Homélie du 1er septembre 2019 (Lc 14, 1, 7-14)

Abbé Joël Pralong – Église St-Jean, Fribourg

Là où Dieu règne sur notre terre, là où il a établi son Royaume, les références sont différentes, les valeurs sont carrément inversées. Plus de privilège ni de passe-droit, personne ne peut revendiquer sa place ni un quelconque droit. C’est Jésus lui-même qui assigne à chacun sa place, qui donne à chacun sa valeur, comme il le veut, uniquement selon sa bonté… “Aujourd’hui tu seras avec moi dans la Paradis” (Lc 23,43) dit Jésus à l’un des deux criminels suspendus à la croix comme lui. Si ce criminel accepte la sentence prononcée par la justice, “Pour nous c’est juste” dit-il, il reconnaît en Jésus la bonté de Dieu, qui seul peut le sauver, indépendamment de ce qu’il a fait. Autrement dit, il accepte d’être aimé jusque dans son anéantissement. Il n’existe dès lors plus aucun anéantissement ni d’enfer ni de mort dans lesquels Jésus ne serait descendu… pour récupérer la brebis la plus égarée, la plus perdue, la plus anéantie, la plus blessée. Il suffit juste de dire OUI! De se laisser trouver…

Me revient  à l’esprit ce texte de Dostoïevski, décrivant la fin des temps: “Et alors les sages et les intelligents  s’offusqueront, ils diront : Mais Seigneur, pourquoi accueilles-tu ceux-là ? Et Lui leur répondra: Je les accueille, ô vous les sages et les intelligents, car ce sont les seuls à ne pas s’être sentis dignes d’une telle faveur!” Alors tous nous comprendrons et tous nous pleurerons!”

Car nul ne s’est senti digne d’une telle faveur…

D’un côté vous avez ceux qui sont persuadés d’être à la bonne place, mais qui jugent les autres, tellement ils sont saisis par la peur de ne pas être sauvés. La peur de se retrouver face à eux-mêmes, seuls face à eux-mêmes. Ceux-là portent leur regard sur leurs actions, sur leurs mérites, et non sur Jésus. De l’autre, vous avez les humbles, qui n’ont de cesse que pour Jésus.

L’HUMILITÉ, c’est l’enseignement  de ce dimanche…

L’humilité, c’est de consentir à se laisser prendre par la main, par un Autre, par un plus grand que soi, comme un petit enfant qui sait qu’il est faible et cherche la main de ses parents. C’est dans la faiblesse que Dieu vient nous chercher. Il entre par notre faiblesse. Parce que dans la faiblesse nous sommes perdus, égarés. Dans la faiblesse nous n’avons plus de prise sur nous-mêmes. Nous sommes seuls, dans le brouillard…

Dieu, c’est le GPS dans le brouillard

Au fond de chacun de nous il y a un enfant qui pleure et qui cherche Dieu! Parce qu’il est perdu… Dieu n’attend que cela: nous trouver, nous retrouver…

Quand on s’est égaré en voiture et qu’on ne sait plus quel chemin suivre, heureusement nous avons aujourd’hui un GPS. Quelque soit l’endroit, la petite voix vient toujours nous récupérer: “Nouveau calcul de la distance…”, dit-elle, pour nous ramener sur le bon chemin. Dieu, c’est le GPS dans le brouillard, qui vient nous rechercher là où nous sommes, à condition de lui faire confiance, d’ouvrir son GPS rechargé dans un regard de foi…

C’est ce qui faisait dire à saint Paul: “Je peux tout en Celui qui me rend fort… Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort” (Ph 4,13; 2 Co 12,10). Encore faut-il consentir à se laisser aider par Dieu…

C’est Jésus qui nous sauve, et l’humilité en est la clé, à cause de sa seule bonté. Il n’y a pas d’autre raison que sa bonté. Encore faut-il consentir à se laisser chercher, à se laisser trouver…

La peur nous pousse à nous élever

“Qui s’élève (par lui-même) sera abaissé, mais qui s’abaisse dans sa propre réalité, il sera élevé par Dieu!” C’est pourquoi Jésus demande au petit Zachée de descendre de l’arbre car c’est dans la poussière qu’il est attendu, dans “l’humus” puisque humilité vient de “humus”, terre… là où nous consentons à être seulement soi-même. C’est la peur qui nous pousse à nous élever…

Prendre soin de l’autre

Nous saisissons alors la seconde partie de l’évangile: “Quand tu donnes un repas, invite les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles…”

C’est-à-dire : toi aussi fais preuve de la même bonté que Jésus envers les autres, que ton geste soit aussi bon, gratuit!

