«La Passion selon Marc – Une passion après Auschwitz», à la cathédrale St-Nicolas

La création mondiale du compositeur Michaël Levinas, l’auteur d’origine juive de «La Passion selon Marc – Une passion après Auschwitz», sera à l’affiche Vendredi Saint 14 avril 2017 à la cathédrale St-Nicolas de Fribourg. Cette œuvre, réalisée dans le cadre des 500 ans de la Réforme, bénéficie du soutien de la Communauté israélite de Fribourg.

C’est là une très belle occasion de montrer la forte volonté œcuménique existant dans le canton entre protestants et catholiques, a déclaré jeudi 6 avril le pasteur Pierre-Philippe Blaser, président du Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée fribourgeoise (EERF).

Forte volonté œcuménique

Le thème de la Passion du Christ a beaucoup inspiré les protestants et les compositeurs, en particulier Jean-Sébastien Bach, au lyrisme inspiré d’une profonde foi luthérienne. En avoir confié l’écriture à un auteur d’origine juive, fils d’Emmanuel Levinas, qui a enseigné durant plus de deux décennies la philosophie juive à l’Université de Fribourg, est également très symbolique aux yeux du pasteur Blaser.

Cette œuvre exceptionnelle est «un magnifique projet œcuménique: l’auteur de l’œuvre est juif, elle a été commanditée par les réformés et elle sera exécutée en la cathédrale St-Nicolas», relève le Conseil des Eglises réformée et catholique du canton de Fribourg (CERECAF), qui avait invité à une conférence de presse au Temple réformé de Fribourg. Pour le pasteur Blaser, c’est là une excellente occasion de se rapprocher, en sortant du discours parlé pour entrer dans la dimension esthétique et sensorielle.

Avant tout un événement fraternel

Le chanoine Claude Ducarroz, prévôt du Chapitre cathédral, s’est réjoui d’accueillir ce concert à la cathédrale St-Nicolas, même s’il n’a pas été facile d’insérer cet événement ce jour-là, étant donné les contraintes liturgiques du Vendredi Saint. Il espère que cet événement culturel à l’occasion des 500 ans de la Réforme soit avant tout un événement fraternel, estimant que «ce projet nous aide à être ensemble, avec notre histoire, mais surtout avec notre avenir, qui est à l’œcuménisme!»

Il estime qu’on quitte ainsi les controverses théologiques et les débats historiques pour se mettre à l’écoute, au plan esthétique, d’une œuvre, la Passion du Christ, qui, plus est, composée par un auteur juif.

Chargé par l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) des programmes culturels du Jubilé de la Réforme, Jean-Marc Tétaz, directeur du projet, est très heureux que ce concert se joue à la cathédrale St-Nicolas, en terre catholique. Il a d’ailleurs lui-même suivi les cours de philosophie juive d’Emmanuel Levinas à l’Université de Fribourg.

Dire la pertinence de la Réforme pour le temps présent

Soulignant qu’en cette année 2017, où l’on commémore partout dans le monde les 500 ans de la Réforme, il ne saurait s’agir d’abord d’une commémoration tournée vers la célébration des hauts faits du passé. «Ce Jubilé doit au contraire s’interroger sur le sens de la Réforme pour aujourd’hui et sur l’avenir du protestantisme héritier de la Réforme. Il doit proposer une réflexion sur notre temps et s’efforcer de dire la pertinence de la Réforme pour le temps présent».

C’est dans cet état d’esprit que le théologien et philosophe vaudois a fait appel à Michaël Levinas pour écrire une nouvelle Passion. Il s’est ainsi adressé à un compositeur contemporain juif, estimant que la relation au judaïsme permet de faire mémoire d’une histoire, notamment du rôle complexe de la Réforme et de Luther en particulier dans la longue et tumultueuse histoire des relations entre chrétiens et juifs. Et de rappeler que Luther a pris des positions de plus en plus violemment antijuives, voire même antisémites, culminant dans le traité de 1543 intitulé Des juifs et de leurs mensonges.

Les juifs coupables de refuser de reconnaître Jésus comme le messie

Ce texte a été redécouvert par les antisémites du XIXe et du XXe siècle, avec les conséquences que l’on sait. Pour Jean-Marc Tétaz, il ne représente pas simplement une péripétie de plus dans l’histoire de l’antijudaïsme chrétien, car l’accusation de «mensonge» portée par Luther contre les juifs «repose en effet sur ce qui constitue le cœur de la doctrine réformatrice de l’Ecriture».

