© B. Lopez - Evangile et peinture
Homélie

Homélie du 18 septembre 2022 (Lc 16, 1-13)

Pasteur Jean-Baptiste Lipp Eglise Saint-François, Lausanne
Jeûne fédéral

Frères et soeurs,

Trois lectures. Trois lectures et un psaume qui nous viennent du lectionnaire de l’Eglise catholique pour ce 18 septembre. Et je m’émerveille de ce que ces textes bibliques tombent finalement si bien pour un dimanche du Jeûne Fédéral. Et je rends grâce de cette occasion qui nous est donnée de célébrer une messe en un lieu de l’Eglise réformée tout empreint de spiritualité franciscaine, et ouvert à de tels partages œcuméniques à l’occasion de ses 750 ans… C’est ici, en effet, qu’une série de célébrations œcuméniques a été proposée, et même osée, lors du temps du Carême.

Nous revoici donc, ce matin du Jeûne fédéral, en laboratoire œcuménique, ouvert sur le monde, non seulement par un lectionnaire universel, mais encore par les ondes. Et cela tombe plutôt bien que l’on soit ensemble ce matin, lorsque l’on sait que l’institution de ce jeûne, il y a bientôt 200 ans, provient d’un temps de grandes tensions confessionnelles dans notre pays. De Sonderbund en Kulturkampf, la paix confessionnelle est heureusement devenue comme un « label suisse ». Dieu merci. Reste encore à aller plus loin que de se souhaiter une bonne messe ou un bon culte… Célébrer en paix, mais séparément, combien de temps encore ? Alors, profitons de cette occasion.

Trois lectures et un psaume qui tombent vraiment bien pour nous ce matin. Le message du prophète Amos entre en résonnance avec toutes les situations d’exploitation, et même d’esclavage moderne. Aujourd’hui, et non seulement au loin, mais dans notre pays « propre en ordre », aujourd’hui existent des hommes, des femmes et des enfants que l’on achète pour un peu d’argent, « pour une paire de sandales ». C’est un scandale qui entache toujours la belle Suisse. Ces personnes survivent parmi nous. Elles vivent sous le seuil de la pauvreté. Tout ce qui se passe nous pousse à ouvrir nos yeux et nos esprits, nos cœurs et nos mains.

Un Dieu qui relève le faible

Saurons-nous, avec Caritas, le Centres Social protestant, l’Armée du Salut et toute œuvre d’entraide, engager davantage encore nos paroles et nos actes ? Et le faire de manière encore plus coordonnée ? Car enfin, nous fondons notre foi et notre action en ce Dieu que chante le Psaume de ce jour : « Lui, il siège là-haut. Mais il abaisse son regard vers le ciel et vers la terre. De la poussière il relève le faible, il retire le pauvre de la cendre… » C’est magnifique. Et le Magnificat de Marie est de la même veine, « du même tonneau », annonçant un vin nouveau pour une humanité humiliée. Comment croire en un Dieu qui relève le faible, sans lui tendre nos faibles mains, et les ouvrir aux autres, faibles comme nous ?

Faut-il agir ou prier ? Les deux mon capitaine. Faut-il compter sur l’Etat et les autorités ou compter sur nous-mêmes ? Les deux mon général. Merci à l’apôtre de relier, dans cette épître, de relier la prière pour les chefs d’Etat aux enjeux d’un vivre ensemble en paix. Et de le faire en ces termes : « Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en élevant les mains, saintement, sans colère ni dispute. » Nous mesurons de manière nouvelle la colère. Nous voyons venir de façon inquiétante la dispute. Colère et dispute arrivent autour de nous, y compris dans notre beau pays.

Cette année, – et c’est une première qui mérite qu’on le dise, – cette année, le message du Conseil d’Etat vaudois pour le Jeûne fédéral a été rédigé avec la contribution de la Plateforme interreligieuse du canton de Vaud, soit les autorités religieuses chrétiennes, juives et musulmanes. Si l’apôtre Paul vise une humanité appelée à prier, parce que Dieu veut que tous soient sauvés, nous sommes, en 2022, une humanité formée de quelques croyantes et croyants d’autres traditions religieuses. Nous avons pris conscience d’être une humanité appelée à lever les mains au ciel pour toutes et tous, et non plus chacun pour sa propre confession.

Appelés à quitter nos communautarismes

Nous sommes appelés à quitter nos communautarismes pour jouer une partition sociétale. Invités à mettre les trésors spirituels de nos religions au service du corps social dans son entier. Chacune de nos religions vit d’une foi en un Dieu un, et se sait, par conséquent, appelée au service d’une humanité une. Et cela vient bousculer nos modèles hégémoniques, quels qu’ils soient. Et cela nous conduit à rendre compte de nos actions et de nos discours, je dirais même plus, cela nous conduit à rendre des comptes de nos actions et de nos discours, dans une forme d’interdépendance.

Trois lectures et un psaume qui tombent donc plutôt bien pour ce dimanche du Jeûne fédéral. Sauf… Sauf que l’Evangile pourrait nous gâcher le message. C’est vrai, la parabole lucanienne dite du « gérant habile » vient sonner à nos oreilles comme une parole impossible. Indéfendable même : « Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles ».  

De quoi le Christ fait-il l’éloge, en racontant cette histoire aux accents immoraux à ses disciples ? On a beau rattraper le tout en mettant en exergue cette affirmation conclusive du passage que nul ne peut servir deux maîtres, Dieu ou l’argent… C’est immoral. On a bien tenté, en exégèse, de justifier la manœuvre du gérant en envisageant que ses calculs n’auraient visé qu’à réduire sa propre marge de bénéfice, ou d’y renoncer. La parabole laisse un goût de fraude ou de faux dans les titres. Ce que vient confirmer le vocabulaire du bilan que fait le maître de son intendant : c’est un gérant malhonnête. Mais habile. Il ne sera pas réhabilité. En revanche, il sera cité comme exemple. Etonnamment.

Ne nous y trompons pas. Le maître ne fait pas l’éloge de l’argent. Il fait l’éloge d’un homme qui s’en est servi pour sa propre vie. Au fond, le gérant destitué a œuvré à son « outplacement », comme on le dit dans le monde du travail. Il a pris son avenir et sa vie en mains. Certes, on ne peut servir Dieu et l’argent. En revanche, il est possible de se servir de l’argent pour vivre. Pour rebondir. Pour soi, pour sa famille, et pourquoi pas, pour cette société dans laquelle j’aurai une seconde chance…

Alors oui, je le dis avec cette parabole du Christ Jésus : l’argent n’a pas d’autre valeur que celle de mettre en valeur l’humain, sa place et ses relations dans le corps social. L’argent n’a d’autre justification, dans ce bas monde, que de redresser les uns avec les autres, et non de dresser encore davantage les uns contre les autres. Et nous, eh bien, faisons l’éloge de ce maître qui n’a d’autre but que la dignité humaine de chacune et de chacun.   

Amen  

25° dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Amos 8, 4-7 ; Psaume 112 ; 1 Timothée 2, 1-8 ; Luc 16, 1-13

© B. Lopez – Evangile et peinture
18 septembre 2022 | 09:38
Temps de lecture: env. 5 min.
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