Elisabeth Parmentier et Claude Ducarroz ont débattu de la catholicité de l'Eglise | © Maurice Page
Suisse

Les chrétiens appelés à devenir plus 'catholiques'

Pour le commun des mortels, ‘l’Église catholique’ renvoie le plus souvent à l’Église de Rome présidée par le pape. Mais la portée du mot catholique exprimée dans le Symbole des apôtres a une dimension œcuménique beaucoup plus large. Rappel avec Claude Ducarroz et Elisabeth Parmentier.

Le chanoine Claude Ducarroz et la théologienne protestante Elisabeth Parmentier ont dialogué sur la notion de catholicité, le 25 janvier 2024, au Centre Ste Ursule à Fribourg, à l’occasion de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Le prêtre fribourgeois et la théologienne genevoise ont tous les deux participé de longue date aux travaux du Groupe œcuménique des Dombes.

«Selon le tout»

Le mot grec catholikos signifie ‘selon le tout’, commence Claude Ducarroz. Ce tout s’exprime dans l’espace et dans le temps, mais aussi dans la plénitude, dans la perfection. Il a donc un sens à la fois quantitatif et qualitatif. Selon l’accent qu’on y met, il va donc se charger de significations variables au fil de l’histoire.

Le terme catholique n’existe pas dans la Bible, il a été forgé plus tard. On trouve une de ses premières attestations chez Ignace d’Antioche vers l’an 100 qui explique que «L’Eglise catholique se trouve où est Jésus-Christ». D’emblée donc le mot a une dimension de relation.

Un peu plus tard, chez les Pères de l’Eglise, catholique signifie universel, global, mais désigne aussi celui qui reste fidèle à la doctrine des apôtres. Avec un revers négatif et polémique contre les particularismes, les dissidences, les hérésies. Il y a déjà les ›bons catholiques’ et les autres! commente Claude Ducarroz.

On en arrive ainsi au symbole des apôtres qui, depuis le premier concile œcuménique de Nicée, en 325, définit l’Eglise comme «une, sainte, catholique et apostolique.»

La basilique Saint-Pierre est devenue le centre de l’Eglise catholique | © Maurice Page

«Le mot catholique se gonfle de romanité»

Au Moyen-Age, le mot catholique «se gonfle de romanité» au fur et à mesure que l’Eglise d’Orient s’affaiblit face à la poussée des musulmans. L’Eglise d’Occident, sous l’autorité de l’évêque de Rome, ‘récupère’ la catholicité. Est ‘catholique’ celui qui est avec le pape de Rome. On insiste sur l’Eglise comme sacrement et instrument du projet de Dieu pour l’humanité qui rassemble la totalité des dons dans le ministère de Pierre. On assiste ainsi à une identification progressive de l’Eglise catholique avec Rome.

«Le Salut vient du Christ pas de l’Eglise»

Au XVIe siècle, les réformateurs refusent le lien entre Rome et catholicité, poursuit la théologienne protestante Elisabeth Parmentier. Pour eux, le salut vient de Jésus-Christ et pas de l’Eglise. Luther s’insurge contre l’autorité du pape, mais considère que l’Eglise peut rester catholique et universelle si on l›expurge des dérives du Moyen Age, comme les reliques, le culte des saints, les indulgences etc. Au terme catholique, le réformateur préférera finalement celui de chrétien (christlich) car c’est bien l’appartenance au Christ qui est déterminante.

Vingt ans plus tard Calvin est encore plus critique. Il considère qu’on ne trouve plus qu’une petite trace de l’Eglise dans l’Eglise catholique romaine.   

Au XVIe siècle, Genève devient la Rome protestante © cathedrale-geneve.ch

L’Eglise romaine devient une forteresse

En sautant par dessus les tentatives de conciliation et leurs échecs qui conduisent aux guerres de religions, on en arrive à la Contre-Réforme qui opère ›un choix culturel’ reprend Claude Ducarroz. L’Eglise ‘restée catholique’ se met en sécurité dans le maintien de la tradition, de la succession apostolique, des ministères et des sacrements. L’Eglise romaine devient une forteresse qui protège ses habitants de l’ennemi extérieur. Cette mentalité persistera globalement jusqu’au Concile Vatican II.