Marianne Pohl-Henzen, adjointe au vicaire épiscopal germanophone, Mgr Claude Ducarroz, prévôt du Chapitre cathédral, Jean-Marc Tétaz, directeur du projet, pasteur Pierre-Philippe Blaser, président du Conseil synodal, pasteur Martin Burkhard, conseiller synodal (Photo: Jacques Berset)

Pour lui, la clarté de l’Ecriture alliée au plaidoyer pour le seul sens «historique» des textes amène Luther à considérer que le sens clair et historique de l’Ancien Testament consiste à annoncer la venue du Christ Jésus de Nazareth. «Refuser de reconnaître Jésus comme le messie, c’est donc mentir, et faire de Dieu un menteur. C’est de cela qu’à ses yeux les juifs se rendent coupables. Cela justifie aux yeux de Luther l’expulsion des juifs et l’appel à brûler leurs synagogues».

Et le théologien d’affirmer que c’est donc le principe même de la théologie réformatrice qui nourrit l’antisémitisme de Luther. Et pour lui, après la Shoah, l’extermination des juifs d’Europe par les nazis, «cette question que nous adresse la théologie de Luther ne peut plus être passée sous silence».

La mort de Jésus dans la perspective d’Auschwitz

A la croix, c’est un juif qui meurt, condamné par les Romains, symbole et incarnation «des six millions d’assassinés par les nationaux-socialistes, à côté des millions et millions d’humains de toutes confessions et de toutes nations, victimes de la même haine de l’autre homme, du même antisémitisme», comme le rappelait Emmanuel Levinas dans la dédicace d’Autrement qu’être ou au-delà de l’essence.

C’est là le sens, conclut Jean-Marc Tétaz, de la commande passée au compositeur Michaël Levinas: «écrire une Passion qui relise le récit du procès et de la mort de Jésus dans la perspective d’Auschwitz pour nous inviter à raconter autrement l’histoire de la passion de Jésus que les chrétiens confessent comme le Christ».


Le CERECAF, plateforme de dialogue œcuménique

Mandaté par l’évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) et par le Synode de l’Eglise évangélique réformée du canton de Fribourg (EERF), le CERECAF est une plateforme de dialogue et de collaboration œcuménique au plan cantonal par laquelle les diverses Eglises membres veulent «créer un lien permanent, encourageant la bonne entente et les échanges dans le respect des différences et la recherche de communion».


«Une Passion après Auschwitz»

Sous la direction de Jean-Marc Tétaz et Pierre Gisel, un ouvrage de quelque 270 pages, publié aux Editions Beauchesne, paraît à l’occasion de la création à Lausanne, lors de la Semaine sainte 2017, de La Passion selon Marc. Une passion après Auschwitz, du compositeur Michaël Levinas. Elle entreprend de relire le récit chrétien de la passion de Jésus dans une perspective déterminée par la Shoah. Ce projet s’inscrit dans une histoire complexe, celle de l’antijudaïsme chrétien, dont la Réforme ne fut pas indemne, mais aussi celle des interprétations, théologiques et musicales, de la passion de Jésus de Nazareth.

Ont participé à cet ouvrage : Danielle Cohen-Levinas, Corina Combet-Galland, Marc Faessler, Pierre Gisel, John Jackson, Daniel Krochmalnik, Pierre-Olivier Léchot, Michaël Levinas, Jean-Marc Tétaz et Christoph Wolff.


La Passion selon Marc – Une création mondiale à l’occasion des 500 ans de la Réforme

Magali Léger, soprano; Marion Grange, soprano; Guilhem Terrail, contre-ténor; Mathieu Dubroca, baryton; Marc Kissoczy, direction; Nicolas Cheverau, maître de chant.

  • 12.04.2017 – Lausanne, à l’église Saint-François, 20h
  • .13.04.2017 – Genève, à la cathédrale St-Pierre, 20h, avec la collaboration des Concerts de la Cathédrale
  • 14.04.2017 – Fribourg, à la cathédrale St-Nicolas, 19h30 (cath.ch/be)
Le théologien et philosophe Jean-Marc Tétaz, initiateur du projet de la Passion selon Marc
6 avril 2017 | 17:51
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
Partagez!