Homélie du 13 septembre 2020 (Mt 18, 21-35)

Abbé Bernard Miserez – Chapelle du Vorbourg, Delémont

Frères et sœurs, mes amis,

Vous êtes-vous déjà posé la question : combien de fois dois-je pardonner ? C’est une question étonnante, car vous en conviendrez, ce n’est pas le nombre de fois qui fait problème. Le pardon est difficile, on le sait, parfois impossible. La question est plutôt de savoir d’abord s’il est possible de pardonner. C’est vrai, le pardon sollicite ce que nous avons de plus grand, de plus fort, et, quand il est donné, il ouvre un avenir et ressuscite, en quelque sorte, celui ou celle qui le reçoit. Et puis, il y a comme une vie nouvelle qui se déploie dans l’existence à partir du moment où je fais l’expérience que je suis pardonné. Chacune et chacun de nous pourrait évoquer ici, en cherchant dans son histoire, ce moment-là, mémorable, où le pardon a été donné ou ce moment-là où j’ai donné mon pardon à quelqu’un.

La démesure de la réponse de Jésus

Ce n’est pas un hasard, si, une fois encore, l’apôtre Pierre nous ouvre le chemin pour entendre la parabole que Jésus raconte. Pierre, on le connaît. Il est généreux de nature, mais il tient sa comptabilité… Alors, il s’adresse à Jésus : « Combien de fois dois-je pardonner ? Jusqu’à sept fois? » C’est quand même pas mal. Sept fois… A l’époque, vous savez, certains rabbins proposaient jusqu’à cinq fois. Mais Pierre est un fervent magnanime. Sept fois, se dit-il, ce sera exemplaire, héroïque même. Pauvre Pierre ! Sa mesure va trouver dans la réponse de Jésus la démesure. Le pardon est sans calcul, sans conditions même. C’est tout ou rien. En plus, nous savons que Pierre fera l’expérience fondamentale du pardon infini du Christ après le triple reniement. Pierre va être confirmé dans sa mission Il sera le roc sur lequel Jésus bâtit son Eglise. Il est pécheur, certes, mais il est pardonné. Tout son amour, toute son espérance et toute sa foi iront puiser la source de leurs énergies dans ce pardon reçu.

Le pardon, victoire de l’amour

C’est bien ce que nous dit la parabole. Cette dette colossale (10’000 talents représentent dix fois le rendement fiscal annuel du royaume d’Hérode ou 250’000 années de travail d’un ouvrier de l’époque) est une manière de nous dire aujourd’hui non pas l’immensité du pardon à offrir, ce qui est juste impossible. Non, cette dette colossale nous révèle la démesure du pardon reçu. Nous ne viendrons jamais au bout du pardon de Dieu. Le pardon, c’est l’amour qui continue à être donné, malgré nos fautes, nos erreurs, nos peurs et nos doutes. Le pardon dit la victoire de l’amour. Il ne s’arrête ni aux péchés, ni aux échecs, ni aux impasses. Il trace la route vers plus de liberté, vers plus de vie.

Se savoir pardonné, c’est donc revivre pleinement. C’est si vrai que des théologiens aujourd’hui définissent le sacrement de réconciliation comme un baptême à sec. Une naissance, une renaissance qui me donne de me recevoir moi-même de Dieu. Le pape François, dans sa fameuse exhortation « La joie de l’Evangile » insiste avec assurance pour que nous ne nous découragions jamais de nous tourner vers Dieu. Il écrit : « Dieu ne se fatigue jamais de pardonner, c’est nous qui nous fatiguons de demander pardon. » En nous remettant nos dettes, Dieu veut nous donner part à sa joie de nous accueillir encore tels que nous sommes.

Frères et sœurs, cette dette remise et assumée par ce Père de tendresse manifeste et révèle sa passion pour nous, pour chacune et chacun. Nous aurons toujours le cœur de Dieu pour nous accueillir qui que nous soyons, quoique nous fassions. N’oublions pas que ce cœur ne cessera jamais de battre pour nous. Si l’espérance, inlassablement, creuse en nous le goût de la liberté et de la confiance, elle nous fera traverser nos résistances devant un tel amour.

Entrer dans cette logique de gratuité

Mais voilà, être pardonné par Dieu, accueillir sa miséricorde nous responsabilise. Pardonner à son frère, à son voisin ou l’un de ses proches est souvent une épreuve, parfois de longue durée. Nous avons du mal à entrer dans cette logique de la surabondance relevée dans la parabole. Peut-être, en prenant conscience du pardon que Dieu me donne, il me sera possible, à mon tour, de l’offrir à celle ou à celui qui m’a blessé.

Si l’Evangile de ce jour désigne l’immensité du pardon de Dieu, il ne manque pas de nous inviter à entrer dans cette logique de gratuité. Autrement dit, nous voilà capables d’être à la hauteur de ce pardon reçu de Dieu. Ainsi, nous l’entendons, le pardon offert à celles et ceux qui nous ont fait du mal transmet tout simplement la vie de Dieu. En me risquant avec confiance dans le pardon, je ne suis que le canal de grâce que le Père a choisi pour engendrer la vie au cœur de la blessure.

