Jean Paul II en Grèce: Enjeux et perspectives
APIC Dossier
Entre la grogne des fondamentalistes et les attentes de dialogue
Sophie de Ravinel, correspondante de l’APIC à Rome
Rome, 30 avril 2001 (APIC) Pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise, un pape va fouler le sol de la terre orthodoxe grecque. Jean Paul II se rend en effet à Athènes les 4 et 5 mai 2001 pour un rapide pèlerinage sur les pas de saint Paul. Une visite que le pape désirait ardemment effectuer et qui s’annonce tendue en raison des pressions exercées sur la population par les fondamentalistes orthodoxes, hostiles à l’Eglise catholique.
Si Jean Paul II désire se rendre en Grèce, c’est avant tout pour effectuer un pèlerinage sur les pas de saint Paul ainsi qu’il l’avait précisément exprimé dans sa lettre «Sur le pèlerinage aux lieux qui sont liés à l’histoire du salut», publiée le 30 juin 1999. «Il s’agit d’un pèlerinage exclusivement religieux, tant par sa nature que par ses finalités, précisait-il déjà à l’époque, et je serais peiné que l’on attribue à mon projet des significations différentes». «Il serait beau, écrivait-il alors, de pouvoir aller notamment à Athènes, où il prononça un merveilleux discours devant l’Aréopage». Il reste que pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise, un pape va fouler le sol grec et que cet événement devrait être un tournant dans les relations entre les catholiques et les orthodoxes de Grèce, héritiers de cette culture antique qui a contribué à la construction de l’Europe et fidèles d’un pilier de l’Eglise d’orient.
Pour le nonce apostolique en Grèce, Mgr Paul Fouad Tabet, interrogé par l’APIC, le 25 avril, à quelques jours du voyage, les manifestations d’hostilité organisées par une frange ultra orthodoxe de la population, «n’auront pas d’influences sur l’organisation du voyage». «Ceux qui sont dans l’opposition, a-t-il dit, son libres de donner leur point de vue, la Grèce est un territoire démocratique». Le nonce apostolique a cependant souligné qu’ils «n’étaient pas en harmonie avec l’esprit ouverture du Saint Synode orthodoxe». En effet, les affiches hostiles au voyage placardées dans les rues d’Athènes décrivent le pape comme un «hérésiarque» et Mgr Christodoulos, archevêque orthodoxe d’Athènes et de toute la Grèce comme «anti-Christodoulos», c’est à dire, anti-serviteur de Dieu. «Comme l’ont affirmé eux-mêmes les orthodoxes modérés, a commenté Mgr Paul Fouad Tabet, cette visite de Jean-Paul II n’est pas une fin en soi, mais l’ouverture d’une page nouvelle de dialogue et de collaboration avec les catholiques».
Blessures encore ouvertes
Dès le début de son pontificat, Jean Paul II avait exprimé son désir d’unité entre ce qu’il a souvent nommé «les deux poumons de l’Europe», le poumon occidental et latin, l’autre oriental et orthodoxe. C’est pourquoi il avait proclamé le 31 décembre 1980, les saints Cyrille et Méthode, natifs de Salonique en Grèce et évangélisateurs du monde slave, comme patrons de l’Europe.
Au sein de cette tradition orientale, le monachisme a joué un rôle essentiel. Il est probable que Jean Paul II, au cours de sa rencontre avec Mgr Christodoulos, le 4 mai, évoque leur figure comme il a pu le faire dans la lettre apostolique «Orientale lumen» publiée en mai 1995. Pour le pape, en effet, «le monachisme a été l’instrument privilégié de l’évangélisation des peuples». Il est aussi pour le pape un lien très fort entre les Eglises car, «les principaux traits communs qui unissent l’expérience monastique de l’Orient et celle de l’Occident font d’elles un admirable pont de fraternité, où l’unité vécue resplendit même davantage que dans le dialogue entre les Eglises».
