Jean-Blaise Fellay

Afghanistan: guerre extérieure et construction intérieure

Il faut avouer que l’effondrement de l’État Afghan, maintenu au prix d’un effort militaire et financier extraordinaire de la part de l’OTAN, a quelque chose de stupéfiant par la rapidité avec laquelle il s’est produit. Manifestement, une majorité de la population croyait davantage dans les talibans que dans un gouvernement tenu à bout de bras par des soldats étrangers.

Certes une certaine élite urbaine rêvait d’une modernisation du pays et d’une ouverture politique et sociétale, mais on ne change pas le cœur d’une population avec des armes, aussi sophistiquées soient-elles, et l’organisation d’élections libres ne suffit pas à faire naître une démocratie. Il faut tenir compte de l’histoire d’un pays au très long passé et imprégné en profondeur par la culture islamique.

«Nous sommes bel et bien dans un épisode du choc de civilisations»

Car nous sommes bel et bien dans un épisode du choc de civilisations, que discernait Samuel Huntington en 1993 déjà. La religion est au cœur de cet affrontement culturel. Cette dimension a été largement occultée du côté occidental. La presse a longuement décrit les aspects obscurantistes et rétrogrades des «étudiants en théologie», d’où les talibans tirent leur nom. Idées conservatrices, armement sommaire, mais force de conviction exceptionnelle et influence indiscutable sur la population, cela leur a suffi pour remporter une victoire militaire et morale sur le corps expéditionnaire le mieux équipé du monde. Cela devrait nous faire réfléchir.

Revenons quelques siècles en arrière. Dans les années 1550, les Jésuites sont aux portes d’une Chine fermée aux étrangers. S’interrogeant sur ce pays, ils comprennent que sa force vient du corps des mandarins, des fonctionnaires impériaux recrutés après de sévères sélections. Ces hommes ne sont pas très intéressés aux questions religieuses, abandonnées aux bonzes, mais ils disposent d’une longue formation qui fait d’eux à la fois des lettrés, des poètes, parfois des peintres, et surtout des hommes d’État, dévoués à l’empereur.

Pour accéder à ce dernier, il faut séduire ses conseillers. C’est pourquoi, on y délègue des hommes comme Matteo Ricci qui apprennent la langue et la culture chinoise, adoptent leur habillement, et dispensent leurs connaissances en astronomie, en hydraulique et en mathématiques. La prédiction d’une éclipse en 1610 rehausse leur prestige et leur influence à la cour. Celle-ci provoque des conversions au christianisme, qui ne feront que s’amplifier au cours du 17e siècle. C’est la condamnation par Rome des «rites chinois», puis l’interdiction de la Compagnie de Jésus en 1773 qui mettront fin à cette remarquable interpénétration des cultures européennes et chinoises, qui laissaient espérer un passage de l’immense empire au christianisme.

«Si rapprochement il doit y avoir, il doit se faire par l’intérieur»

On ne peut pas mettre sur le même plan les mandarins chinois du 16e siècle et les talibans pachtounes du 21e, ni comparer le niveau culturel de l’empire Ming et celui de la république théocratique afghane, mais il est certain que si rapprochement il doit y avoir, il doit se faire par l’intérieur, par le respect mutuel, par l’échange des connaissances et des savoir et pas dans le fracas des bombes, qu’elles soient artisanales ou guidées par laser.

Je crois que les guerres ouvertes ne font que dévoiler les méconnaissances et les barbaries réciproques. En approfondissant les ruptures, le mépris, la haine, elles laissent reprendre la spirale des vengeances, des contre-mesures et des dévastations. Quand on pense aux sommes monstrueuses et aux dizaines de milliers de victimes perdues dans les vingt ans de la dernière guerre afghane, pour se retrouver dans la même situation qu’au départ, on est gagné par un sentiment d’absurdité.

«Ben Laden est mort, mais les talibans ont pris une revanche»

Mais il faut bien se rendre compte qu’il ne s’agit que d’une phase de cet affrontement des civilisations. Elle avait commencé par la terrible provocation du 11 septembre 2011. Ben Laden est mort, mais les talibans ont pris une revanche. Ils souhaitent poursuivre sur la route de ce premier succès.

Jean-Blaise Fellay

11 septembre 2021

Des enfants à Kaboul, photo prétexte | © Pixabay – chillervirus – 2016
13 septembre 2021 | 12:43
par Jean-Blaise Fellay
Temps de lecture: env. 3 min.
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