Jacques-Benoît Rauscher

Le Christ est vivant… et, franchement, tout le monde s’en fiche!

Chaque année, je suis saisi par un même sentiment de vertige pendant la semaine sainte. Mais ce sentiment ne s’empare pas de moi d’abord en écoutant les récits de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem; ni en sentant la tension monter au début de la semaine sainte; ni non plus lors de la commémoration de la Cène ou de la célébration de la passion.

Bien sûr, pendant ces jours saints, je me laisse émouvoir par les chants et les textes; je sais aussi qu’il y aura toujours un moment qui aura le goût incomparable d’une rencontre singulière avec le Ressuscité.

Pourtant, je suis sûr que, cette année encore, je rencontrerai le grand vertige de ma semaine sainte. Or ce vertige, je ne le rencontrerai pas à l’église… mais dans la rue; précisément durant la nuit de la Vigile pascale.

Je ne sais pas s’il vous est déjà arrivé d’arpenter les rues d’une ville la nuit de la Vigile pascale et de vous laisser saisir par un sentiment de décalage. De vous dire, en voyant les personnes dans les restaurants et les bars, en regardant aussi les appartements et les maisons éclairées sur votre chemin: ce mystère de Pâques que nous venons de célébrer avec force et dévotion, comme ils sont nombreux ceux qui n’en ont pas entendu parler ! Pire: comme ils sont nombreux ceux à qui ce mystère ne parle pas!

Moi, je me le dis chaque année en sortant de la Vigile pascale. Et cela me donne le vertige. Non pas parce que j’attendrais qu’une foule de croyants me conforte dans mes propres convictions. Non pas parce que je chercherais à assaisonner les fêtes pascales d’un peu de vinaigre par une sorte de masochisme qui n’accepterait pas de se laisser aller à la joie. Si cette indifférence à l’égard de Pâques me donne le vertige, c’est parce qu’elle n’offre pas de prise, qu’elle me place devant un contradicteur insaisissable et anonyme.

«L’indifférence de nos contemporains est peut-être plus subtile et redoutable que celle suscitée par les idéologies du passé»

J’aimerais bien croire que c’est une religion concurrente qui aurait étouffé, par ses doctrines, la bonne nouvelle de la Résurrection. J’aimerais bien pouvoir dire que ce sont quelques grands prêtres d’aujourd’hui qui, par des propos erronés, entraînent les foules à réclamer symboliquement la mort du Christ. Peut-être que je souhaiterais même penser que c’est en raison de petits ou des grands Ponce Pilate, de décideurs politiques iniques, que les hommes de ce temps passent devant le Christ sans réagir.

Mais il n’en est rien. Ou, plus exactement, les choses ne sont pas si simples. En cela, l’indifférence de nos contemporains est peut-être plus subtile et redoutable que celle suscitée par les idéologies, les hérésies ou les puissants des temps passés qui cherchaient à faire taire le message de Pâques.

Chez beaucoup, chez la plupart devrait-on dire avec réalisme, le feu ne prend tout simplement pas parce qu’ils ont autre chose à faire qu’à penser au salut éternel dont on ne sait pas trop bien ce qu’il peut signifier. La Bonne nouvelle de Pâques n’a pas d’écho parce qu’ils sont persuadés qu’une bonne prise en charge des étapes du deuil sera bien plus efficace pour eux qu’une foi en la vie éternelle. Et puis, plusieurs se disent que confesser la résurrection d’un homme mort il y a deux mille ans est, au fond, aussi bizarre que raconter qu’un dieu s’est un jour transformé en taureau pour séduire une belle femme.

«Notre monde ne brûle pas de la lumière de Pâques; ne regardons pas ailleurs!»

Bien sûr, rien ne me remplit plus de joie que cette nuit de Pâques. Bien sûr, je crois que le Christ seul a les paroles de la vie, de la vie éternelle. Rien, pas même l’indifférence de la plupart des personnes que je rencontre, ne pourra m’empêcher de vivre de cette espérance. Mais je ne peux pas faire comme si j’étais indifférent à cette lumière de Pâques qui reste sous le boisseau pour tant et tant de personnes.

Face à cette situation, je n’ai pas de solutions magiques à proposer. J’ai juste une souffrance à porter. Un déchirement qui revient chaque année. Un cri que j’aimerais partager pour qu’il continue à me stimuler, à nous mettre en route.

Notre monde ne brûle pas de la lumière de Pâques; ne regardons pas ailleurs!

Jacques-Benoît Rauscher

5 avril 2023

En Occident, beaucoup se désintéressent des célébrations de Pâques | © Mazur/catholicnews.org.uk
5 avril 2023 | 08:35
par Jacques-Benoît Rauscher
Temps de lecture: env. 3 min.
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