Un certain nombre d’orthodoxes grecs mettent en avant, dans leur opposition à l’Eglise catholique, de nombreuses blessures encore vives, liées à l’histoire. Ainsi, certains d’entre eux reprochent par exemple à Jean Paul II de ne pas avoir mentionné la destruction de Constantinople en 1204, lors de sa demande de pardon le 12 mars 2001. A leur intention, le pape pourrait, comme il l’a fait, toujours dans la lettre apostolique «Orientale lumen», souligner que «ces péchés du passé font encore sentir leur poids et demeurent, même à l’heure actuelle» et manifester son regret pour toutes ces blessures qui ont jalonnées l’histoire des relations entre Rome et Constantinople.
Nouvelle phase?
Mgr Christodoulos qui recevra Jean Paul II à l’archevêché orthodoxe et devrait lui rendre sa visite le soir même à la nonciature apostolique d’Athènes est, lui, considéré comme l’un des membre de l’épiscopat grec le plus ouvert. Juste après son élection il aurait d’ailleurs manifesté son intention de contribuer à «l’ouverture de la Grèce sur le monde extérieur». Le Service orthodoxe de presse, analysait ainsi les défis qui se présentaient devant le nouveau primat orthodoxe, «il lui faudra ouvrir une nouvelle phase dans les relations avec les Eglises orthodoxes locales, en particulier avec le patriarcat oecuménique, et peut-être même renouer le dialogue avec le Vatican, interrompu par son prédécesseur, en tenant compte de l’évolution du contexte mondial».
L’Eglise orthodoxe de Grèce compte environ 10 millions de fidèles soit 97% de la population, répartis en 80 diocèses, environs 7’500 paroisses et 400 monastères. Sur le plan juridique, c’est une Eglise d’état dont l’organisation intérieure et les relations avec l’état sont régies par la charte de 1977. Sur le plan canonique, elle dispose d’un statut d’autocéphalie, de facto depuis 1833, mais reconnu officiellement seulement en 1850.
Les moines du Mont Athos, qui s’opposent violemment à la venue de Jean Paul II, ont une situation à part au sein de l’épiscopat grec et une influence séculaire sur la population. Ils sont installés sur la péninsule d’Halkidiki, appelée aussi péninsule d’Athos. Ce territoire de 50 km sur 12, situé au nord est de la Grèce et habités par des moines depuis le Vème siècle, a une relation de semi-autonomie vis à vis de l’Etat grec. Il dépend, d’un point de vue spirituel, du patriarcat oecuménique de Constantinople. Autour du Mont Athos qui culmine à 2033 mètres d’altitude, vingt monastères principaux rassemblent environs 2’000 moines.
Absence d’ornements liturgiques
Toujours en compagnie de Mgr Christodoulos et de Mgr Nikolaos Foscolos, président de la Conférence épiscopale de Grèce et archevêque catholique d’Athènes, Jean Paul II se rendra pour un pèlerinage éclair moins d’une heure – sur la colline de l’Aréopage, le soir du 4 mai. C’est sur ce promontoire rocheux, en face de l’Acropole que saint Paul avait déclamé son célèbre discours aux Athéniens rapporté au chapitre XVII des «Actes des apôtres». Une plaque de bronze sur laquelle est gravée ce discours est scellée sur place. Selon Mgr Foscolos, interrogé par I’APIC le 25 avril, ce texte sera lu en anglais et en grec moderne devant, a-t-il affirmé, «un auditoire très réduit d’une centaine de personnes, triées sur le volet pour des raisons de sécurité».
«Ensuite, a poursuivi Mgr Foscolos, Jean Paul II et Mgr Christodoulos liront une déclaration commune, sur la déchristianisation de l’Europe». Mais, toujours selon Mgr Foscolos, une des conditions posée par Mgr Christodoulos pour participer à cette rencontre est qu’aucun des religieux catholiques présents ne portent d’ornements liturgiques. En effet, les «Saints canons» de l’Eglise orthodoxe grecque – évoqués dans la réponse du Saint-synode à Jean Paul II, le 7 mars 2001 – n’autorisent pas les orthodoxes à prier avec des catholiques.
