Jacques-Benoît Rauscher

Et si l’on se réjouissait profondément des JMJ de Lisbonne?

Les dernières Journées Mondiales de la Jeunesse de Lisbonne (JMJ) ont marqué une étape. Évidemment, parce qu’il s’agissait des premières depuis la fin du COVID (d’ailleurs, elles ont été reportées en raison de la pandémie) et qu’il est heureux de voir des jeunes pouvoir se réunir à nouveau après un temps de confinement et distanciation. Par ailleurs, rêver (au bon sens du terme), grâce à ce type de rassemblements à une humanité qui surmonte ses divisions fait du bien surtout quand des bruits de guerres se font entendre à nos portes.

Mais ces JMJ ont marqué aussi un vrai changement de génération. Et c’est sur ce point que je voudrais m’arrêter. Je dois confesser que, personnellement, j’ai expérimenté ce changement de génération de manière très directe, pour ne pas dire un peu brutale. Le soir du départ pour le Portugal, alors que nous recevions des groupes de jeunes dans mon couvent, un futur participant m’a demandé quelles étaient les JMJ auxquelles je m’étais rendu. Sans hésiter, je lui ai alors égrené, tel un trophée, les trois rassemblements que je porte à mon actif: Paris en 1997, Rome en 2000 et Cologne en 2005. Il m’a regardé avec un petit sourire, a laissé un temps de silence un peu gêné puis a ajouté: «Eh bien, je n’étais né à aucune de ces dates!». Pour enfoncer le coup de vieux que je m’étais pris sur la tête, un couple d’amis —JMJistes en même temps que moi dans les années 1990-2000 —m’a laissé un message le lendemain matin pour m’annoncer que leurs deux plus grands fils viendraient à Lisbonne… Un changement de génération donc.

Si je l’évoque, ce n’est pas pour étaler mes souvenirs d’anciens combattants. C’est parce que, au-delà de mon cas personnel, ce changement de génération m’a fait réfléchir. En effet, au retour de mes premières JMJ, j’avais entendu beaucoup de commentaires —y compris dans l’Église— aigres-doux: oui, il s’agissait d’un succès en nombres de participants ; mais ce succès tenait beaucoup au charisme propre de Jean Paul II. Même discours en 2000, renforcé par le contexte de cette année-là: rassemblement dans la ville éternelle pour le  Grand Jubilé autour d’un pape qu’on annonçait déjà mourant. En 2005, pour les premières JMJ de Benoît XVI on avait scruté à la loupe les faits et gestes de ce nouveau pontife en affirmant, encore avec une pointe de pessimisme, qu’il capitalisait sur la mémoire de son prédécesseur, disparu quelques mois plus tôt. Bref, à chaque JMJ auxquels j’ai participé, j’ai entendu de doctes commentaires annonçant, à leurs manières, que ces rassemblements finiraient bien par s’essouffler.

«Si des jeunes se mettent en marche pour ce type de rassemblements, c’est parce qu’ils perçoivent que quelque chose de central dans la foi catholique y est en jeu»

Pourtant, 26 ans après mes premières JMJ, je vois qu’une nouvelle génération a bel et bien repris le flambeau. Non, les JMJ n’ont pas seulement rassemblé parce que Jean Paul II savait attirer des foules autour de sa personne. Non, elles n’ont pas été boudées du temps de Benoît XVI parce qu’il était moins charismatique dans les grands rassemblements.

Non, les jeunes des années 2020, réputés —sous nos latitudes au moins —plus classiques que leurs aînés, ne désertent par les JMJ du pape François avec lequel ils se sentiraient en décalage…

Tout cela parle d’une belle maturité de nos communautés catholiques dont on aurait tort de ne pas se réjouir. Si des jeunes, et derrière eux, toute une série de diocèses, de mouvements, d’instituts religieux se mettent en marche pour ce type de rassemblements, c’est parce qu’ils perçoivent que quelque chose de central dans la foi catholique y est en jeu.

Une foi où les frontières nationales ne sont pas niées, mais clairement mises au service d’une appartenance plus vaste. Une foi qui se vit dans la communion au successeur de Pierre que celui-ci s’appelle Jean Paul, Benoît ou François, qu’il écrive Familiaris consortio ou Amoris laetitia; qu’il paraisse proche de telle tendance liturgique ou de telle autre.

Bien sûr, il s’agit de ne pas se laisser illusionner par l’effet nombre. Bien sûr, il est bon de s’interroger sur l’impact écologique d’un tel rassemblement. Bien sûr, il faut continuer à penser les enjeux énormes du catholicisme dans les années à venir sans minimiser les désaccords qui peuvent exister.

Mais il faut aussi regarder ce beau signe en face: une Église qui sait se recentrer, au-delà des querelles de chapelles, sur l’essentiel pour accueillir les jeunes. Des nouvelles générations dans une Église mûre, voilà une image, sans romantisme, de ces JMJ de Lisbonne.

Jacques-Benoît Rauscher

30 août 2023

Les JMJ de Lisbonne ont réunis plus d'un million et demi de jeunes du monde entier | © Raphaël Zbinden
30 août 2023 | 07:19
par Jacques-Benoît Rauscher
Temps de lecture: env. 3 min.
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