Jacques-Benoît Rauscher

J’ai la vocation au mariage

J’espère que vous l’aurez compris: je ne m’apprête pas à vous parler de moi et à faire une déclaration fracassante… Non, mais je voudrais vous parler d’une phrase qu’il m’arrive d’entendre dans le cadre d’accompagnement ou de rencontres avec des jeunes: «Moi, j’ai la vocation au mariage!» Cette phrase a le chic de m’interroger, voire de m’agacer un peu pour ce qu’elle dit du mariage mais aussi d’un certain nombre de représentations de notre vie chrétienne. Je m’explique.

On prend parfois l’habitude de présenter les «vocations» dans la vie chrétienne comme un ensemble d’options à disposition pour mieux maximiser ses singularités et viser ainsi à réaliser au mieux son épanouissement chrétien: «pour moi, ce sera la vie contemplative. Pour moi, la vie de prêtre diocésain. Pour moi, le mariage, etc…».  Le rôle de la communauté chrétienne consiste à les mettre sur la table. Mais, ultimement, c’est à l’individu de faire son choix, dans le secret de sa rencontre avec Dieu. Après avoir pris un temps de prière ou de silence, éventuellement avalisé par un accompagnateur, une personne pratiquante en recherche peut alors finir par conclure: «Moi, j’ai la vocation au mariage!».

Il y a bien sûr quelque chose de beau quand une (jeune) personne voit se dessiner –même de manière imprécise –ce qui sera son chemin de vie. C’est évidemment une source d’émerveillement de constater qu’elle associe Dieu à ce chemin en reconnaissant qu’Il l’appelle singulièrement. Mais, en même temps, ce type de déclaration peut cacher une conception brouillée de ce que sont les états de vie et les «vocations» dans l’Église et plus largement de la manière dont Dieu nous parle.

«Il ne faudrait pas présenter comme une découverte métaphysique le fait d’avoir une vocation au mariage»

En effet, elle tend d’abord à gommer la place qu’occupe la nature dans notre vie chrétienne. Elle semble indiquer que la manière dont Dieu s’exprime devrait toujours être extraordinaire, en décalage avec les inclinations que nous partageons avec toutes les autres personnes humaines. Or ce qui est naturel en nous est un appel de Dieu. Concrètement, chaque personne humaine cherche à aimer, à être aimée et à donner la vie. Il n’est pas nécessaire de faire des retraites interminables et de se tortiller l’esprit des heures devant le Saint-Sacrement pour percevoir cet appel-ci. A cet égard, une «vocation» à la vie consacrée (ou à la vie de prêtre diocésain dans l’Église latine) est une exception par rapport à cette «vocation» au mariage que Dieu adresse à toute personne humaine. Il est tout à fait naturel de sentir un appel à se marier et il ne faudrait pas présenter comme une découverte métaphysique le fait d’avoir «une vocation au mariage». Tout le monde a une vocation au mariage, entendu de cette manière.

Ensuite, on n’a jamais de vocation tout seul(e), a fortiori quand il s’agit de la «vocation» au mariage. En ce sens, il n’y a pas de «vocation au mariage» hors sol, dans l’abstrait. Il y a toujours une vocation au mariage avec quelqu’un. C’est Juliette qui appelle Paul à se marier; c’est Paul qui appelle Juliette à se marier. S’il n’y avait pas de Juliette ou s’il n’y avait pas de Paul, il n’y aurait pas de «vocation au mariage» pour l’un ou pour l’autre. Ou plutôt, il y aurait cet appel «naturel» évoqué plus haut. Un appel passe toujours par la médiation de personnes et par une mise en pratique de cet appel.

«C’est ensemble, avec tout ce que nous sommes, que nous sommes appelés à marcher vers la sainteté»

Enfin, une vocation est toujours une manière singulière de se mettre au service d’un peuple. Il est frappant de constater, dans la Bible, que les récits de vocation des prophètes, des apôtres ou de tous les grands personnages de l’Histoire sainte ne sont jamais uniquement une promesse de développement de leur relation personnelle à Dieu. C’est d’abord une mission qui leur est confiée au service du Peuple de Dieu; mission qui sera le chemin singulier par lequel passera leur relation avec Dieu. Cela est valable aussi pour le mariage. Comment est-ce que ma manière particulière de vivre –à travers le mariage, la vie célibataire ou la vie consacrée –permet de sanctifier l’Église, de témoigner de la foi de mon baptême?

Prendre en compte notre nature humaine. Regarder les personnes concrètes qui nous appellent. Nous souvenir que tout ce que nous vivons nous met en lien avec un Peuple. Voilà quelques dimensions que le mariage bien compris rappelle à tous chrétiens. Il y a un vrai enjeu aujourd’hui de rompre le cou aux conceptions trop éthérées ou trop individualisées de nos appels singuliers et nous rappeler que c’est ensemble, avec tout ce que nous sommes, que nous sommes appelés à marcher vers la sainteté. Alors, en marche!

Jacques-Benoît Rauscher

15 février 2023

Le mariage, une «vocation» chrétienne comme les autres? | © Pixabay
15 février 2023 | 07:53
par Jacques-Benoît Rauscher
Temps de lecture: env. 3 min.
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