Confusion dans l’organisation
A quelques jours de ce pèlerinage à l’Aréopage, l’organisation manque de précision. «Il y a des changements tous les jours», regrette Mgr Foscolos, avant de préciser: «Avant hier, on affirmait que l’Eglise catholique serait chargée d’organiser le passage à l’Aréopage, hier on parlait de l’Eglise orthodoxe, aujourd’hui de la mairie d’Athènes, et l’on évoque déjà le ministère des Affaires étrangères !». «C’est compréhensible, a-t-il cependant remarqué, nous n’avons eu que deux mois pour préparer ce voyage si compliqué, avec la semaine sainte au milieu. C’est nettement insuffisant».
Au cours de cette même journée du 4 mai, Jean Paul II rencontrera le président de la république Grecque, Costis Stéphanopoulos, grâce auquel il peut se rendre en Grèce. Le président de la république, ancien élève comme Mgr Christodoulos – des frères maristes à Athènes, avait participé au rassemblement jubilaire des 2’500 catholiques à l’Aréopage en octobre dernier.
ENCADRE
Ultra orthodoxes en dehors de la réalité
Le Père Dimitri Salachas, grec, est professeur de droit canonique oriental dans plusieurs universités pontificales à Rome. Il est membre de la commission mixte internationale de dialogue entre les catholiques et les orthodoxes. Interview.
APIC: Comment réagissez-vous à la violence des propos émis par les ultra orthodoxes?
Père Salachas: La manière de parler de ceux que vous appelez ultra orthodoxes est non seulement anachronique, mais en dehors de la réalité, on ne peux pas prendre leurs propos au sérieux. Même, s’ils sont assez nombreux à manifester, les orthodoxes modérés qui sont une majorité se sont eux-mêmes élevés contre une telle attitude de rejet. Ils sont engagés avec détermination dans le dialogue officiel avec l’Eglise catholique pour tenter de résoudre les problèmes théologiques qui nous séparent. Si nous recherchons les racines de cette crispation radicale, on se rend compte qu’il s’agit surtout d’un rejet de l’occident par un pays qui a été «occupé», presque tout au long de son histoire. Le pape, à leurs yeux, chef des catholiques, a concentré sur sa personne toute l’histoire de l’occident qui, depuis les croisades, n’aurait rien fait pour aider la Grèce. Ils ne peuvent dépasser les vicissitudes de l’histoire. Il faut aussi souligner que l’Etat lui-même a longtemps entretenu entre autre au travers des manuels scolaires une vision très sombre et «orientée» de l’histoire grecque. Aujourd’hui, il y a eu des améliorations, mais il faut laisser du temps au temps pour que des blessures séculaires, auto-entretenues, puissent guérir.
APIC: Quel est votre avis sur la situation des catholiques en Grèce?
Père Salachas: Beaucoup parlent en ce moment de problèmes juridiques très pesants pour la communauté catholique. Ces problèmes, qui ne sont pas aussi importants que cela même si individuellement les catholiques peuvent subir des discriminations -, sont étudiés par des juristes compétents. Je pense que l’Etat grec manifeste une bonne volonté dans ce domaine et souhaite lui aussi, une clarification de la personnalité juridique de l’Eglise catholique. Les catholiques grecs ne souhaitent absolument pas avoir un statut identique à celui de l’Eglise orthodoxe, imbriquée dans l’Etat depuis l’époque byzantine! Entre eux, c’est une affaire historique.
APIC: Les Grecs catholiques en Grèce ne sont que 2’000 répartis sur deux paroisses, pourquoi y a-t-il un tel blocage au sujet des «uniates»? Certains orthodoxes demandent même au cardinal Ignace Moussa I Daoud, préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales et ancien patriarche des syriens catholiques, de ne pas venir en Grèce?
