Pascal Fessard

Une religieuse anticléricale

La publicité faite sur cath.ch à propos de la sortie du film «La Religieuse», inspiré de Diderot, a suscité quelques réactions de messieurs, de dames aussi, de prêtres et de laïcs, mais pas encore de religieuse: «Comment ose-t-on annoncer pareille chose sur un site catholique?» La question est légitime; avant d’y répondre, disons d’abord de quoi il s’agit.

Quatre portraits de femmes

Je n’ose pas titrer «quatre portraits de religieuses», car si ces femmes sont censées l’être, elles nous laissent avec une terrible image de la vie consacrée et des couvents: orgueil, méchanceté, lubricité.
Nous rencontrons une première mère supérieure soucieuse d’accompagner ses soeurs dans un vrai discernement. Aimante et humble, elle se fait toutefois un point d’honneur à conduire à Dieu la jeune Suzanne, novice placée contre sa volonté par sa famille. Devant son incapacité à lui donner goût à la vie de couvent, la mère supérieure, se sentant abandonnée de Dieu, se suicide en se jetant au fond d’un puits, rongée d’orgueil.

Celle qui lui succède la dépasse en horreur; chez elle l’orgueil s’est épanoui en méchanceté. Elle impose à Suzanne les vexations les plus humiliantes et des sévices corporels mettant en danger sa santé mentale, au point qu’il faille la transférer dans une autre communauté pour préserver sa vie.

Là, dans cet autre couvent, elle est accueillie trop aimablement par la mère supérieure, qui lui fait des avances jusqu’à en perdre la raison et s’infiltrer dans sa couche. Suzanne parvient à «s’évader» grâce à une aide extérieure. Cette religieuse forcée incarne toutes les vertus, pieuse elle prie Dieu avec foi, recherche la vérité sans duplicité, se fait obéissante par amour filial pour sa mère et parvient à aimer une consoeur qui pourtant la hait à mort. Celle qui apparaît si parfaitement chrétienne cependant se refuse à la vie consacrée, faisant pour les couvents la pire des publicités.

Des couvents stigmatisés

Le temps de Diderot a cet avantage sur le nôtre, quand il est anticlérical, il n’est pas athée. Je crois que les lignes les plus agressives à l’encontre des couvents ne viennent pas du philosophe français, mais de son contemporain Adam Smith qui préconisait leur fermeture en raison du gâchis économique qu’ils représentent. Là où Diderot déconsidère leur exemplarité morale, Smith leur refuse toute raison d’être. C’était dans l’air du temps, on avait oublié – avait-on su seulement? – que ces établissements étaient autrefois des lieux de liberté et de sécurité pour les femmes seules, les jeunes filles peu désireuses de jouer leur vie en couches pour un mari imposé, les riches veuves en proie aux velléités de promotions sociales de quelques intrigants, etc. Des lieux aussi d’art, de culture, d’industrie et de sciences. Si, si, de sciences aussi, en témoigne Hildegarde de Bingen, qui fait mentir Adam Smith et plaide à décharge.
Si les critiques de Diderot ne sont pas infondées encore parfois en notre temps, l’essentiel manque; de la vie spirituelle en communauté nous n’avons pas parlé. Le sujet est ma foi bien plus vaste que ce que cette modeste «Religieuse» peut embrasser, ce qui ne fait pas d’elle un mauvais film, ni un bon d’ailleurs.

Censure

En 1824, «La Religieuse» subissait une censure d’Etat pour outrage à la morale publique, sort qu’elle devait connaître à plusieurs reprises jusqu’au XXème siècle. Le siècle qui nous a, pour l’instant, presque tous vu naître redécouvrait Diderot. Quand l’Eglise de Vatican II supprimait la mise à l’index, sous Paul VI, en juin 1966, personne ne s’inquiétait plus de la religieuse de papier. On s’en remettait à la conscience mûre des fidèles. Or, trois mois plus tôt, la première interprétation cinématographique, celle de Jacques Rivette, connut la censure de l’Etat Français. Elle sera levée un an plus tard pour vice de forme; il devait être délicat que l’Etat paraisse plus clérical que l’Eglise. Au moins le succès du film fut garanti… Aujourd’hui, un site catholique fait la publicité d’une seconde version cinématographique, s’en remettant à la conscience mûre des fidèles. Quelques-uns réagissent, blessés, qu’ils nous pardonnent. Mais l’essentiel de ceux (et celles) qui autrefois se scandalisaient sont dans la tombe, car les vocations autoritaires, sadiques ou saphistes ne remplissent plus les couvents. On y entre pour d’autres raisons, honorables. Le film ne dénonce plus rien de réel, son succès s’en trouve du reste fort compromis.

 

Pascal Fessard

28 mars 2013 | 15:13
par Pascal Fessard
Temps de lecture: env. 3 min.
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