Guy Musy

Algérie chrétienne, relève africaine

J’ai suivi, de loin hélas, les célébrations qui ont marqué à Oran la béatification de mon frère dominicain Pierre Claverie et de ses compagnes et compagnons assassinés comme lui au cours des «années noires» qui ensanglantèrent l’Algérie à la fin du siècle dernier. Je ne reviens pas sur l’émotion que ces célébrations ont suscitée sur les deux rives de la Méditerranée, mais sur les mutations de l’Eglise d’Algérie.

Est-il nécessaire de dessiner à très grands traits le tracé de cette histoire? D’abord celle d’une Afrique du Nord chrétienne et romaine, illustrée par Tertullien, Cyprien, pour ne rien dire de saint Augustin qui mourut en 430 à Hippone (aujourd’hui, Bône ou Annaba), ville alors assiégée par les Vandales. Quelques siècles plus tard, l’invasion arabo-musulmane donna le coup de grâce à cette chrétienté déjà bien meurtrie par ses divisions internes. Elle ne survécut que provisoirement dans quelques îlots vite absorbés par la marée militaire et religieuse qui déferla du Moyen-Orient jusqu’en Espagne. L’Eglise ne subsista que dans les ruines de ses basiliques et baptistères (on peut encore admirer ces vestiges à Carthage ou à Tipasa, près d’Alger) et dans la mémoire de ses martyrs des trois premiers siècles.

Puis survint au XIXe siècle la conquête coloniale française, qui débuta sous le règne du roi Charles X et finit par couvrir toute l’Afrique du Nord occidentale, ainsi que les oasis sahariennes. Les conquérants ouvrirent les portes de la région «soumise» aux populations qui affluèrent de France, d’Espagne ou d’Italie. Les nouveaux venus firent de ces terres des vignobles et des champs de blé et transformèrent ports et bourgades en centres urbains modernes et équipés. Tout naturellement, l’Eglise trouva place dans ce nouveau paysage, important d’Europe ses structures ecclésiales et ses œuvres de bienfaisance mises au profit de ces chrétiens fraîchement débarqués. Sauf la louable exception du cardinal Lavigerie, elle ignora superbement la majorité musulmane qui végétait à ses côtés.

«La mort des martyrs aurait pu être comprise comme le dernier sursaut d’une Eglise»

Cette situation perdura un siècle et demi, jusqu’au départ mouvementé de la population européenne qui laissa derrière elle une Eglise d’Algérie exsangue, réduite à quelques moignons de communautés disséminées sur un vaste territoire. Cependant, des religieux et religieuses «expatriés» acceptèrent d’y demeurer, reconvertissant leurs œuvres au bénéfice de la population musulmane. Ce ne fut qu’un répit, jusqu’au jour où le nouveau régime algérien nationalisa les institutions scolaires, sociales et sanitaires d’origine coloniale et interdit aux étrangers de servir dans des établissements officiels. Puis vint l’horrible guerre civile et la pression exercée sur les étrangers de quitter le pays. Sans doute la fatigue et le vieillissement amenèrent quelques religieux et religieuses épuisés à regagner l’Europe. Demeurèrent sur place les irréductibles et, parmi eux, les martyrs béatifiés le 8 décembre. Ils scellèrent par le sang leur fidélité à cette terre.

Leur mort aurait pu être comprise comme le dernier sursaut d’une Eglise avant sa totale disparition. Grâce à Dieu, il n’en fut rien. Pierre Claverie aimait répéter que le grain de blé devait d’abord mourir pour donner du fruit. Bien avant lui, Tertullien, un autre chrétien d’Afrique du Nord, avait écrit que le sang des martyrs était une semence. En fait, la relève se profilait.

«Les catholiques d’origine subsaharienne constituent désormais la nouvelle Eglise d’Algérie»

Je l’avais pressenti il y a quelques années au cours d’un voyage en Afrique du Nord. Ce que j’ai visionné et lu ces jours derniers me le confirme: les catholiques d’origine subsaharienne constituent désormais la nouvelle Eglise d’Algérie et même celle qui couvre l’ensemble du Maghreb. Formée d’étudiants des deux sexes, mais aussi de cadres, de commerçants, de collaborateurs d’entreprises ou de services, ces jeunes catholiques remplissent désormais les lieux de culte laissés vides par les Européens. Ils y chantent des messes de leur répertoire, animées par leurs chorales. Ils y font baptiser et catéchiser leurs enfants ou s’inscrivent dans le catéchuménat des adultes. Ce souffle de jeunesse est désormais conforté par l’arrivée de jeunes religieux et religieuses en provenance du Tchad, du Mali et même d’Ouganda, venus prendre la relève de leurs frères et sœurs européens. Pour la plus grande joie de leurs coreligionnaires africains, mais aussi à l’aise dans le milieu algérien, ne serait-ce que pour avoir côtoyé et fréquenté dans leur terre natale des compatriotes musulmans.

Mais il y a plus. Colonisés eux aussi, ces nouveaux chrétiens d’Algérie n’ont pas le complexe de l’européen colonisateur qui tente de faire oublier ce «péché originel». Bien au contraire, ces catholiques à la peau basanée se fondent dans les médinas aussi facilement qu’au sein des faubourgs de leurs métropoles subsahariennes. Mieux que tout, ils n’ont pas honte de porter leur habit religieux. Et personne autour d’eux ne semble s’en offusquer ou le leur reprocher.

Quels seront les fruits de cette mutation? Davantage qu’un banal flux migratoire, c’est certain. Sans doute un métissage social qui pourrait à l’avenir faciliter le droit de chacun à choisir sa religion, comme cela est déjà le cas dans la plupart des pays subsahariens où musulmans et chrétiens vivent en général en bonne entente. Il y aura sans doute des précipices à combler. Notamment le regard méprisant porté par les Africains blancs sur leurs frères noirs. Mais ceci est un préjugé racial, non religieux. L’islam pourrait même contribuer à le surmonter. Bilal, premier muezzin du Prophète à La Mecque, n’était-il pas un Noir, d’ascendance africaine?

Guy Musy

20 décembre 2018

 

 

En Algérie, la relève catholique viendrait-elle d'Afrique? | © Ben Curtis/Keystone
18 décembre 2018 | 11:42
par Guy Musy
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