Père Salachas: J’ai su par les journaux que le patriarche cardinal, finalement, n’accompagnera pas le pape en Grèce. Je le regrette beaucoup. Je ne sais pas comment on est arrivé à cette option. Sûrement les orthodoxes grecs le considèrent comme «uniate», donc indésirable. C’est un vrai paradoxe, que les orthodoxes exigent l’absence d’un cardinal, préfet de la Congrégation pour les églises orientales et c’est un précédent qui aura des conséquences, surtout dans le dialogue officiel avec les Eglises orthodoxes. Cette situation est aussi valable pour l’évêque des grecs catholiques de Grèce qui ne pourra pas concélébrer avec Jean Paul II le 5 mai. Depuis un siècle que cette communauté existe en Grèce, elle n’a jamais fait de prosélytisme et conserve le même nombre de fidèles. Il est fini le temps où l’Eglise cherchait à construire l’unité par les conversions. Cependant le fait est là. Il est impossible de faire comme si les «uniates» n’existaient pas, surtout en Ukraine où ils sont plus de 4 millions. Par ailleurs, où qu’il aille, le pape a toujours concélébré en présence de l’épiscopat oriental. Ce sera un fait «original».
APIC: Mgr Christodoulos, tenu de respecter les «Saints canons» de son Eglise ne pourra pas prier avec Jean Paul II. En Syrie, la situation sera totalement différente. Comment est-ce possible ?
Père Salachas: Vis-à-vis du monde non-orthodoxe, leur attitude peut paraître assez rigide. Leurs anciens canons, appliqués avec rigueur, font d’ailleurs mention des hérétiques et cela ne fonctionne plus dans le contexte actuel. En Syrie, il y aura de nombreuses prières communes, il faut espérer une certaine contagion dans la recherche du dialogue et de l’unité!
APIC: Qu’espérez vous de cette visite de Jean-Paul II ?
Père Salachas: Je pense que les discours officiels ont leur importance, mais ne diront pas grand chose et il faudra attendre avant d’observer des fruits. Les moments importants seront ceux où Mgr Christodoulos et Jean Paul II pourront se rencontrer en tête à tête. Après, Mgr Christodoulos transmettra ce qu’il a dit ou entendu au synode des évêques et alors petit à petit le dialogue se poursuivra. Propos recueillis par Sophie de Ravinel, correspondante romaine de l’APIC. (apic/pr)
Rwanda: La propagande du pouvoir en place a pris l’Eglise catholique pour cible
APIC – Dossier
L’évêque de Nyundo déplore cette campagne haineuse
Kigali, 21 septembre 1998 (APIC) Le torchon brûle entre l’Eglise catholique du Rwanda et certains secteurs du gouvernement de Kigali. Ces derniers attribuent à l’Eglise une responsabilité dans le génocide de 1994. «La priorité de l’Eglise du Rwanda, rétorque l’agence missionnaire Fides, est pourtant «la réconciliation», mais ce mot même est refusé et réfuté comme un choix partisan par les adversaires de l’Eglise.
«Le conflit a ouvert des plaies difficiles à cicatriser à brève échéance», écrit l’agence de presse vaticane dans un dossier sur ce sujet controversé. «La haine et le désir de vengeance règnent dans de nombreux secteurs de la société. Le gouvernement ne facilite pas la tâche de l’Eglise catholique».
Dans une interview accordée à Fides, Mgr Alexis Habiyambere, évêque de Nyundo, déplore cette campagne, qui présente les missionnaires comme des «apôtres de la haine » . «Il peut se faire que quelqu’un se soit trompé, dit-il, mais l’on ne peut pasaccuser toute l’Eglise. Malheureusement, ces accusations trouvent bon accueil dans les moyens d’information».
