Paul Dembinski

CS/UBS: vers un fonds privé de garantie pour limiter les risques?

Les évènements récents ont ravivé les débats autour de la place de la finance dans nos économies et de son mode opératoire. En soi, ces débats ne sont pas nouveaux, mais prennent aujourd’hui en Suisse une importance spéciale. Deux problématiques récurrentes méritent d’être rappelées.

La première question concerne le rapport entre, d’une part, l’idée libérale d’autonomie de l’activité économique par rapport au politique et de l’autre la taille maximale des acteurs. Ce dernier principe est clairement violé quand un gouvernement – à l’instar de Conseil fédéral – est amené à fournir à un acteur – somme toute privé – une garantie correspondant à 1/3 du produit national pour protéger l’économie et la société des conséquences «incalculables» d’une possible faillite. Cela implique, qu’en cas – théorique – d’activation de la totalité des garanties, toutes les recettes de la Confédération pendant deux ans et demi devraient y être consacrées. Ces proportions, montrent les limites pratiques de l’applicabilité du principe d’autonomie.

«Les niveaux de rémunération atteints aujourd’hui par le top management des mastodontes sont bien au-delà de ce qui est éthiquement justifiable»

De deux choses l’une: soit l’on s’en tient aux principes et alors la Suisse se donne rapidement les moyens de limiter la taille des acteurs économique, soit l’on admet clairement que l’autonomie de l’économie relève du mythe et que, par corollaire, la collectivité porte l’ultime responsabilité.  En vertu de cette reconnaissance, le politique devrait obtenir un droit de regard – voire un droit de veto – sur la conduite des affaires. Nous ne serions plus alors dans une économie libérale, mais dans une économie mixte, très éloignée du discours libéral omniprésent.

Pour compliquer les choses, la question de la taille des acteurs a aussi un volet international. En effet, si la taille des entreprises les plus grandes devait être étalonnée sur la grandeur de l’économie nationale, les petits pays  – dont la Suisse – seraient de fait exclus de la ligue des champions de l’économie globale. Comme la Suisse tire une part significative de sa prospérité de l’activité globale de ses entreprises, ni la population ni les autorités ne voudraient d’une telle solution. Que faire alors pour concilier autonomie de l’économie et mastodontes? Une piste qui vient à l’esprit et qui devrait être étudiée en profondeur est la constitution d’un fonds de garantie – financé par l’économie privée, notamment les très grandes entreprises – qui pourrait être actionné au cas où un acteur suisse déclencherait des risques systémiques nécessitant le recours à l’argent du contribuable.

La deuxième problématique que ravive le débat actuel concerne le système de rémunération, notamment mais pas seulement dans leur part variable – les fameux bonus. Soyons clairs, les niveaux de rémunération atteints aujourd’hui par le top management des mastodontes – financier et non-financiers – sont bien au-delà de ce qui est éthiquement justifiable. Ils relèvent plus du mimétisme que de la raison économique. Il n’en demeure pas moins, qu’ils découlent de mécanismes incitatifs largement pratiqués et parfaitement légaux.

«La crise du CS/UBS n’aura pas été inutile si elle provoque un débat politique en profondeur»

Le problème est donc plus fondamental, il touche au découplage que permet la forme juridique de la société par action, entre le management fait de mercenaires et les actionnaires largement nomades, en tout cas dans le monde des entreprises cotées. Si nous ne voulons ni de rémunérations extravagantes ni de prises de risques inconsidérées (notamment pour la collectivité), deux pistes sont à explorer. Il y a d’une part la voie de l’exigence formelle de soumettre les modes du calcul des rémunérations dans les entreprises cotées – financières et non financières – à l’approbation d’une autorité publique. Celle-ci aurait à apprécier à la fois l’adéquation des niveaux de rémunération correspondants, et leur caractère incitatif au regard de la prise de risques sur laquelle ces mécanismes pourraient déboucher. La deuxième piste est celle de la fiscalité dont la progressivité pourrait être accentuée pour devenir confiscatoire.

La crise du CS/UBS n’aura pas été inutile si elle provoque un débat politique en profondeur qui conduirait à des propositions constructives, au moins sur ces deux questions, qui – laissées sans réponse – risquent de revenir en force lors de la prochaine crise.

Paul Dembinski

29 mars 2023

La crise du CS/UBS n’aura pas été inutile si elle provoque un débat politique en profondeur | © Alpha Photos/Flickr/CC BY-NC 2.0
29 mars 2023 | 07:15
par Paul Dembinski
Temps de lecture: env. 3 min.
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