Mgr Thomas Mirkis: les chrétiens d’Irak, «un petit troupeau qui a peur»
Les chrétiens d’Orient sont effectivement dans la tourmente et leur présence s’amenuise, confie à cath.ch Mgr Yousif Thomas Mirkis, qui aime cependant à citer le proverbe chinois qui dit qu’«il vaut mieux allumer une seule petite bougie que de maudire l’obscurité!». L’archevêque chaldéen de Kirkouk et Souleimaniye, dans le nord de l’Irak, était de passage le 14 septembre 2025 à Lausanne à l’invitation de la Fondation Maurice Zundel et l’Université de Lausanne, co-organisatrices du colloque consacré à Maurice Zundel.
Jacques Berset, pour cath.ch
«Les chrétiens d’Irak sont un petit troupeau qui a peur et qui ne sait pas trop comment se diriger, qui ne voit pas quel est son avenir. Mon rôle est de lui donner des raisons d’espérer!» lance d’emblée Mgr Yousif Thomas Mirkis. Lui-même a été installé archevêque à Kirkouk six mois avant l’arrivée du Groupe État islamique (Daech), qui a conquis Mossoul et la Plaine de Ninive en juin 2014.
Échappés aux griffes de l’État islamique
De juin à juillet 2014, Mgr Mirkis a accueilli à Kirkouk 850 familles, notamment 700 étudiants – chrétiens, musulmans, yézidis – qui fréquentaient auparavant l’Université de Mossoul. Ils ne pouvaient pas étudier au Kurdistan, étant de langue arabe. Le nouvel archevêque s’est d’emblée mû en responsable de la logistique à mettre en place: chercher des maisons pour les loger, créer des cliniques pour accueillir les malades, trouver des médicaments et des denrées alimentaires, accueillir les enfants dans les écoles, chercher des places de travail…
L’archevêque a même contourné les décisions des Nations Unies qui contrôlaient l’aide fournie aux veuves des combattants de Daech, emprisonnées dans un camp militaire. «Ils ne voulaient pas que je leur procure du lait pour leurs enfants. Il y avait 1800 familles internées après les combats en 2015-2016. Ces femmes avaient eu beaucoup d’enfants avec les djihadistes. Je voulais sauver ces pauvres bébés…»
Du lait pour les bébés des veuves de djihadistes
L’évêque a donc passé les check-points avec du lait caché sous des fruits. Il a aussi aidé des villages musulmans qui avaient été libérés en 2017, après que Daech ait été chassé. «Alors que les combats continuaient dans certains quartiers de Mossoul, nous avons pu acheminer des médicaments et de la nourriture en passant par le sud de la ville. Il y avait, parmi mes étudiants, des médecins qui venaient ausculter les malades.»

Mgr Mirkis souligne que, durant cette période, il y avait beaucoup de musulmans solidaires, qui ont prêté main-forte à son engagement pour la population souffrante, sans faire de distinctions. «Cette solidarité, exempte de prosélytisme, a été très belle dans cette période et les musulmans en ont été très reconnaissants. Dans notre clinique, 75 médecins, majoritairement musulmans, ont accepté de venir consulter gratuitement!»
Beaucoup de musulmans solidaires
«Avec mes étudiants et étudiantes, que j’ai accueillis dans 11 maisons pendant quatre ans, j’ai eu 100% de réussite aux examens de l’Université. Certains me disent, paradoxalement, que cette époque troublée a été la meilleure période de leur vie, une ‘période bénie’. Cela a créé des liens, des amitiés, un réseau de relations s’est créé, au-delà de l’appartenance communautaire.»
La Suisse compte environ un millier de fidèles chaldéens venus d’Irak, de Syrie et de Turquie, répartis de Genève à St-Gall, avec pour aumônier dans le rite chaldéen le Père Naseem Asmaroo, qui officie également à Yverdon-les-Bains comme prêtre de rite latin. JB
Ces étudiants venaient des villages, où l’emprise de la communauté sur l’individu est très forte, alors qu’en ville, il y a davantage de liberté. Ils ont appris la convivialité avec d’autres communautés. «Je déteste le prosélytisme et je respecte les différentes confessions et convictions. Chez nous, il ne faut pas toucher la fibre identitaire des communautés, sinon les démons sortent, même chez les chrétiens. Ce n’est pas la religion qui prime, mais les valeurs de la communauté.»
Sept ans après la fin de leurs études, la plupart de ses étudiants ont pu trouver un poste, un travail rémunéré, et ils ont un salaire pour subvenir aux besoins de leur famille. Certains ont émigré, mais beaucoup sont bien installés, chrétiens comme musulmans.
Les mentalités sont en train de changer
Mgr Mirkis note que le pays connaît un changement de mentalité au sein de la jeunesse, car lorsque le régime dictatorial de Saddam Hussein est tombé en 2003, ces jeunes n’étaient pas encore nés. Ils ont commencé à manifester le 1ᵉʳ octobre 2019, Place Tahrir à Bagdad, pour protester contre la mauvaise gestion du pays et la corruption omniprésente. La répression, menée par des milices pro-iraniennes mais aussi par les forces de l’ordre, a fait 800 morts et nombre des figures de la contestation ont été assassinées. «Le mouvement, qui est toujours pacifique, n’est pas éteint, mais les jeunes se sont organisés plus discrètement.»
Dangereuses manœuvres
L’archevêque chaldéen de Kirkouk et Souleimaniye déplore également les dangereuses manœuvres «d’un soi-disant chrétien, à la tête d’une milice soutenue par un pays voisin». Ce politicien chaldéen natif d’Alqosh prétend représenter la communauté catholique. Depuis plus d’un siècle, le patriarche, après avoir été confirmé par le pape, reçoit la reconnaissance de sa fonction par un décret, d’abord du roi puis du président, qui indique qu’il est le chef de l’Église et le gardien de ses biens.