Ne regarde pas aux apparences, regarde en chaque personne cet enfant de Dieu qui pleure, qui ne sait plus comment s’en sortir. Toi aussi donne-lui la plus belle place dans ton cœur pour qu’à son tour il se sache aimé de Jésus et réconcilié en Dieu.

Aimer, c’est prendre soin de ce qu’il y a de plus fragile dans l’autre parce que cette fragilité cache un enfant de Dieu qui a peur. Cette fragilité c’est Dieu lui-même dont il faut prendre soin.

C’est tout à fait dans cet idéal évangélique que s’enracine l’Ordre de Malte, aujourd’hui actif dans 120 pays, pour prendre soin des personnes dans le besoin à travers des activités médicales, sociales et humanitaires. Il fournit ainsi un soutien à ceux qui sont oubliés ou exclus par la société.


22e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques :
Siracide 3, 17-18.20.28-29; Psaume 67, 4-5ac, 6-7ab, 10-11; Hébreux 12, 18-19.22-24a; Luc 14, 1.7-14


 

Homélie du 25 août 2019 (Lc 13, 22-30)

Mgr Charles Morerod – Basilique Notre-Dame, Lausanne

Il y a des textes de l’Evangile qu’on écoute plus volontiers que d’autres, il y en a qui nous rassurent, d’autres qui nous dérangent et nous inquiètent, et nous avons bien sûr tous tendance à mettre l’accent sur ceux que nous préférons. Pas seulement cela, mais aussi à se dire – et là je pense surtout à des générations qui précèdent la mienne : « On nous a trop éduqués par la peur, on nous a traumatisés. Maintenant je suis heureux – moi aussi d’ailleurs mais il faut comprendre comment – d’avoir un Dieu qui nous aime ». Et puis on se demande ce que signifie « juger » pour Dieu.

Dieu veut que nous soyons avec lui

En fait, pour voir l’Evangile, il faut le prendre tout entier et quand on entend un texte comme celui-là, « la porte est étroite », « beaucoup d’invités, peu d’élus », rappelons-nous plusieurs choses  en même temps : d’abord, Jésus nous dit par ailleurs que la porte, c’est lui. Regardons son attitude vis-à-vis de nous. Il nous dit aussi que si on est avec lui, son joug est léger car il le porte avec nous. Et puis, finalement, on voit que si certains ne viennent pas, il en appelle d’autres. Ce n’est pas dit dans l’évangile d’aujourd’hui, ça l’est dans d’autres, mais on l’entend dans la première lecture, dans l’Ancient Testament (Isaïe) ; Dieu, connaissant leurs actions et leurs pensées, dit que si on ne  veut pas le suivre il en invitera d’autres : « Je vais rassembler toutes les nations de toutes langues ». Il ajoute même : « Je prendrai même des prêtres et des lévites parmi eux ». Or pour être prêtre et lévite, il fallait appartenir à la famille, au clan de Lévi ; mais Dieu dépassera cette limite. En d’autres termes :« Si vous ne voulez pas être avec moi, j’irai en prendre ailleurs ». Il y a là un grand signe d’espérance qui nous montre une chose : C’est que Dieu veut que nous soyons avec lui. Mais comment ?

On peut poser la question de ce comment en disant : « Pourquoi est-ce que Dieu nous a faits ? Pourquoi est-ce que Dieu veut qu’il y ait des êtres à son image et à sa ressemblance ? Et qu’est-ce que cela dit à propos de Dieu lui-même ? » Il n’a pas besoin de nous. Il pourrait ne pas nous créer. S’il nous crée, c’est parce qu’il veut que nous soyons heureux en étant avec lui. Comme Dieu est bon et qu’il aime, il veut faire partager à d’autres – et nous y sommes invités – la joie de son amour. Ça, c’est un signe fondamental d’espérance. S’il ne voulait pas cela, il ne prendrait pas la peine de nous faire.

