Claude Ducarroz

L’auberge de la croix blanche

Une auberge, c’est un lieu où l’on héberge, autrement dit une maison accueillante au voyageur, au pèlerin, à l’étranger de passage. Gîte et couvert sont à disposition, dans un esprit d’hospitalité et de partage. Un peu partout, dans notre pays, on trouve des auberges sous le vocable de «la croix blanche», sans doute pour honorer notre drapeau bien suisse. Une forme de patriotisme de bon aloi!

Et si la Suisse devenait de plus en plus une grande auberge à la croix blanche sur fond rouge? Oui, une Suisse qui ne ferait pas d’abord de son drapeau un argument de promotion économique, mais une référence pour la qualité de son accueil à tous. Le blanc deviendrait alors la somme de toutes les couleurs, et le rouge la volonté d’un certain amour universel. Sans compter que la croix elle-même, au delà de sa signification typiquement chrétienne, pourrait être lue comme l’ouverture de chemins fraternels dans les quatre directions de l’horizon humain.

«Puisque nous avons la réputation d’être plutôt riches, il n’est pas interdit de rêver qu’on soit accueilli chez nous avec une certaine magnanimité»

Dans une bonne auberge, celui qui frappe à la porte est déjà un bienvenu. Le premier dialogue donne le ton de la convivialité. Le minimum administratif n’étouffe pas la cordialité de la relation. Dans les limites du possible, l’hôte doit de sentir «à la maison». Sans doute, tout ne sera pas permis ni toléré. Car il doit régner une réciprocité de respect et de bienséance. La générosité de l’aubergiste ne doit pas servir de prétexte à des abus ou à des désordres. Quand arrive le moment du départ, l’hôte accueilli n’est pas jeté dehors, mais accompagné à la porte par l’hôte d’accueil. La bienveillance de l’arrivée continue dans la cordialité de l’aurevoir.

Toutes sortes de personnes, venues de partout, frappent à la porte de la petite mais attrayante auberge helvétique. Puisque nous avons la réputation d’être plutôt riches, il n’est pas interdit de rêver qu’on soit accueilli chez nous avec une certaine magnanimité. Mais il faut aussi convenir que tout n’est pas réalisable ni opportun pour autant.

Quand des riches et des puissants cherchent à rejoindre d’autres riches et puissants dans notre beau pays – pour un temps ou pour toujours-, il est compréhensible que l’accueil soit spontanément favorable, et même facilité au point de devenir empressé. Mais d’autres viennent aussi, qui ont les mêmes rêves, avec quelques illusions en plus. Ils sont tellement étrangers qu’ils sont souvent très étranges, par exemple par leur couleur ou leur culture. Ils sont plutôt pauvres, et doivent évidemment se contenter d’ébergements collectifs à bas seuil. Ils ont des richesses d’amour enfouies dans leur cœur, et aussi des amas de misères gravées dans leurs souvenirs. Ils viennent de très loin, des tréfonds de l’inhumanité parfois. Et si nous étions particulièrement humains avec ceux-là!

«Nous serons d’autant plus fiers et heureux d’être suisses si nous accueillons plus chaleureusement beaucoup de sœurs et frères simplement humains…comme nous!»

On leur avait parlé de la Suisse comme d’un havre de paix hospitalière, enfin! Désormais ils voient un peu partout notre étendard à croix blanche sur fond rouge, y compris sur les documents administratifs qui gèrent le tri entre les bons et les mauvais requérants, entre les admis et les refoulés, entre les bienvenus et les exclus. Cette croix, jadis habitée par un certain Jésus de la plus grande exclusion, ne pourrait-elle pas briller davantage chez nous dans le rouge d’un amour qui re-suscite l’espoir, la dignité, la fraternité? Une vie plus humaine!

Au soir du 1er août, l’auberge suisse va exhiber d’innombrables drapeaux «de gueules, alésée d’argent», parmi les envolées oratoires, les feux de toutes sortes et les musiques patriotiques. Et le plus souvent dans une ambiance de convivialité ouverte et joyeuse. Nous serons d’autant plus fiers de notre drapeau et heureux d’être suisses si nous accueillons plus chaleureusement, pas seulement ce soir-là, celles et ceux qui sont en Suisse sans être des Suisses, parce que notre croix helvétique est capable de rassembler, pas à son ombre mais dans sa lumière, beaucoup de sœurs et frères simplement humains…comme nous!

Claude Ducarroz

23 juillet 2025

«Nous serons d’autant plus fiers et heureux d’être suisses si nous accueillons plus chaleureusement beaucoup de sœurs et frères simplement humains…comme nous!» Claude Ducarroz | © pxhere
23 juillet 2025 | 07:02
par Claude Ducarroz
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