Pascal Fessard

La maîtresse au feu

Le propos de ce billet n’est pas seulement de brûler les enseignantes relapses, mais aussi les hérétiques. Par mesure de salut public, j’invite les âmes sensibles à s’abstenir de poursuivre une lecture qui sent déjà le grillé.

Depuis quelques mois, des braises couvent sous la cendre dans un cycle d’orientation de Brigue, en Valais. L’affaire s’enflamme dans les journaux, une veille de la Toussaint. Quelle chance, elle s’avère délicieusement compliquée! Une enseignante catholique se convertit au judaïsme. Pourquoi pas, tout arrive dans ce monde. Ce faisant, la dame se voit licenciée par son directeur, au motif lu dans la presse que l’Evêque de Sion lui a retiré son droit d’enseigner. Oh oui, dans ce beau pays valaisan les relations Eglise-Etat exigent de l’Evêque qu’il donne mission aux enseignants de dispenser le cours «éthique et cultures religieuses» (qui n’est pas une leçon de catéchèse catholique). C’est ainsi, c’est tout. L’Evêque de Sion n’a pas interdit d’enseigner autre chose, la chimie, la phlogisitique ou que sais-je, en somme il ne «vire» pas. Le licenciement tient d’une décision de direction, qui n’incombe pas à l’Evêque de Sion, et qui n’a pas forcément à être rendue publique. D’ailleurs l’intérêt ne se situe pas là, mais dans le fait qu’une judaïsante ne puisse pas enseigner les cultures religieuses au cycle d’orientation.

Cette affaire me rappelle un rendez-vous chez le médecin de famille valaisan, il y a de cela quelques années. Quand je lui expliquais que, pour raisons matrimoniales, je m’installais en République genevoise, il s’arrêta net, le regard introverti, avant de dire avec une touche de triste fatalité: «Ils nous ont brûlé Michel Servet.»
Que rétorquer à cela? Michel Servet le grand médecin ibérique, celui qui le premier décrivit la petite circulation sanguine entre le cœur et les poumons. Michel Servet, bienfaiteur de l’humanité, grillé à Champel par Calvin. Espérant unifier les religions monothéistes, il avait rédigé et transmis ses idées au Réformateur: Si le christianisme abandonnait le concept de Trinité, alors chrétiens, juifs et musulmans pourraient se rassembler sous un même clocher. Calvin lut l’imposant manuscrit original du traité de théologie composé par Servet. Il ne le rendit jamais à son auteur. Peut-être souhaitait-il que l’Espagnol oublie la théologie pour retourner à sa vocation médicale? Peut-être le conservait-il comme combustible? Michel Servet eut l’audace de se rendre à Genève, il y trouva un chaud martyre dans les fumées de sa théologie. Car Calvin ne put se résoudre à l’abandon du Dieu en trois personnes, l’essence du christianisme faisant de la relation le fondement de la Vérité.
Bien que Thomas d’Aquin déconseille le bûcher et invite à laisser pousser les hérétiques comme de l’ivraie, je donne volontiers raison au Réformateur contre le Médecin. Sans la Trinité, comment exprimer la relation à Dieu, la spiritualité, la mystique? La relation – l’Amour – exige trois, pour ne pas sombrer dans l’orgueil. A démontrer, à vivre.

Il apparaît que notre temps n’offre plus à l’Evêque de Sion de brûler l’enseignante hérétique; il semble que ce soit un progrès. Si j’étais évêque, je crois que je missionnerai volontiers un Juif, un vrai, pour le cours en question. Je me vois cependant mal confier cette mission à un catholique qui tourne le dos au Christ pour retrouver les racines du christianisme, ses raisons me paraissant tenir plus de la spéculation intellectuelle que de la foi. Disons que, si j’ai la possibilité de composer l’équipe, j’évite de titulariser celle qui me garantit des autogoals à chaque match, celle qui jouera contre la Trinité.

Quant à savoir si cette procédure d’engagement a de l’avenir, je reste dubitatif. Surtout parce que ce genre de cours ne possède pas de dimension d’évangélisation,  et même si tel était le cas, la classe et le système scolaire ne sont franchement pas des lieux propices à la conversion, pour preuve l’évolution de la catéchèse scolaire et ses échecs depuis trente ans. Il paraît raisonnable et sans contre-indication pour l’Eglise d’engager des enseignants affichant avant tout des compétences d’historiens ou de philosophes, plutôt que confessant nécessairement la foi chrétienne.

Néanmoins, dans nos sociétés perdant leurs valeurs à force de se vouloir trop laïques, il est toujours bon, par principe, que l’évêque soit garant d’une certaine moralité et partenaire de l’Etat dans les décisions le concernant. Gardons quelques bûches prêtes à servir! Car, au fond, nous ne sommes pas tous fiers d’être servettiens.

 

Pascal Fessard

1 novembre 2013 | 15:11
par Pascal Fessard
Temps de lecture: env. 3 min.
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