Photo:evangile-et-peinture.org
Homélie

Homélie du 4 mars 2018 (Jn 2, 13-25)

Abbé Marc Passera – Église St-Joseph, Genève

Se retournant, et voyant ceux qui le suivaient, Jésus leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Rabbi, où demeures-tu ? » Il leur dit : « Venez, et vous verrez. » (Jn 1,38-39). Ce sont les premières paroles de Jésus que Jean rapporte au début de son évangile, le premier dialogue aussi.

Ceux qui le suivent vont désormais parcourir des chemins surprenants.

Ils sont d’abord avec Jésus, à Cana. Comme il n’y avait plus de vin, Jésus prend l’eau contenue dans les « six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs » (Jn 2,6)  et il procure le vin que l’on croyait ne plus avoir : «Tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant !» (Jn 2,10). Premier signe d’une présence de Dieu qui en Jésus donne à la fête des noces une joie radicalement nouvelle en passant par l’eau de la purification.

Et les voilà maintenant – nous sommes toujours au chapitre de 2 de l’Evangile de Jean, c’est-à-dire au début – avec Jésus dans le Temple à l’occasion de la fête de Pâque.

L’alliance de Dieu avec son peuple

Le Temple, la fête de Pâque : deux signes forts de la présence du Dieu qui fait alliance avec son peuple. Mais d’une alliance dont on risque d’oublier la portée, que l’on est tentés de réduire à un ensemble de pratiques religieuses. Et comme il s’agit de la fête de Pâque qui réunit une foule considérable, on profite du Temple pour faire ses affaires. En achetant et en vendant, mais aussi dans un commerce malsain avec Dieu. Ce n’est plus vraiment lui que l’on vient rencontrer, on se cherche soi-même, on fait ses intérêts. Jésus le dira avec force : «Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi » (Mt 15,8).

Souvent les prophètes avait dénoncé cette perversion : « Que m’importe le nombre de vos sacrifices ? – dit le Seigneur. Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’y prends aucun plaisir » (Is 1,11). Et lorsque le prophète Zacharie parle du jour du Seigneur il évoque un signe qui indiquera clairement sa venue : « Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur de l’univers, en ce jour-là » (Zac 14,21).

Une parole prophétique

Nous n’assistons donc pas à un « coup de sang » de Jésus, lorsque, entrant dans le temple, il fit un fouet avec des cordes, chassa les marchands de bœufs, de brebis et de colombe, qu’il jeta par terre la monnaie des changeurs et renversa leurs comptoirs (cf. Jn 2,14-15).

Par ces gestes surprenants, c’est une parole prophétique qu’il fait retentir. D’ailleurs, on ne s’y trompe pas. Quand on interpelle Jésus, c’est pour lui demander : « « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » (Jn 2,18).

Et Jésus de répondre : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » (Jn 2,19). Jean sent le besoin d’expliquer : « il parlait du sanctuaire de son corps » (Jn 2,19).

Son corps, le voilà le véritable Temple ! Parce que le Temple de Jérusalem n’est qu’un signe ; il n’a de sens que s’il rend possible la rencontre avec Dieu, le Dieu que le ciel et la terre ne peuvent contenir (cf. 2 Chr 6,18), mais qui se fait tout proche. En effet, selon une belle expression du P. de Lubac : « le Dieu caché, le Dieu mystérieux n’est pas le Dieu lointain, le Dieu absent : c’est toujours le Dieu proche »[1].

Au cœur de notre foi, il y a cette certitude, « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3,16). « Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14).

Lorsque Jésus dit à ses premiers disciples « Venez et vous verrez » (Jn 1,39), il les invite donc à aller vers le véritable Temple, celui où ils pourront demeurer. Il les invite déjà à « demeurer en lui » (cf. Jn 15)

Aller là où Jésus est

 Le véritable Temple, ce n’est donc plus un édifice de pierre, c’est le corps du Christ. Si tu veux trouver la présence de Dieu, tu dois aller là où est Jésus. Parce qu’en lui, c’est Dieu qui parle, c’est Dieu qui agit. Et particulièrement quand il fait face à la souffrance. Le mot σώμα (corps) reviendra dans l’Evangile de Jean au moment de la déposition de la croix (cf. Jn 19,38) il reviendra encore pour évoquer la mise au tombeau (cf. Jn 19,40). Et ce n’est pas pour rien que Marc rapporte que c’est en voyant comment il avait expiré que le centurion déclara « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu » (Mc 15,39). Marc nous dit aussi que « Le rideau du Sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas » (Mc 15,38). Les diverses séparations dans le Temple de Jérusalem qui empêchait d’approcher le « saint des saints » ne sont désormais plus d’actualité. Dieu manifeste maintenant sa présence à tous. En Jésus, il rejoint toute notre humanité et le tout de notre humanité. « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout. » (cf. Jn 13,1).