L’amour de l’Eglise absent chez les protestants

Revisiter la notion de ‘catholicité’ pour stimuler notre dynamique vers la pleine réconciliation de toutes les Églises, c’est ce que propose le Groupe des Dombes dans son dernier ouvrage intitulé: «De toutes les nations»… Pour la catholicité des Églises, (éd. du Cerf, 2023).

En centrant leur foi sur la relation personnelle au Christ, les protestants ont de leur côté perdu cette notion d’appartenance à l’Eglise, admet Elisabeth Parmentier. La théologienne protestante admire ‘l’amour de l’Eglise de ceux qui habitent la maison romaine’. Face à eux, les Eglises issues de la Réforme, éclatées en de nombreuses dénominations, n’ont pas cette sécurité. Chez elles, la catholicité se cristallise dans l’espérance du Royaume de Dieu.

La naissance du mouvement œcuménique au début du XXe siècle va aboutir en 1948 à la création du Conseil œcuménique des Eglises (COE)  qui rassemble d’abord les Eglises issues de la Réforme auxquelles se joignent les orthodoxes dans les années 1960.

Côté catholique, le Concile Vatican II brise les murs de la forteresse, relève Claude Ducarroz | © Maurice Page

Vatican II brise les murs

Côté catholique, le Concile Vatican II brise les murs de la forteresse, relève Claude Ducarroz. Il permet de rappeler que l’Eglise reste imparfaite et en route vers le Royaume de Dieu. Que l’unité peut se conjuguer avec la diversité. «On assiste à la fin du totalitarisme romain» avec un accueil des autres Eglises. De nombreux dialogues œcuméniques sont officiellement ouverts.

«Il y a encore du boulot»

Malgré les progrès enregistrés dans les rapprochements œcuméniques depuis, les deux orateurs tombent d’accord pour dire «qu’il y a encore du boulot». Croire et dire que tout va très bien ne serait pas juste. Catholiques et protestants sont confrontés à diverses conversions pour mieux cheminer ensemble.

Elisabeth Parmentier note pour les protestants: une revalorisation de la liturgie et des sacrements, une réflexion sur l’exercice de l’autorité, un travail sur les ministères et le développement d’un œcuménisme intra-protestant en particulier avec les Eglises évangéliques.

Côté catholique, les conversions ne sont pas moins nécessaires. Claude Ducarroz en pointe quelques-unes: renforcer la notion que tous les baptisés forment l’Eglise du Christ; respecter la communion dans la diversité; admettre l’échange des dons avec gratitude et humilité; passer de la monarchie à une gouvernance synodale; élargir l’hospitalité eucharistique (mais sans concélébration) ou encore prier réciproquement les uns pour les autres. (cath.ch/mp)

Claude Ducarroz, prêtre du diocèse de LGF et chanoine de la cathédrale de St-Nicolas de Fribourg, a fait partie du Groupe des Dombes pendant plus de 20 ans. Il continue aujourd’hui à œuvrer en faveur de l’œcuménisme et à écrire notamment sur son blog, tout en s’engageant aussi dans les domaines de la solidarité et de la formation. Avec Noël Ruffieux et Shafique Keshavjee, il est l’auteur de Pour que plus rien ne nous sépare: Trois voix pour l’unité, chez Cadébita. MP

Élisabeth Parmentier est théologienne protestante, professeure de théologie pratique à l’Université de Genève. Membre du groupe des Dombes depuis 1998, elle en devient co-présidente protestante en août 2023. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, dont le dernier avec Denis Fricker, Une Bible. Des hommes. Regards croisés sur le masculin dans la Bible, Genève, Labor et Fides, 2021. MP

Elisabeth Parmentier et Claude Ducarroz ont débattu de la catholicité de l'Eglise | © Maurice Page
26 janvier 2024 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 5 min.
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