C’est à l’occasion de la visite «ad limina» à Rome des évêques du Rwanda (14-19 septembre) – la première depuis le génocide de 1994 -, que l’agence Fides fait le point. Jean-Paul II a reçu en privé chacun des évêques rwandais, puis l’ensemble du groupe. L’épiscopat du Rwanda a connu de profonds changements depuis 1994, puisque plus de la moitié de ses membres ont reçu l’ordination épiscopale durant les trois dernières années. Au centre des entretiens avec le pape figuraient la formation du clergé, la prolifération des sectes, les déséquilibres causés par les exodes qui ont suivi le conflit, la défense de la vie et de la famille, enfin la réconciliation.
Le dossier de l’agence vaticane est accusateur : «Le rôle de réconciliation de l’Eglise est freiné par la propagande de plusieurs secteurs du pouvoir en place qui lui attribuent une responsabilité dans le génocide de 1994. En mai dernier, des émissions sur la radio nationale et des articles parus sur la presse gouvernementale ont critiqué le rôle de l’Eglise dans l’histoire du Rwanda».
«Une Eglise nationale rwandaise»
Parmi les principaux organisateurs de cette campagne, relève Fides, on trouve un ancien prêtre, Privat Rutazibwa, directeur d’une agence de presse gouvernementale. Il soutient que » l’Eglise catholique est trop dépendante de Rome » et qu’il est nécessaire de «créer une Eglise nationale rwandaise «.
L’agence se réfère à un article paru dans » La Nouvelle Relève «, insinuant que le Saint-Siège voudrait installer dans l’Eglise du Rwanda «une nouvelle hégémonie missionnaire». Cet article soutient que les missionnaires ne sont plus nécessaires au Rwanda et appuie la création d’une Eglise nationale. » Dans certains milieux catholiques (comme par exemple l’Université de Butare), commente Fides, le sentiment d’hostilité envers l’Eglise et envers la hiérarchie locale est très fort. De son côté, le gouvernement a mis sous séquestre l’église de Nyamata, où se produisit un massacre de Tutsis, pour en faire un monument national du génocide de 1994, en rendant ainsi le sanctuaire inaccessible à la prière pour tous les défunts, mais seulement pour les défunts de l’une des parties du conflit en cours. «L’agence précise que, depuis le 1er janvier 1998, il y a eu huit assassinats de religieux au Rwanda».
La dénonciation de génocide
Parmi les accusations les plus communes contre l’Eglise, Fides note le reproche d’un engagement tardif du Saint-Siège et le silence des évêques pour dénoncer le génocide. L’agence rappelle la vérité des faits: le 15 mai 1994, en plein conflit, Jean Paul II, a déclaré – le premier dans le monde à le faire – que les massacres en cours au Rwanda étaient «un génocide». L’Eglise du Rwanda a, elle aussi, pris position «avec force», le 24 mars 1994, quand l’épiscopat a dénoncé la distribution d’armes à la population, puis le 10 avril 1994, en dénonçant les massacres et en invitant les gens à la réconciliation.
Dans la campagne contre l’Eglise, on attaque aussi les missionnaires, accusés par Privat Rutazibwa, d’être «des apôtres de la haine». L’action des missionnaires est défendue avec fermeté par les évêques. Ainsi, Mgr Kizito Bahujimihigo, évêque de Ruhengeri, dans un message adressé à l’Assemblée des Supérieurs Majeurs en juillet dernier : «S’ils avaient agi selon la prudence dictée par l’instinct de conservation, ils auraient quitté la région depuis longtemps. Mais ils restent pour la population qui a besoin de prier pour ne pas céder au désespoir. «
Mgr Habijambere : » une nouvelle société est née «
Mgr Alexis Habijambere, 59 ans, est depuis un an évêque de Nyundo, le diocèse le plus étendu du Rwanda. Lors de la tragédie de 1994, 32 prêtres ont été tués dans le diocèse et l’évêque d’alors, Mgr Wenceslas Kalibushi, récemment décédé, s’était sauvé par miracle. Pour l’heure, 16 prêtres sont toujours en exil. Mgr Habijambere, jésuite, n’a jamais quitté son diocèse, même dans les moments les plus durs, ce qui fait de lui, note Fides, «un témoin exceptionnel des épreuves et des espérances que vit le Rwanda».