Les premières paroles de Jésus aux disciples « que cherchez-vous ? » deviendront alors dans l’évangile de Jean les premières paroles du ressuscité à Marie de Magdala : « Pourquoi pleures-tu, qui cherches-tu ? » (Jn 20,15).

 La folie de la croix

Et nous, que cherchons-nous ? qui cherchons-nous ? Que réclame notre vie ? La question retentit avec une force particulière en ce temps de Carême qui nous est donné pour que nous ne passions pas à côté de l’essentiel.

« Alors que les Juifs réclament des signes, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs» (I Cor 1, 22-23) – et probablement pour nous aussi…

Comme il nous est difficile de nous mettre devant la folie de la croix ! Comme il est tentant de rechercher une sagesse qui ne ferait que confirmer ce que nous sommes déjà!

Mais à quoi bon des signes s’ils ne font pas avancer ? A quoi bon une sagesse si elle bute  contre le non-sens et la mort ?

La patience de Dieu

Le Christ nous invite à avancer en le suivant. Il fait lui-même face à la mort pour que par sa mort la mort soit détruite.

Le Seigneur connaît nos lenteurs, nos incohérences, nos infidélités. C’est peut-être pour cela que Jean se permet de dire – pense-t-il déjà nous ? – « Jésus ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous ».

Mais c’est justement parce qu’il nous connaît et que sa connaissance est une connaissance d’amour, qu’il manifeste pour nous la patience de Dieu. Son désir de faire de nous des êtres épanouis, images et ressemblance de Dieu (cf. Gen 1,26 et 27), fait qu’il continue sans se lasser à cheminer avec ses disciples, avec nous aujourd’hui.

Le besoin de purification

« Par le baptême avons été unis au Christ Jésus », nous avons été plongés dans sa mort avec lui pour qu’avec lui nous nous relevions d’entre les morts et que nous vivions de sa vie (cf. Rom 6,3)

Le véritable Temple, lieu de la présence de Dieu, c’est le Corps du Christ. Mais comme nous le demande Paul: « Ne savez-vous pas que vous êtes le Temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (I Cor, 3,16).

Nous saisissons alors que le geste prophétique que Jésus pose dans le Temple de Jérusalem, c’est dans l’Eglise qui est son corps et dont il est la tête (cf. Eph 1,22-23 et Col 1,18) qu’il le pose aujourd’hui. C’est en chacun de nous, membres de son Corps qu’il le renouvelle pour que nous soyons fidèles au don de notre baptême et que soyons ensemble son Corps aujourd’hui (cf. I Cor 12,27).

Ce qui peut nous paraître violence, est en fait un travail de purification que le Seigneur veut réaliser en nous. Notre vie ne ressemble-t-elle pas –  elle aussi – à « une maison de commerce» ? (Jn 2,16) (même s’il s’agit d’un commerce consistant à gagner la vie éternelle…). N’avons-nous pas besoin d’être purifiés ?

La tentation est grande de résister et nos mécanismes de défenses nombreux. Mais laisser agir le Seigneur, c’est devenir véritablement nous-mêmes, c’est aussi le rendre visible en prenant notre place dans ce monde tel qu’il est, en son nom.

Nous savons que l’Eglise n’est pas toujours en état de donner une parole de vie une parole qui puisse inspirer, qui puisse construire. Il y a beaucoup d’administrateurs dans l’Eglise, mais il y a très peu de pères très peu de prophètes, très peu de consolateurs.

Nous savons aussi que nous faisons souvent écran à son amour en même temps que nous désirons le partager avec tous.

Lui veut nous purifier. Il compte sur nous pour que nous soyons le reflet de sa lumière et l’écho de sa Parole, que nous nous fassions « tout à tous » (I Cor 9,22), et qu’ainsi  tous puissent le rencontrer.

Le chemin qu’il veut réaliser en nous peut paraître violent. Mais il est source de paix, d’une paix reçue et que nous sommes appelés à partager.

«Acquiers un esprit de paix, disait saint Séraphim de Sarov, et beaucoup trouveront le salut autour de toi. »

Cet esprit nous est donné, il est à l’œuvre, il nous purifie. Osons l’accueillir !

 

[1] De LUBAC, Henri sur les chemins de Dieu Paris 1956 (ed 1983), p.112


3e dimanche de Carême – Année B

Lectures bibliques : Exode 20, 1-17 ; Psaume 18B (19), 8, 9, 10, 11; 1 Corinthiens 1, 22-25; Jean 2, 13-25


 

Photo:evangile-et-peinture.org
4 mars 2018 | 19:49
Temps de lecture: env. 6 min.
Partagez!

plus d'articles de la catégorie «Homélie»