Jacques-Benoît Rauscher

Evangile de dimanche: cela suffit

Souvent, quand les personnes discrètes osent s’exprimer, c’est qu’elles ont quelque chose d’important à dire. Aujourd’hui, je vous propose justement d’écouter quelqu’un que l’on entend peu habituellement: l’apôtre Philippe.

L’Evangile de ce dimanche nous rapporte une de ses très rares paroles: «Seigneur, montre-nous le Père cela nous suffit». Jésus a annoncé sa mort et a lavé les pieds de ses disciples. L’heure est grave et Philippe va à l’essentiel. Il veut dire ce qui lui suffit. Il veut dire ce qui est susceptible d’accomplir sa vie. Et là où il perçoit un accomplissement de sa vie, c’est dans le fait de voir le Père. Voilà ce qui lui suffit.

Cette remarque de Philippe est loin d’être anodine. Elle est même un modèle pour nous. Elle nous dit qu’une vie accomplie est, pour un chrétien, une vie filiale. Une telle vie ne consiste pas à retourner à une sorte d’attitude puérile, mais à adopter un rapport juste à son origine et à sa fin.

Le Père est Celui qui est à l’origine de tout. À notre origine, comme à celle du monde entier. Avant toute parole à prononcer, avant tout acte à poser, une attitude filiale consiste à se recevoir d’un autre. J’avais été frappé par la remarque d’un frère très actif qui venait de traverser une grave maladie. Celui-ci confiait: «autrefois quand je me levais le matin, tout mon agenda défilait devant mes yeux; maintenant, je m’émerveille d’abord d’être vivant, d’être là». Adopter une attitude filiale, c’est entrer dans cette réceptivité. C’est se laisser aller à l’émerveillement du don qui nous est fait, du don d’être là. Tout simplement mais très profondément.

«Une attitude filiale consiste à consentir à remettre toutes choses entre les mains du Père quand l’heure de la fin aura sonné»

Le Père est Celui vers qui nous allons. Il est Celui entre les mains de qui toute notre vie, toute la vie du monde est remise. Une attitude filiale consiste à consentir à remettre toutes choses entre les mains du Père quand l’heure de la fin, que Lui seul connaît, aura sonné. Cette heure, nous l’entendons déjà s’approcher quand nous sommes confrontés à nos limites. Nos limites sont ces multiples lieux où nous expérimentons très singulièrement que nous ne sommes pas tout-puissants, que nous ne sommes pas Dieu.

Tout don profond passe par une confrontation avec nos limites. Loin de nous désespérer, nos limites doivent être des cris où nous nous en remettons au Père. Adopter une attitude filiale, c’est saisir tous ces espaces où nous anticipons cet ultime moment où nous déposerons tout entre les mains du Père.

Notre vie, y compris notre vie «religieuse», est souvent agitée. Elle se perd dans les moyens à mettre en œuvre, dans les techniques à déployer, dans les réalisations qui nous engagent. Tout cela est souvent beau. Mais si nous en venons à oublier Celui qui est à notre origine et à la fin de notre vie terrestre, nous passerons à côté de l’essentiel.

En ces heures qui sont marquées par une certaine gravité, laissons de côté le superflu et allons «droit au but». Allons vers ce qui accomplit une vie. Faisons nôtre la prière de Philippe: «Seigneur, montre-nous le Père cela nous suffi». Redisons-le encore car ses mots peuvent être étouffés par le bruit du monde: «cela nous suffit».

Jacques-Benoît Rauscher | Vendredi 8 mai 2020


Jn 14, 1-12

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
    « Que votre cœur ne soit pas bouleversé :
vous croyez en Dieu,
croyez aussi en moi.
    Dans la maison de mon Père,
il y a de nombreuses demeures ;
sinon, vous aurais-je dit :
›Je pars vous préparer une place’ ?
    Quand je serai parti vous préparer une place,
je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi,
afin que là où je suis,
vous soyez, vous aussi.
    Pour aller où je vais,
vous savez le chemin. »
    Thomas lui dit :
« Seigneur, nous ne savons pas où tu vas.
Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
    Jésus lui répond :
« Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ;
personne ne va vers le Père sans passer par moi.
    Puisque vous me connaissez,
vous connaîtrez aussi mon Père.
Dès maintenant vous le connaissez,
et vous l’avez vu. »
    Philippe lui dit :
« Seigneur, montre-nous le Père ;
cela nous suffit. »
    Jésus lui répond :
« Il y a si longtemps que je suis avec vous,
et tu ne me connais pas, Philippe !
Celui qui m’a vu
a vu le Père.
Comment peux-tu dire : ›Montre-nous le Père’ ?
    Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père
et que le Père est en moi !
Les paroles que je vous dis,
je ne les dis pas de moi-même ;
le Père qui demeure en moi
fait ses propres œuvres.
    Croyez-moi :
je suis dans le Père,
et le Père est en moi ;
si vous ne me croyez pas,
croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes.
    Amen, amen, je vous le dis :
celui qui croit en moi
fera les œuvres que je fais.
Il en fera même de plus grandes,
parce que je pars vers le Père »

«Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes» | © Flickr/Lawrence OP/CC BY-NC-ND 2.0
8 mai 2020 | 16:56
par Jacques-Benoît Rauscher
Temps de lecture: env. 4 min.
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