Bonne année, vraiment?
Chaque changement d’année nous place devant notre lot de questions et de doutes. L’année qui s’ouvre sera-t-elle vraiment meilleure que celle qui vient de se clore? Que pouvons-nous attendre des nouveautés prévisibles? Serons-nous pris de court par des événements surprenants? Devrons-nous réviser nos habitudes et adopter de nouveaux standards? Je pourrais étendre cette liste à l’infini. Les limites de ce blog m’obligent à faire des choix. C’est un exercice salubre. Surtout que j’ai failli oublier le délai rédactionnel, et qu’il m’a fallu un rappel bienvenu, le matin du jour de l’An!
Alors je prends mon élan, je ramasse mes énergies, je me concentre au maximum. Ecrire comme cela pour une foule d’amis, sans être sûr de ceux qui seront mes lecteurs, c’est un pari et une gageure. En fait, ami lecteur, je vous suggère de me prendre comme je suis. Je vais rédiger ce billet pour vous, oui c’est ce que je vais faire, mais pour y parvenir, je vais d’abord m’adresser à moi-même. Je suis mon premier lecteur, c’est ainsi. Tout auteur passe par la même expérience. Concentration, imagination, projection! Muscles tendus, esprit éveillé (ou réveillé, un lendemain de réveillon), yeux grands ouverts, je me demande, du mieux que je peux: Qui suis-je? Où vais-je? Que vais-je devenir?
Quel curieux hasard. Je suis en train de rédiger des mémoires. Et j’ai retrouvé ce poème en prose, que j’ai écrit en 1982:
Pourquoi j’écris
J’écris enfin pour dépasser
Le mode la mode le monde
C’est-à-dire en clair
Pour enfoncer du simple
Au creux du tout et du rien
C’est qu’en effet
L’écorce charnue ne parle pas si bien
Les trains entrecroisés s’évanouissent
Les mains enfilées se refroidissent vite
L’épaisseur du réel se rabote de jour
C’est qu’en effet
Rien n’a tant d’effet que la nuit angoissée
Les arbres ne pleurent qu’au prix de silences induits
La jointure des corps se désagrège, au fil de la rouille
Les jardins suspendus balbutient d’affreux monologues
C’est qu’en effet
Rien n’a tant d’effet que le babel des langues
Les leaders ne rassemblent que des cris d’étranglés
L’élixir de la paix a des relents d’oubli
Les livres ouvrent des taches aveugles sur des puits
C’est qu’en effet
Rien n’a tant d’effet sur la parole morte
Que l’éclat de verre étanche en l’ œil éteint
J’écris enfin pour conjurer
La folle alliance du silence et de l’eau trouble
Et la dispersion non dite des éléments cosmiques
J’écris en commencement d’espoir
Pour réunir la fragile gerbe de sang
Et la croisée des ans.
Voilà qui ne me rajeunit pas! Sans compter ma totale ignorance: que faisiez-vous, ô lecteur improbable, en cette lointaine année? Quand je parle à mes petits-enfants, nous essayons ensemble d’imaginer où ils étaient alors, dans le projet encore inconnu de leurs parents, dans le projet de Dieu? Comment le dire? Comment le penser? Comment comprendre le mystère de l’histoire?
En l’an de grâce 1982, j’avais déjà besoin d’un genre littéraire, le poème, pour énoncer le secret de l’an neuf. Le temps passe, les hommes s’usent, l’écriture va et vient. On écrit, des histoires, des poèmes, des blogs, quoi encore? Mais toujours l’homme essaie de formuler le sens de sa vie et d’anticiper l’avenir de son destin. Sans succomber aux noires sentences du malheur.
J’ai eu du plaisir, amis lecteurs, amis de l’An neuf, à vous entretenir ainsi de mes souvenirs du passé et de mes désirs de futur. Puissiez-vous vous aussi vous dire à vous-mêmes: bonne année, vraiment!
Denis Müller
2 janvier 2019
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