Denis Müller

Le pape en voisin

La plupart du temps, le pape voyage très loin. Surtout depuis Jean Paul II. Mais il lui faut bien aussi raccourcir les distances. En venant à Genève, la Rome protestante, il fait d’une pierre deux coups, puisque c’est avant tout au Conseil œcuménique des Eglises qu’il consacrera son attention, quitte à y rencontrer aussi les locaux de l’étape. On assistera ainsi à une pastorale et à une diplomatie à géométrie variable, aéroport compris. Nous autres protestants, nous sommes à la fois vexés et jaloux d’un tel don d’ubiquité.

«Décidément il nous faut que Rome se réforme et que le Vatican s’évangélise»

Nous ne cessons de ruminer la supériorité médiatique de l’institution pontificale, tout en nous consolant grâce à son ambiguïté constitutive. Rome est partout, mais le Vatican n’est qu’à Rome. Le Vatican est une puissance religieuse et pastorale, mais Rome en défigure le projet évangélique. Nous ne sortirons de cette morosité et de cette mauvaise humeur œcuméniques qu’avec l’aide de Rome et du Vatican. Décidément il nous faut que Rome se réforme et que le Vatican s’évangélise. Et, pour cela, nous devons du même coup admettre que, nous les protestants, nous n’avons pas encore atteint le fin bout de la Réforme. Nous ne sommes pas encore pleinement réformés. Nous n’avons pas la Réforme uniquement derrière nous. Nous devons placer résolument la Réforme devant nous. Cela implique, notamment, de nous reconnaître nous-mêmes comme Eglise, au plein sens du terme, et de développer une conception substantielle du ministère et des sacrements. N’ayons pas peur de le dire: un tel ministère est aussi un ministère d’autorité, un magistère, que nous devrions déployer de manière typiquement protestante, en dialogue exigeant et critique avec le catholicisme et avec l’orthodoxie, mais aussi avec les courants évangéliques.

«L’œcuménisme souffre par trop de conventions bien-pensantes»

Ainsi, ce n’est pas seulement au pape de venir à nous, comme s’il était une sorte d’ovni supersonique. Il nous appartient à nous aussi d’aller au pape, non pour le séduire ou lui obéir, mais pour le rencontrer vraiment et le questionner clairement. Pour cela, il faudrait aussi que nos rendez-vous pontificaux ne se limitent pas à des pointages diplomatiques, distants et officiels, mais que les protestants cultivent le dialogue permanent avec les catholiques. L’œcuménisme souffre par trop de conventions bien-pensantes et de compromis entre ecclésiastiques. Il en résulte des conversations prudentes, sans audace et sans imagination. Le temps nous paraît venu d’un œcuménisme viril et féministe, où les vérités soient dites pour que la vérité progresse. Le changement requis n’est donc pas seulement un changement de style, mais aussi une transformation de l’être et du fond. Finies les amabilités chrétiennes et les politesses mondaines.

«Réformons nos coutumes liturgiques, souvent ringardes et traditionalistes»

Empoignons les vraies questions, de doctrine, de pensée, de sacrements. Réformons ensemble notre conception de l’autorité et nos coutumes liturgiques, souvent ringardes et traditionalistes. Réinterrogeons notre conception de Dieu et notre langage théologique, trop fréquemment désuets et désincarnés. Revisitons notre compréhension des autres religions, au lieu de nous satisfaire d’une théologie de la révélation unilatérale et dominatrice. Libérons notre manière de penser l’éthique, trop souvent entachée de conformismes moralisateurs. Et reconnaissons aux Eglises leur faculté de penser la politique, loin du conformisme et de la peur.

Denis Müller

6 juin 2018

Le pape François | © Jacques Berset
5 juin 2018 | 12:14
par Denis Müller
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