Mais ensuite, qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Qu’est-ce que cela signifie, aimer Dieu, aimer Dieu pour lui-même et répondre à son amour ? Il y a une image de l’amour qui est, je pense, un bon exemple de ce qu’il faut éviter. Vous savez peut-être qu’on peut faire des robots domestiques qui tiennent compagnie à des gens. Ces robots peuvent avoir forme humaine ou d’un chien ou d’un chat. Ils ont été bien programmés pour, avec leurs capteurs, voir d’abord les signes faciaux de la personne en face, interpréter, grâce à leurs programmes, comment va cette personne et puis, toujours selon leurs programmes, répondre à l’autre d’une manière qui va lui faire plaisir. C’est une illusion, mais ça peut marcher. D’ailleurs c’est une compagnie d’autant plus agréable qu’on peut la programmer un peu autrement ou bien la débrancher quand on part en vacances. C’est donc une espèce de réponse automatique programmée qui n’implique, de la part de ce robot, absolument aucune liberté et aucun choix. Il n’en a pas besoin. Il est dirigé par ses programmes. Est-ce que c’est ainsi qu’est Dieu ? Et est-ce qu’il veut que nous – image et ressemblance de lui-même – nous soyons cela ? En d’autres termes veut-il que, de toute façon au bout du compte, comme il nous a programmés, nous soyons avec lui, indépendamment de ce que pourrions souhaiter ? Est-ce que c’est ça notre idéal humain et, si j’ose dire, notre idéal divin ? Ce programme automatique est-il de l’amour ?

Pas d’amour sans liberté

En fait Dieu sait – et sait mieux que nous – qu’il n’y a pas d’amour sans liberté. Et qu’on peut lui répondre ou ne pas lui répondre. Qu’on peut lui répondre « oui » ou lui répondre « tu ne m’intéresses pas » ou lui répondre « je ne veux pas être avec toi ». Et qu’on peut ensuite changer, bien sûr, durant cette vie. Heureusement que Dieu est ainsi. Mais cela implique bien sûr que nous puissions lui dire « non ». Et cette possibilité de dire « non » est fondamentale. Et en plus – on peut l’observer un peu : quand on voit comment Jésus s’adresse à nous après notre mort (ça on le voit dans un autre texte qu’on appelle le Jugement dernier), on voit que tout le monde est surpris parce qu’à certains, il dit, un peu comme dans l’Evangile d’aujourd’hui :

  • « Tu n’étais pas avec moi ».
  • « Mais oui, j’étais avec toi ».
  • « En fait, non. J’avais soif, tu ne m’as pas donné à boire ».

A d’autres il dit :

  • « Tu étais avec moi ».
  • « Mais quand est-ce que j’étais avec toi ? ».
  • « J’avais soif, tu m’as donné à boire ».

Je reste marqué par une expérience que j’ai faite où, alors que je m’étais perdu après avoir longuement couru et marché dans un endroit très chaud qui n’était pas la Suisse, de rencontrer finalement une serveuse de restaurant qui servait le petit déjeuner à des lève-tard et qui, quand je lui ai demandé mon chemin, m’a offert une bouteille d’eau et m’a accompagné pour que je voie où je devais aller. Elle m’a donné à boire et elle a fait deux mille pas avec moi alors que je lui en demandais mille. Je me suis dit : « Elle vit l’Evangile. Est-ce qu’elle le sait ? » Peut-être pas. Mais c’est aussi là qu’on répond à Dieu. Et si nous en sommes conscients, si nous connaissons l’Evangile, eh bien prenons-le au sérieux. Souvenons-nous de ce que le Seigneur nous dit : « Comment vous êtes avec moi ? Eh bien suivez-moi, écoutez-moi et regardez ceux qui sont autour de vous. Comme vous les traiterez, vous me traiterez moi-même ».

Il n’y a pas très longtemps, j’ai entendu une histoire magnifique que je garde dans la discrétion. Quelqu’un m’a dit : « J’ai vu devant la porte d’une église un homme complètement désemparé loin de chez lui et je me suis senti obligé à retourner vers lui et à rester, et finalement même à lui trouver un endroit où passer la nuit. Et quand je l’ai quitté, je l’ai vu complètement transformé et je me suis dit :  Je ne savais pas, maintenant je suis devant le Seigneur ».

Voilà comment Dieu nous invite à utiliser notre liberté en suivant ses impulsions. Si nous croyons que le Christ est la porte et que ce qui est impossible pour nous n’est pas impossible pour Dieu, eh bien, disons-lui simplement :

« Ce qui me semblerait être la porte large et facile, c’est de tout diriger moi-même, toute ma vie, celle des autres peut-être, mais c’est une illusion. Seigneur, c’est toi la porte. Cette porte me semble étroite. Je sais que ton joug est léger. Aide-moi, que j’en sois conscient ou non – car toi tu le peux – à  être avec toi. Et je sais que si je suis avec toi, toi qui nous aimes et qui m’aides à t’aimer librement, eh bien ce sera vraiment une bonne nouvelle pour le monde. Car le monde a besoin d’avoir des disciples du Christ, qui choisissent cette porte étroite qui implique aussi même d’aimer nos ennemis et de leur pardonner. ».

