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Homélie

Homélie du 18 février 2018 (Mc 1, 12-15)

Abbé Marc Passera – Église St-Joseph, Genève

  1. « Convertissez-vous et croyez à l’Evangile ».

C’est par ces paroles que Jésus a adressées personnellement à chacune et à chacun que nous sommes entrés dans le temps du Carême.
« Convertissez-vous et croyez à l’Evangile » : deux impératifs. Ce sont les premières paroles de Jésus que rapporte Marc et qui donnent le ton à tout son Evangile.

Mais ces deux impératifs sont précédés de deux indicatifs : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche ». Pour accueillir les deux impératifs tels que Jésus nous les adresse, il importe d’abord d’entendre les deux indicatifs.

« Le temps est accomplis ».

Dans le temps qui passe, et qui peut nous paraître vide de sens,  dans notre temps qui parfois est du temps perdu, chacun de nous a vécu des moments particuliers, d’une qualité et d’une épaisseur surprenantes et chacun a perçu qu’il s’agissait d’occasion à ne pas manquer.

Or Jésus l’affirme avec force : « le temps (καιρός) est maintenant dans sa plénitude ».

« Le règne de Dieu est tout proche ».

Le règne tant attendu, tant désiré, il n’est pas seulement un peu plus proche qu’avant ; il est là, maintenant.
Il est là parce que Jésus est là et parce qu’il donne sa plénitude à ce temps qui est le nôtre.

Mais cela ne s’impose pas à un regard superficiel.
Voilà pourquoi il s’agit de se convertir, c’est-à-dire de changer de regard et de manière de comprendre ce qui nous arrive et qui arrive à notre monde.

La présence du règne non plus ne s’impose comme une évidence à un coeur attentif aux souffrances de ses proches et de notre temps ni à une intelligence qui s’interroge pour essayer de comprendre.

Voilà pourquoi il s’agit d’entrer dans la confiance: « croyez à la bonne nouvelle ».
Mais avant de rapporter ces premières paroles de Jésus, Marc tient à souligner une dimension qui nous permet de bien les comprendre.  Il nous dit que Jésus a reçu le baptême de Jean, il nous dit qu’il fut tenté au désert.

 

2. Le baptême de Jean : « Toute la Judée, tous les habitants de Jérusalem se rendaient
auprès de lui, et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain, en reconnaissant publiquement leurs péchés ».
Tous  – et nous avec – sentent qu’il faut que quelque chose change. Tous aspirent à une vie meilleure.
Mais tous font aussi l’expérience de ce péché qui nous limite tel un frein et qui nous empêche d’être pleinement nous-mêmes.
D’une manière ou d’une autre, tous se rendent compte qu’« image et ressemblance de Dieu » (cf. Genèse 1,26-27), nous nous retrouvons dans ce qu’Augustin appelle si bien la « région de la dissemblance »[1].
En plongeant dans les eaux du Jourdain, c’est le désir d’une vie nouvelle, pleinement libre, pleinement épanouie qui s’exprime.
Mais alors, que fait Jésus, lui qui est sans péché, (cf. I Pierre 2,22) au milieu de ces femmes et de ces hommes qui se reconnaissent pécheurs ?
Jésus le dira au scribes et aux pharisiens scandalisés de le voir manger avec des publicains et des pécheurs : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » (Marc 2,17).
Et il vient les appeler – nous appeler – en prenant sa place au milieu d’eux, en se frottant à notre réalité humaine, en faisant sienne la souffrance de vivre en deça de ce que nous sommes.
Il partage nos démarches parfois maladroites, mais qui expriment notre désir profond d’une vie nouvelle.
Et Marc de noter : « En remontant de l’eau, aussitôt (εὐθὺς) Jésus vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Et il y eut une voix venant des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » (Marc 1,10-11).
C’est après s’être mêlé aux pécheurs et c’est parce qu’il s’est mêlé à nous que Jésus est appelé «mon Fils bien-aimé ».

3. Puis vient un deuxième « εὐθὺς» : « aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert » (Mc 1,12) ou pour traduire plus littéralement le « jette dans le désert » – et c’est violent… Là, pendant 40 jours, il est tenté ou pour mieux rendre le verbe grec, il est « mis à l’épreuve ».
De quoi s’agit-il ? Chacun de nous doit faire des choix, prendre des décisions, fixer des priorités, orienter sa vie.
Et il nous arrive d’être tentés par la facilité, la paresse, la fuite. Et nous pouvons céder à la tentation de briller, de nous enrichir à tout prix, et pour cela d’écraser les autres.
Et pourtant nous savons que cela nous détourne de ce qui est juste, de ce que nous voulons véritablement.
L’évangéliste Marc va nous aider à comprendre ce qui nous arrive en disant ce qui arrive à Jésus : «tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ». Satan, les bêtes sauvages, les anges : tout cela peut paraître bien loin à ce que nous vivons. Et pourtant !

