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Homélie

Homélie du 4 novembre 2018 (Mc 12, 28b-34)

M. Dominique Voinçon – Église St-Pierre, Yverdon-les-Bains

Introduction par le célébrant :

Dans le cadre de cette célébration liée à l’ouverture de la semaine des religions, je nous invite à écouter le message que nous adresse M. Dominique Voinçon, représentant l’Eglise catholique pour le dialogue interreligieux dans le canton de Vaud. Merci pour son témoignage !

Message

Une paroissienne de Payerne, là où je réside, avait pour coutume de me répéter «Dominique, dans la vie il y a des merci à dire».

En commençant ce témoignage, je voudrais qu’il soit porteur de plusieurs merci dans le domaine qui est le mien, le dialogue interreligieux.

Mon premier merci s’adresse à ceux qui en furent les éveilleurs. On retient des religions leurs guerres, leurs querelles théologiques, leurs intolérances. Mais pourquoi ne pas se souvenir qu’au-delà des conquêtes musulmanes, des croisades chrétiennes et des pogroms antijuifs, il y eut parfois les prémices d’une rencontre de l’autre dans sa différence.

Par exemple, du 8ème au 15ème siècle, la péninsule ibérique fut sous domination musulmane. Juifs et chrétiens y avaient le statut de «dhimmis», c’est-à-dire de protégés. Il y eut des massacres et d’autres évènements malheureux, mais les historiens retiennent quatre périodes connues sous le nom de «convivencia» que l’on pourrait traduire par le «bien vivre avec l’autre». Ce qui, effectivement, fut le cas. Des savants comme Ibn Ruchd, Averroès, ou le grand savant juif Maïmonide, sont quelque part les fruits et les témoins de cette période désignée sous le nom d’Al Andalus.

Au 12ème siècle, le Français Pierre Abélard, esprit vif et surtout libre, rédige en 1142 le «Dialogue entre un philosophe, un juif et un chrétien».

Et nous sommes trop nombreux à ignorer que la traduction des œuvres du philosophe grec Aristote se fit grâce au travail conjoint entre savants juifs, musulmans et chrétiens entre 1120 et 1190.

Franchissons encore les siècles: un Saint François Xavier, jésuite, cofondateur de la compagnie de Jésus, devient apôtre de l’Extrême Orient en Inde et au Japon.

Autre Jésuite, italien celui-là, Mattéo Ricci. Il va entamer le dialogue interculturel entre l’Occident chrétien et la Chine impériale.

C’est d’ailleurs en Inde qu’au 20ème siècle se trouveront les Pères Monchanin, puis Henri le Saux, pour fonder un ashram et tenter de rejoindre au plus profond l’expérience mystique hindoue.

Ailleurs, en Afrique et au Moyen-Orient, les travaux et recherches d’un Louis Massignon ou du Bienheureux Charles de Foucauld marqueront durablement les esprits.

Invitation à quitter la culture du mépris de l’autre

Un merci à ne pas oublier, c’est celui dû aux papes Jean XXIII et Paul VI qui menèrent à bien le concile Vatican 2, de 1963 à 1965. Ce merci vaut également pour tous les pères conciliaires qui votèrent avec générosité la déclaration «Nostra Aetate» sur le dialogue entre le catholicisme et les autres religions, une audace incroyable pour l’époque! Et si «Nostra Aetate» est le document le plus court voté à Vatican 2, il est probablement celui dont les conséquences seront les plus longues dans l’histoire du catholicisme. Le concile nous a ainsi invité à porter un regard neuf sur les juifs, les musulmans, les bouddhistes, les hindous et tous les croyants de toutes les spiritualités. Une invitation à quitter la culture du mépris de l’autre, cet autre voué jusqu’alors à l’enfer, cet autre censé ne rien m’apprendre sur Dieu.

Tout ceci rendra possible la rencontre du pape Jean Paul II avec les grands leaders spirituels de notre monde. Ce fut à Assise en octobre 1986.

Martyrs d’Algérie

Et tout près de nous, un dernier merci est destiné aux martyrs d’Algérie, qui seront béatifiés, selon la décision du pape François, le 8 décembre prochain à Oran. Ces religieuses et religieux catholiques ont été assassinés dans les années nonante, parce que chrétiens, dans une Algérie à feu et à sang, qui ne cessait de compter ces morts.

Ces 19 martyrs refusèrent d’abandonner un pays en pleine tempête, où tant de musulmans étaient tués par d’autres musulmans, fanatisés, et n’ayant trouvé que le terrorisme comme exutoire. Et eux, Père Blancs, Mariste, petites sœurs de l’Assomption, moines de Tibhirine, avaient tant de visages amis parmi les croyants de l’islam.

Parmi eux, le frère Christian de Chergé mourra le 21 mai 1996, avec ses compagnons du monastère de Tibhirine. Mais qui oubliera que bien des années auparavant, pendant la guerre d’Algérie, un musulman avait donné sa vie dans un même contexte de violence pour Christian de Chergé? Oui, un simple garde-champêtre, qui s’opposera à ce que le groupe de maquisards algériens rencontré sur le chemin, ne tue le jeune officier français. En punition, on retrouvera quelques jours plus tard le corps de ce malheureux garde-champêtre égorgé au bord de son puits.

Et Pierre Claverie, l’évêque d’Oran, dominicain et homme d’exception. Lui, le pied-noir né en Algérie, est tué dans l’explosion d’une bombe dans l’entrée de son évêché le 1er août 1996. Cette explosion emporte également dans la mort son chauffeur occasionnel, le jeune Mohamed Bouchikhi, 21 ans. Il savait pourtant le danger qu’il courrait à servir un évêque menacé de mort!

La toute petite Eglise catholique d’Algérie nous livre ainsi deux forts témoignages:

L’amitié est possible et vérifiée entre chrétiens et musulmans. Des chrétiens ont donné leur vie pour des musulmans, et des musulmans pour des chrétiens. L’Amour et le don de soi ne sont pas l’apanage d’une seule religion!

Autre message: une poignée de chrétiens simples et aimants peut ouvrir de magnifiques espaces de rencontres avec des croyants d’une autre religion, infiniment respectés et aimés tels qu’ils sont.

Ce témoignage de l’Église d’Algérie fait écho à l’évangile de ce dimanche:

Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme,
de tout ton esprit et de toute ta force. ET  Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

 


31e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Deutéronome 6, 2-6; Psaume 17; Hébreux 7, 23-28; Marc 12, 28b-34


 

Photo:evangile-et-peinture.org
4 novembre 2018 | 09:40
Temps de lecture: env. 4 min.
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