Beaucoup de disciples du Christ qui est la porte étroite et dont le joug est léger, c’est la Bonne Nouvelle.


21e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Isaïe 66, 18-21; Psaume 116, 1, 2; Hébreux 12, 5-7.11-13; Luc 13, 22-30


 

Homélie du 18 août 2019 (Lc 12, 49-53)

Chanoine Frédéric Gaillard, diacre – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Il était une fois une personne qui eut un songe.

Elle était au bord de l’océan avec le Seigneur sur une grande plage du Brésil.
Des pas dans le sable représentaient toute sa vie passée. Souvent il y avait deux paires de traces (les siennes et celles du Seigneur)… parfois une seule paire de traces !
Alors cette personne qui songeait se tourna vers le Seigneur et l’interpella :
« Tu vois Seigneur, chaque fois que j’avais des gros coups durs, des difficultés… quand j’étais au fond du trou, abandonné, tu étais absent ; j’étais seul, livré à moi-même ! » Le Seigneur répondit : « Quand c’était trop difficile, quand tu étais au fond du trou,  je te portais. »

Au fond du trou

Chers frères et sœurs présents dans cette église du Grand-Saint-Bernard, chers auditrices et auditeurs de cœur et d’esprit en lien avec nous ici-haut par la magie des ondes, combien de fois n’avons-nous pas fait l’expérience d’être abandonnés du Seigneur quand nous étions au fond du trou !

A l’exemple du prophète Jérémie (dans la 1ère lecture) qui fut jeté dans la citerne, combien de malades, de déprimés, de prisonniers se sentent parfois complètement abandonnés de tous, seuls, sans moyen de s’en sortir, désespérés.

La Bonne Nouvelle d’aujourd’hui nous invite à garder l’espérance.

Cette lecture de Jérémie, je la mets volontiers en lien avec l’épisode dans la Genèse où Joseph fut jeté aussi dans une citerne par ses frères ! Vous connaissez la suite ?… Il fut vendu comme esclave puis devint « le sauveur » de ses frères !

Jésus est venu habiter la souffrance de sa Présence

Mais je voudrais partager un peu plus aujourd’hui sur  JÉSUS, le Sauveur par excellence. IL vient de Dieu et retourne à Dieu. Jésus a pris chair de la Vierge Marie. Il est venu parmi nous. Il a fait sûrement beaucoup de miracles, il a guéri bien des personnes, il a consolé bien des gens tristes mais il n’est pas venu supprimer toutes les souffrances. Il n’est pas venu expliquer la souffrance mais il est venu l’habiter de  SA Présence.

Oui Jésus a passé aussi par la souffrance, le sentiment d’être abandonné. Au fond du trou, sur la Croix, n’a t-il pas crié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Mais la foi chrétienne ne s’arrête pas là : après la croix, il y a la Résurrection !

Passer de la mort à la vie en Christ

C’est ce que nous célébrons dans chaque sacrement : le Christ Ressuscité.

Tous les sacrements pourraient être commentés, mais aujourd’hui je ne parlerai seulement que sur celui du Baptême.
Le baptisé passe à la suite du Christ de la Mort à la Vie par la Croix.
Le Baptême signifie que toute vie humaine vient de Dieu et retourne à Dieu par la Mort et la Résurrection du Christ Sauveur !

La prière chrétienne

C’est le même mouvement aussi dans la prière chrétienne : elle vient de Dieu et retourne à Dieu.

Trop longtemps j’ai cru que la prière vient de l’homme, informe Dieu et revient sur l’homme : non, non, non.
Écoutons le cœur du Psaume 39 entendu aujourd’hui : « Dans ma bouche il a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu. »
Oui ! La prière chrétienne vient de Dieu et retourne à Dieu… en passant par le cœur et la vie du priant pour le transformer petit à petit.

Mais sachons que si je chute, si je suis au fond du trou, le Seigneur est là pour m’aider à me relever. Le plus important dans la vie chrétienne n’est donc pas de ne pas tomber, de ne pas faire d’erreur, de ne pas douter… mais de se relever et de se laisser relever en Ressuscité.


20ème dimanche du Temps Ordinaire

Lectures bibliques : Jérémie 38, 4-6.8-10; Psaume 39, 2, 3, 4, 18; Hébreux 12, 1-4; Luc 12, 49-53