Satan nous présente une image faussée de Dieu

Dans le langage de la Bible, Satan, c’est l’adversaire, celui qui veut nous détourner de Dieu et finalement nous déshumaniser. Il est celui qui nous suggère qu’il n’y a rien de mal à tout rapporter à soi, que nous pouvons sans arrière pensée nous servir des autres pour nous mettre en avant.
Il ne cesse de nous répéter qu’au fond, rien n’a vraiment d’importance, rien n’est vraiment grave.
Il ne se gêne pas non plus de nous présenter une image faussée de Dieu, tantôt comme d’un tyran qui nous empêcherait d’être nous-mêmes, tantôt comme de celui qui ne s’intéresse pas à nous et dont nous n’avons rien à attendre.
Nous vivons dans une culture où tout cela est relayé de bien des façons ; où cela nous est souvent présenté comme « normal », comme « politiquement correct » : tout le monde le fait, tout le monde pense comme ça, alors, pourquoi pas toi ?
Il est intéressant de noter que Satan apparaîtra une seconde fois dans l’Evangile de Marc. Quand Jésus dira à Pierre : « Passe derrière moi, Satan » (Marc 8,33). Et Jésus expliquera à Pierre pourquoi il lui parle sur ce ton : « Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. ».

Jésus : épreuve et fidélité

Jésus est lui aussi, comme chacun de nous, confronté à cette épreuve. Et nous comprenons bien que si Marc nous parle de 40 jours, c’est en référence aux 40 années de la traversée du désert, là où le peuple est tenté de ne plus faire confiance à Dieu. Là où il ne cessera de se lamenter.
40 ans, une génération, une vie, dans le langage de la Bible. C’est dire que Jésus, comme chacun de nous, tout au long de son chemin d’homme parmi les hommes –et pas seulement pendant 40 jours- ne cessera d’être confronté à cette épreuve. Jusqu’au bout : « Hé ! toi qui détruis le Sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, descends de la croix ! » (Marc 15,29-30). Mais telle n’est pas l’attitude de Jésus. Comme le note Jean « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout » (Jean 13,1). Jusqu’au scandale de la Croix.
Et c’est par sa mort, qu’il a détruit la mort et tout logique de mort.
Et en étant victorieux de cette épreuve, il nous rend victorieux, nous aussi, si nous le voulons bien.
Pour lui comme pour nous, la véritable liberté consiste à demeurer fidèles à l’appel du Père, quelques soient les suggestions qui tentent de nous en détourner.

Les anges que le Seigneur nous envoie

Alors, Marc mentionne aussi « les anges qui le servaient ». Comment ne pas y reconnaître toutes celles et ceux qui à nos côtés nous accompagnent sur le chemin de la fidélité à Dieu. Prenons le temps de regarder leurs visages ! Nommons-les ! Autant de médiateurs de la tendresse de Dieu. Ne dit-on pas à ceux qui nous font du bien « tu es un ange »…
Ce sont ceux qui remettent la paix dans un couple, ils sont aux côtés de ceux qui souffrent, ils consolent ceux qui sont dans la peine, ils créent des liens de communion, de joie d’espérance là où l’on passe par l’épreuve, le doute, la tentation de baisser les bras : autant d’anges que le Seigneur envoie à notre service et dans lesquels nous retrouvons ceux qui servaient Jésus.

4. Nous l’avons compris, Jésus partage en tout notre aventure humaine. Il se mêle aux pécheurs, il affronte comme nous la tentation et l’épreuve. Plus encore, comme l’a écrit Pierre dans sa première lettre : « le Christ a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit.» (I Pierre 3,18)

Invités à prendre le chemin avec Jésus

C’est là que se situe notre chemin de Carême : non pas un ensemble d’efforts extraordinaires qui nous laisseraient inévitablement avec le sentiment d’une profonde frustration, mais une invitation à prendre le chemin avec Jésus, puisque lui est venu le prendre avec nous.

Ne l’oublions pas : « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés » (I Jean 4,10).
Bien sûr, il nous faut faire tout ce qui nous revient pour avancer comme lui et avec lui.
Mais il me semble que l’auteur de la lettre aux Hébreux nous dit de manière essentielle ce que nous sommes appelés à vivre: « Entourés d’une immense nuée de témoins, et débarrassés de tout ce qui nous alourdit – en particulier du péché qui nous entrave si bien –, courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi » (Hébreux 12,1-2).
Oui, il est digne de confiance, et il mérite qu’on l’écoute celui qui aujourd’hui nous dit : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile» !

 

[1] Augustin. Confessiones 7,10


1er dimanche du Carême – Année B

Lectures bibliques : Genèse 9, 8-15;  Psaume 24 (25);  1 Pierre 3, 18-22; Marc 1, 12-15


 

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18 février 2018 | 19:47
Temps de lecture: env. 7 min.
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