Suite aux manigances de ce chef de milice, qui a réussi à convaincre le président irakien de retirer le décret présidentiel afin de pouvoir mettre la main sur les biens de l’Église, le patriarche s’est retiré à Erbil, au Kurdistan, pendant 11 mois. «La conséquence: beaucoup de choses sont bloquées, et sur certains points, les paroisses et le Patriarcat sont presque paralysés. Le gouvernement a d’autres priorités. Nous devons trouver des moyens de nos débrouiller, mais en attendant, l’État de droit, on l’attend!» (cath.ch/jb/bh)
Religieux dominicain
Né en 1949 à Mossoul, chef-lieu de la province de Ninive, en Haute Mésopotamie, Yousif Thomas Mirkis commence ses études au séminaire Saint-Jean à Mossoul. Il poursuit sa formation en France où il entre dans l’Ordre des dominicains en 1974. A l’Université de Strasbourg, il obtient un doctorat en théologie et en histoire religieuse, ainsi qu’un diplôme en anthropologie sociale à l’Université de Nanterre. Ordonné prêtre le 26 mars 1980, rentré à Mossoul quelques mois avant le déclenchement de la guerre Irak-Iran, il est mobilisé dans l’intendance de l’armée irakienne durant trois ans. Il vit au couvent des dominicains de Bagdad de 1983 à 2014, où, de 1994 à 2000, il exerce la charge de supérieur puis, de 2000 à 2014, y est supérieur de la Communauté des dominicains. Élu par le synode des évêques de l’Église chaldéenne archevêque de Kirkouk et Souleimaniye, son élection est validée par le pape François et il est ordonné évêque le 24 janvier 2014. JB

Une Église des premiers siècles en quête d’avenir
Fondée, selon la tradition, par l’apôtre Thomas dès le Ier siècle, l’Église de l’Orient, aujourd’hui l’Église chaldéenne en Irak, connaît dans l’ancien empire perse un essor remarquable: elle évangélisera jusqu’en Chine. Incontestablement majoritaires parmi les 1,2 million de chrétiens irakiens estimés avant la première guerre du Golfe en 1991, les chaldéens étaient encore 750’000 au dernier recensement en 1987, contre 300’000 chrétiens assyriens. Les chrétiens d’Irak, une des plus anciennes communautés chrétiennes du Moyen-Orient, ont cependant vu leur nombre constamment diminuer, surtout depuis l’invasion américaine de 2003.
La désintégration de l’État irakien qui s’en est suivie a favorisé le développement des mouvements islamistes qui ont commis de graves exactions contre les minorités. Aujourd’hui, les chrétiens sont encore près de 400’000 en Irak selon le patriarche des Chaldéens Louis Raphaël Iᵉʳ Sako. Son Église est constituée majoritairement de fidèles d’une importante diaspora éparpillée sur les cinq continents: aux États-Unis, en Europe, en Australie, au Canada, et en Nouvelle-Zélande. JB