Guy Musy

Martyrs au Japon

Je ne suis pas cinéphile et encore moins japonais. Mais le film «Silence» de Scorsese ne pouvait me laisser indifférent. A cause du thème qu’il exploite et développe.

Le sort des anciens chrétiens du Japon, évangélisés par François- Xavier et ses confrères jésuites, mais aussi par des Dominicains venus des îles Philippines, intéresse à plus d’un titre le vieux missionnaire qui écrit ces lignes. Nous célébrons encore dans notre liturgie la mémoire de ces chrétiens de Nagasaki horriblement torturés avant d’être mis à mort au 16e siècle. Peu importe les motifs allégués pour justifier leur persécution: traîtres au service de puissances étrangères, rebelles et insoumis aux autorités du pays, dissidents du bouddhisme national, le fait est que ces hommes, ces femmes et ces enfants moururent en témoignant de leur foi en Jésus-Christ.

Scorsese essaye de comprendre le renégat ou l’apostat

Tragique aussi fut au Japon la disparition du catholicisme qui s’en suivit. Avant qu’on n’en retrouve la trace trois siècles plus tard. En effet, quelques centaines de descendants de ces lointains martyrs japonais survécurent dans la clandestinité, sans clergé, sans Bible et sans sacrements. Parmi toute la littérature qui leur fut consacrée, je mentionne l’étude de Géraldine Antille: Les chrétiens cachés du Japon[1]. On ne sera pas surpris de constater combien les affirmations traditionnelles du Credo ont subi au cours de ce long silence des infléchissements nettement syncrétistes. La foi chrétienne perd de son authenticité chaque fois qu’elle s’éloigne de l’universel.

Il se pourrait qu’une question personnelle, particulière au cinéaste, soit à l’origine de ce film. Scorsese n’est pas d’abord intéressé à brosser en images l’histoire d’une lointaine persécution. Son but est plus profond et plus immédiat. Cet italo-américain d’origine catholique se demande comment la foi parvient à survivre dans un contexte hostile. Il s›interroge sur les motifs qui peuvent conduire un croyant et même un pratiquant au reniement ou à l’apostasie. Surtout, il essaye de comprendre le renégat ou l’apostat. Il irait même jusqu’à l’excuser et l’absoudre, tant les pressions extérieures exercées sur lui sont intolérables et le silence de Dieu assourdissant.

Deux personnages du film permirent au cinéaste de symboliser ce drame intérieur. D’abord, Rodriguez, le jeune Jésuite qui ne peut supporter le spectacle de chrétiens japonais horriblement torturés sous ses yeux. Par pitié pour ces pauvres paysans, il finit par piétiner l’image du Christ pour obtenir que cesse leur supplice. Puis, Ferreira, un autre Jésuite, qui fut autrefois le maître du premier. Son apostasie le conduit à rédiger en japonais une piètre réfutation du catholicisme, intitulée: «La supercherie dévoilée»[2]. Il est possible que Scorsese se soit demandé si la foi chrétienne ne survivait pas – silencieusement – dans le cœur de ces deux anciens missionnaires, même si leur comportement dément cette supposition.

Ce sujet n’exigeait donc pas qu’il fût traduit nécessairement dans un cadre japonais. Tout missionnaire sait que ce genre de drame est universel. Mais un roman historique, écrit par un catholique japonais du siècle dernier, permit à Scorsese de développer ce thème à travers un scénario approprié[3]. On aimerait savoir comment le cinéaste dénicha ce livre. Une rumeur non vérifiées voudrait que ce fut un prélat new yorkais qui le lui aurait offert. Scorsese se reconnaissait-il dans Rodriguez et Ferreira? A notre tour de faire «silence».

Guy Musy | 11 mai 2017


[1] Labor et Fides, Genève 2007
[2] Ce traité a été traduit et commenté par Jacques Proust, édition Chandeigne Paris 1998. 2e édition augmentée 2013.
[3] Il s’agit du romancier Shûsaku Endô, auteur de Chinmoku (Silence), paru en 1966, traduit et publié en français aux Editions Denoël en 1992.


«Le sort des anciens chrétiens du Japon intéresse à plus d’un titre le vieux missionnaire qui écrit ces lignes»
11 mai 2017 | 10:25
par Guy Musy
Temps de lecture: env. 2 min.
Japon (95), Martin Scorsese (4), Martyr (32)
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