«Le rôle de l’Eglise est de travailler à la réconciliation, en réunissant tous les catholiques, sans distinction d’ethnie. Il y a des personnes réunies, par des situations dispersées, qui viennent de Tanzanie, du Burundi, du Zaïre, de l’Ouganda. Ce sont tous des Rwandais, et ils doivent apprendre à vivre ensemble», déclare l’évêque de Nyundo.. Un autre rôle fondamental est l’éducation : » Depuis 1994, une nouvelle société est née, et les jeunes peuvent être éduqués à vivre ensemble, à construire cette nouvelle société «. Il y a enfin le problème de la charité et de la justice sociale pour lesquels l’Eglise peut faire de grandes choses, car elle gère de nombreux dispensaires et centres sanitaires, dont beaucoup dans des petits centres de l’intérieur.
Mgr Habijambere pense notamment aux orphelins qu’a laissés la guerre. L’orphelinat de son diocèse, à Nyundo, accueille 700 orphelins d’ethnies différentes. «Ils vivent, ils mangent, ils dorment, ils jouent, ils étudient ensemble», souligne l’évêque. Dans un tel endroit, la réconciliation est le fruit de la vie quotidienne. J’ai vu aussi de nombreuses familles accueillir en leur sein des orphelins de la guerre en les éduquant comme leurs propres enfants. Cela aussi c’est la réconciliation».
Des signes d’espérance
Aux yeux de l’évêque, ce sont les jeunes qui sont le premier signe d’espérance. Un autre signe est la place que les laïcs prennent dans l’Eglise, par exemple dans des paroisses où il n’y a pas de prêtres, où des catéchistes très bien formés rassemblent les chrétiens et animent la vie des paroisses et des communautés de base.
Il y a aussi les vocations: «Il est surprenant de voir qu’après ce qui s’est passé en 1994, il y a une augmentation au lieu d’une baisse. Après les expériences dramatiques de la guerre, il semble que l’on a découvert ce qu’il y a de véritablement important dans la vie. «
Pour Mgr Habijambere, la chose la plus capitale, c’est que les gens commencent à dire: «La violence a assez duré. Cà suffit!». Les gens sont lassés de l’insécurité, des combats, des divisions. Ils veulent la paix, ils veulent travailler».
130’000 personnes en prison
Restent les problèmes, dont le principal est la sécurité. Dans la région rurale de Kigali ou dans celle de Ruhengeri, les attaques des «infiltrés» sont sources d’une violence continue, de mort et de pauvreté. Il y a ensuite les conséquences de la guerre. Les orphelins et les veuves sont le phénomène le plus visible. Beaucoup ont été contraints de partir en abandonnant tout ce qu’ils avaient. Ceux qui sont rentrés d’exil n’ont plus rien eux non plus, ni maison, ni travail, ni nourriture.
Troisième problème: la justice. «Nous avons 130’000 personnes en prison, sous l’accusation de génocide, et tous attendent leur procès», explique l’évêque. Il y a des pères de famille qui attendent depuis des années à être jugés. Dans l’intervalle, les épouses et les enfants ne savent comment faire pour vivre. «
Pour l’Eglise, le grand problème est la reconstruction : «Les prêtres manquent, ceux qui ont été tués ont laissé un vide difficile à combler en peu de temps, souligne encore Mgr Habijambere. De nombreuses structures ont été complètement détruites et il faut les reconstruire. Sur toutes les aides qui sont arrivées de l’étranger, rien n’a été utilisé pour aider l’Eglise.
Et puis, il y a le problème de ceux qui attaquent l’Eglise en l’accusant d’avoir préparé le génocide. L’évêque proteste : «Il peut se faire que des gens se soient trompés, mais l’on ne peut accuser l’Eglise toute entière. C’est une vision qui ne tient pas compte de l’histoire de l’Eglise au Rwanda. Malheureusement, cela trouve bon accueil dans les moyens d’information». (apic/cip/fides/ba)