Jeanne-Marie Ambly

Evangile de dimanche: une parole scandaleuse

L’évangile de ce dimanche propose à notre écoute des paroles de Jésus rudes à entendre, mais qu’il est possible d’accueillir du fait de leur cohérence avec son enseignement et sa vie. Par contre la première de ces paroles est proprement scandaleuse: «Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre!»

Elle vient en contrepoint de l’adage du 1er Testament, «Œil pour œil, dent pour dent». On lit souvent dans celui-ci une incitation à la vengeance. Il s’agit plutôt d’une limitation de celle-ci. Si vengeance il y a, qu’elle soit limitée, proportionnelle au mal subi. Il n’empêche, se venger, même de façon mesurée, c’est entretenir le cycle de la violence. Ainsi l’avait compris ce héros de western affirmant: «Si tu veux te venger, commence par creuser deux tombes. L’une pour celui que tu vas punir et l’autre pour toi»1. Répondre à la violence par la violence, même si cela paraît justifié, ne fait que prolonger l’engrenage. En témoignent les douloureux conflits dont souffre notre humanité.

C’est à cette escalade que Jésus veut arracher ses disciples. Pour résister à  l’entraînement de la violence si naturel au cœur de l’homme il faut lui opposer une énergie équivalente. D’où l’interpellation scandaleuse: «Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre». Jésus lui-même n’a pas tendu l’autre joue lorsqu’un serviteur du grand-prêtre l’a giflé pendant son procès. Il n’invite pas à provoquer l’agresseur. Pour enrayer le torrent dévastateur du désir de vengeance il dresse, comme une digue, cet impératif «Tends-lui l’autre joue». La force de l’injonction dit le refus absolu de la vengeance et la puissance intérieure nécessaire pour ne pas s’y laisser entraîner, elle ne dicte pas une règle d’action.

Répondre à la violence par la violence, même si cela paraît justifié, ne fait que prolonger l’engrenage.

Les prescriptions suivantes «Si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui…» n’ont pas le caractère scandaleux de la première. Elles sont exigeantes mais acceptables. La difficulté de ce qui est demandé par Jésus semble aller en decrescendo, jusqu’aux deux dernières: il est plus facile de répondre à qui veut seulement emprunter que de donner à qui demande. Comme si, Jésus, après avoir montré, avec l’appel à tendre l’autre joue, le but visé, le rejet radical de la vengeance, indiquait le chemin pour y parvenir : des actes du quotidien davantage à notre portée. Ils nous invitent pourtant à une profonde conversion: qui d’entre nous en apercevant celui qui risque de nous prendre de notre précieux temps n’est jamais tenté de «lui tourner le dos»? Ce pas-à-pas, ce B.A.BA de la disponibilité au quotidien est le chemin balisé par Jésus pour amener ses disciples à extraire la violence de leurs vies.

Ainsi seront-ils «vraiment les fils du Père qui est aux cieux». Un Seul est vraiment le Fils, qui, innocent livré à ses ennemis, a prié pour eux: «Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font» (Luc 23, 34). C’est de lui, le frère premier-né, que nous pouvons recevoir la grâce d’entrer dans la dynamique du pardon.

Jeanne-Marie d’Ambly | 17.02.2017

Cité par Metin Arditi, La Croix du 30 janvier 2017


Mt 5, 38-48

38 Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent.

39 Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.

40 Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau.

41 Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui.

42 À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !

43 Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.

44 Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent,

45 afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.

46 En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?

47 Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?

48 Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

17 février 2017 | 17:30
par Jeanne-Marie Ambly
Temps de lecture: env. 3 min.
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