nous prions pour le pape, priez aussi
pour nous!» Le Père Luo Luyi, curé de la cathédrale de Tianjin, l’ancienne
Tientsin, prend la main du journaliste et l’invite à s’asseoir, tout content qu’un étranger de passage dans cette cité industrielle de quelque cinq
millions et demi d’habitants s’inquiète du sort de la petite minorité catholique restée fidèle à sa foi malgré les vicissitudes de l’histoire.
La majestueuse église de St-Vincent, aussi appelée Laoxikai ou encore
église catholique française, au numéro 11 de la rue Hepingqu Xining, ne
manque pas d’allure. De style néo-roman, avec ses coupoles surmontées d’une
croix et ses tuiles rouges, jaunes et vertes, St-Vincent est la plus grande
église de Tianjin – une des trois municipalités, avec Pékin et Shanghai,
placées directement sous le contrôle du gouvernement central – et peut contenir 2’000 fidèles. La municipalité de Tianjin, qui compte plus de 8 millions d’habitants avec les banlieues et les districts ruraux qui lui sont
rattachés, a deux églises ouvertes en ville – Laoxikai et Wanghailou ou
Notre-Dame de la victoire – et plusieurs autres à la campagne pour une population catholique de quelque 70’000 habitants.
Construite en 1914 par les missionnaires lazaristes français pour les
besoins de la concession française, l’église est en mains chinoises depuis
l’expulsion des missionnaires en 1950, précise le curé de la cathédrale.
Lui-même, à l’instar de nombreux autres prêtres, a passé plusieurs années
en prison et connu le travail forcé comme ouvrier de fabrique, notamment
dans une usine de plastique, 22 ans durant. Durant la Révolution Culturelle
(1966/1976), l’église St-Vincent a été envahie par les Gardes rouges, qui
l’ont transformée en dépôt après avoir détruit les croix et l’autel et les
bâtiments annexes occupés par des services publics. L’église a été restituée et rouverte au culte en 1980, le jour de la fête de l’Assomption.
Evêques «officiels» et évêques «clandestins»
Tianjin est actuellement sans évêque officiel, Mgr Li Depei, l’évêque
«patriotique», élu par les prêtres du diocèse et consacré sans l’accord du
Vatican (puisque Pékin refuse tout lien avec le Saint-Siège tant que le Vatican entretient des relations diplomatiques avec Taïwan) étant décédé cet
été à Pékin, où il résidait. Il y a cependant plusieurs évêques catholiques
«clandestins» dans la ville, et ils viennent aussi dire la messe à la cathédrale, en douce, accompagnés de leurs fidèles. «Ces mêmes fidèles qui
sortent de l’église quand c’est moi qui dis la messe», lance, sans amertume, le Père Luo Luyi, dans un français appris au grand séminaire et qu’il
regrette de ne pas pouvoir pratiquer, faute de contacts. Quand les mots lui
manquent, il continue la conversation en anglais, une langue qu’il utilisait comme étudiant à l’Université catholique de Fu Ren à Pékin, une institution d’enseignement supérieure nationalisée dans les années cinquante.
Ordonné prêtre à Tientsin en 1944, retraité d’usine en 1980, le Père Luo
Luyi est âgé aujourd’hui de 73 ans. Bien que prêtre «officiel», il n’appartient pas à l’Association patriotique des catholiques de Chine (APCC),
une organisation contrôlée par le gouvernement. «Les gens de l’Association
patriotique sont peu nombreux», lance-t-il, mais certains fidèles nous boycottent, considérant que l’Eglise «officielle», c’est-à-dire reconnue du
point de vue légal par le gouvernement, est «hérétique», c’est pourquoi la
réconciliation tant espérée entre «officiels» et «clandestins» sera longue
à réaliser.
«Le pape est le chef de l’Eglise»
«Et pourtant, souligne-t-il avec force, nous reconnaissons le pape comme
chef de l’Eglise, nous prions pour le pape Jean Paul II, c’est le gouvernement qui ne le veut pas, pour des raisons politiques, pas religieuses. Mais
la foi reste comme autrefois, la foi ne change pas!». Et de montrer la statue de saint Pierre dans le fond de l’église, «c’est le premier pape et
l’actuel est son successeur». Et si soumission au pouvoir politique il semble y avoir, c’est pour pouvoir continuer d’évangéliser, «mais dans les
coeurs, c’est autre chose…» Il n’en dira pas plus.
C’est que malgré les contraintes, le travail pastoral continue à Tianjin. La paroisse du Père Luo Luyi compte quelque 10’000 fidèles et plus de
5’000 personnes assistent aux quatre messes du dimanche, sans compter ceux
qui viennent en semaine aux deux messes de 5h30 et 6h30. Il y a des baptêmes chaque dimanche après-midi, et pas seulement d’adultes de plus de 18
ans, comme le demandent les réglementations religieuses étatiques, mais des
enfants aussi sont baptisés. Sans compter les centaines de catéchumènes qui
se sont fait baptiser ces dernières années après avoir suivi des cours de
catéchèse, et provenant souvent des milieux de l’enseignement technique.
«Maintenant, il y a plus de liberté pour la vie religieuse, affirme-til, les règles ne sont plus aussi strictes, c’est plus facile d’être chrétien». Quant aux réformes liturgiques – on célèbre toujours la messe de StPie V en latin, le prêtre tournant le dos au peuple – «nous allons bientôt
changer, et nous disons déjà quelquefois la messe en chinois à la campagne». Mais les fidèles, qui ont tant souffert pour garder la foi, ne sont
cependant pas très chauds à l’idée d’entendre la messe en chinois. (apicbe)