Quelle superbe parabole ! Décidemment, Dieu ne sait pas compter, sauf quand il lui manque un de ses enfants qu’Il ira chercher jusqu’à ce qu’il le trouve. Alors, quand tous seront là, la fête sera sans fin. Amen

24e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques :
Siracide 27, 30 – 28, 7; Psaume 102, 1-2, 3-4, 9-10, 11-12; Romains 14, 7-9; Matthieu 18, 21-35

Homélie du 6 septembre 2020 (Mt 18, 15-20)

Chanoine Olivier Roduit – Abbaye de Saint-Maurice, VS

J’ai eu la chance, il y a bien longtemps, de faire des sessions de formation avec un vieil ami psychologue. Louis aimait bien, et il aime toujours, utiliser des formules frappantes. Ainsi, il nous demandait quel était le contraire de « être gentil ». On était tous tentés de répondre : « être méchant ». Et lui de dire : le contraire d’être gentil, c’est ne pas être gentil. Cela signifie être vrai, dire la vérité, même si elle peut faire mal.
J’y vois là le centre du message des lectures de ce jour.

Le psaume 94 proclame : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme au désert où vos père m’ont tenté et provoqué. » Il s’agit de laisser la Parole entrer en nous. Et cette parole c’est la vérité.
Mais qu’il est difficile de toujours vivre selon la vérité, de toujours parler en vérité. Combien de fois utilisons-nous des formules alambiquées pour parler en faisant attention à ce que cela ne se retourne pas contre nous.

Le risque de se faire corriger à notre tour

On n’aime pas devoir aller faire des reproches aux autres car ils risquent de nous révéler nos manquements. Jésus a une parabole pour illustrer cela, c’est celle de la paille et de la poutre. « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? » (Lc 6,41).

De plus il est si difficile d’accueillir une parole qui vient nous montrer que nous avons mal agi. C’est alors notre orgueil qui est touché. « Est-ce possible que j’agisse si mal, au point que l’on doive venir me corriger ? »
Comment alors être juste lorsque l’on doit aller faire des reproches à celui qui a péché contre nous, comme le demande Jésus dans l’Evangile de ce jour. Peut-être que celui que l’on doit réprimander va nous révéler nos manquements à nous ?

Ce que l’on appelle la correction fraternelle est si difficile que nous ne la pratiquons pas, car il y a tant de risques de se faire corriger en retour. On est « gentil » avec les autres, et on ne vit plus dans la vérité, ni dans l’amour.

Le tu tue

Et jaillit la tentation des reproches lancés méchamment. « Tu n’as pas fait ceci ! Tu dois faire cela ! » Et comme le dirait encore mon ami psychologue, le tu tue. Car il n’y a plus la vérité, ni l’amour.

Écoutons saint Paul s’adressant aux Romains : « N’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel ».

Paul reprend l’enseignement de Jésus lorsqu’il rappelle que tous les commandements se résument dans la sentence : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », et il va jusqu’à s’écrier : « Le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour ».

J’ai vu dernièrement une série de films d’action français dont le scénario a été écrit par Luc Besson. Dans les films Taken 1, 2 et 3, on voit à chaque fois le héros, un ancien agent secret, aller jusqu’au bout du monde et combattre les méchants qui s’en étaient pris à sa fille. Une démonstration parmi tant d’autres de ce à quoi peut conduire l’amour du prochain.

Nous sommes à Saint-Maurice sur une terre abreuvée du sang des martyrs qui ont refusé, au risque de leur vie, d’aller massacrer d’autres chrétiens. Leur parole face aux ordres impies de l’empereur, a été la plus forte.

Guetter, une démarche d’humilité

Dans la première lecture, nous voyons que le Seigneur fait d’Ezéchiel un guetteur… pour la maison d’Israël. Pourquoi donc guetter ? Certainement parce que l’on craint un danger. Et c’est une démarche d’humilité.

Notre monde n’a-t-il pas fait preuve d’orgueil, pensant qu’il avait tout maîtrisé et que rien ne pourrait plus lui arriver. Et nous avons vu ce qui s’est passé lorsqu’un tout petit virus a commencé à circuler dans le monde entier.

Le guetteur que le Seigneur désigne ne doit pas s’endormir. Il doit être attentif aux tout petits signes d’égarement de son peuple. Et il doit parler à celui qui a une mauvaise conduite.

Encore une fois, il s’agit d’une question de vie et de mort. Dans l’industrie et le business, on a développé des services de veille stratégique qui explorent le monde entier à la recherche de nouvelles technologies et surtout pour ne pas rater de nouveaux marchés potentiels.
Si le Seigneur demande de veiller c’est pour la recherche de la vérité et pour le bien des hommes.
Et si c’est difficile, il faut en demander la force à Dieu et ne pas rester seul. Lorsque deux ou trois sont réunis en son nom, il est à au milieu d’eux.
Veillons et prions !

23e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques
: Ézéchiel 33, 7-9; Psaume 94, 1-2, 6-7ab, 7d-8a .9; Romains 13, 8-10; Matthieu 18, 15-20