Homélie du 8 septembre 2019 (Lc 14, 25-33)

Chanoine Roland Jaquenoud – Abbaye de Saint-Maurice

 « Ah, comme ce rassemblement chrétien a bien marché ! Ils étaient des milliers, des centaines de milliers, des millions à tel ou tel événement organisé par l’Eglise. Ça marche. L’Eglise est vivante. Il y a du monde ! ».

Mes frères, mes sœurs, il y avait du monde. Il y avait beaucoup de monde qui suivait Jésus ce jour-là. Et voici qu’il se retourne et qu’il leur dit : Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à tout, – à sa famille, et même à sa propre vie, – si quelqu’un vient à moi sans me préférer à tout, il ne peut pas être mon disciple. Ce n’est pas la première fois que Jésus se fait une « contre-réclame ». Cela arrive plusieurs fois dans les évangiles. Il fait des miracles, on se met à le suivre en masse, et tout à coup, il casse toute cette belle popularité en rappelant les exigences de la suite du Christ. « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »

Ainsi, être un « bon » chrétien, qui va à la Messe le dimanche, cela ne suffit pas pour être un disciple du Christ.

Les intérêts de Dieu

Prendre sa croix. Le Christ a pris sa croix. Que signifie cette croix du Christ ? Elle signifie qu’il prend sur lui toute la volonté de Dieu, qu’il se détourne complètement de ses intérêts personnels pour se tourner tout entier vers les intérêts de Dieu. Et les intérêts de Dieu, mes frères, mes soeurs, c’est qu’il monte sur la croix pour le salut des hommes. Les intérêts de Dieu, c’est que le Christ aime ses frères et sœurs en humanité à tel point qu’il accepte de se livrer pour eux. La croix du Christ, c’est la manifestation absolue et totale de son amour entièrement donné,  totalement désintéressé, entièrement gratuit pour Dieu son Père, et pour chacun d’entre nous. Suivre le Chrsit, c’est le suivre sur la voie de la croix, c’est-à-dire sur la voie de cet amour. Un amour complètement donné, un amour complètement gratuit. C’est cela, la voie de Jésus,  c’est cela la voie de la sainteté pour tous ceux qui se réclament comme étant ses disciples. Cela veut dire, mes frères, mes sœurs, que notre chemin sur cette terre nous est donnés afin que nous apprenions petit à petit à nous détourner de nous-mêmes, de nos intérêts, de nos désirs même, pour apprendre à nous retourner vers l’Amour, qui est Dieu, et qu s’incarne dans l’amour pour tous nos frères et sœurs.

Être ouverts à tous

Si Jésus aujourd’hui nous dit qu’on ne peut pas être son disciple sans le préférer à son père, sa mère, ses enfants, ses frères et sœurs, c’est-à-dire à sa famille, ce n’est pas pour mépriser la famille, mais c’est pour dire que même un amour de ce type-là peut être un amour ego-centré, égoïste. Se détourner de l’amour de soi pour apprendre l’amour donné, se détourner de l’égocentrisme, du Moi, toujours présent dans nos vies – « moi, moi, moi » – pour apprendre le Tu, le vrai Toi, l’autre, qui a du prix à mes yeux, c’est le chemin de la sainteté. Un Jésuite, le Père Varillon disait qu’aucune goutte, aucune once d’égoïsme n’entrera dans le royaume des cieux. Nous sommes ici pour apprendre à aimer, pour apprendre à aimer comme le Christ. C’est beau ! C’est extraordinaire ! Mais aujourd’hui le Christ nous apprend aussi que c’est exigeant et nous demande si nous voulons vraiment entrer dans cette exigence. Renoncer à tout non pas pour mépriser les siens, mais pour apprendre à être ouverts à tout et à tous,  c’est cela, le chemin du Christ, c’est cela, le chemin de la croix.

Si nous nous regardons un peu sérieusement, nous pourrons nous dire que c’est un chemin impossible. Mais rien n’est impossible à Dieu. C’est Jésus lui-même qui nous le dit. Rien n’est impossible à Dieu, Dieu peut faire pas sa grâce que nous apprenions petit à petit à mieux aimer, à mieux nous ouvrir à l’autre, à passer du Moi au Toi. Quand un jour saint Paul se plaignait d’une écharde dans sa chair, d’une impossibilité de se tourner complètement vers le Christ à cause de quelque chose qui nous échappe, Dieu lui répondit : « Ma grâce te suffit ». C’est cette grâce-là qui nous accompagne, qui fait que, petit à petit,  nous apprenons le chemin de l’amour donné.  Et c’est cet amour-là qui nous amènera à l’esprit des béatitudes, c’est cet amour-là qui nous amèneras à la sainteté, c’est cet amour-là  qui nous amènera au Royaume, car il est déjà, en nos cœurs, le germe de ce Royaume. Amen


23e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques :
Sagesse 9, 13-18; Psaume 89, 3-4, 5-6, 12-13, 14.17abc; Philémon 9b-10.12-17; Luc 14, 25-33


Homélie du 1er septembre 2019 (Lc 14, 1, 7-14)

Abbé Joël Pralong – Église St-Jean, Fribourg

Là où Dieu règne sur notre terre, là où il a établi son Royaume, les références sont différentes, les valeurs sont carrément inversées. Plus de privilège ni de passe-droit, personne ne peut revendiquer sa place ni un quelconque droit. C’est Jésus lui-même qui assigne à chacun sa place, qui donne à chacun sa valeur, comme il le veut, uniquement selon sa bonté… “Aujourd’hui tu seras avec moi dans la Paradis” (Lc 23,43) dit Jésus à l’un des deux criminels suspendus à la croix comme lui. Si ce criminel accepte la sentence prononcée par la justice, “Pour nous c’est juste” dit-il, il reconnaît en Jésus la bonté de Dieu, qui seul peut le sauver, indépendamment de ce qu’il a fait. Autrement dit, il accepte d’être aimé jusque dans son anéantissement. Il n’existe dès lors plus aucun anéantissement ni d’enfer ni de mort dans lesquels Jésus ne serait descendu… pour récupérer la brebis la plus égarée, la plus perdue, la plus anéantie, la plus blessée. Il suffit juste de dire OUI! De se laisser trouver…

Me revient  à l’esprit ce texte de Dostoïevski, décrivant la fin des temps: “Et alors les sages et les intelligents  s’offusqueront, ils diront : Mais Seigneur, pourquoi accueilles-tu ceux-là ? Et Lui leur répondra: Je les accueille, ô vous les sages et les intelligents, car ce sont les seuls à ne pas s’être sentis dignes d’une telle faveur!” Alors tous nous comprendrons et tous nous pleurerons!”

Car nul ne s’est senti digne d’une telle faveur…

D’un côté vous avez ceux qui sont persuadés d’être à la bonne place, mais qui jugent les autres, tellement ils sont saisis par la peur de ne pas être sauvés. La peur de se retrouver face à eux-mêmes, seuls face à eux-mêmes. Ceux-là portent leur regard sur leurs actions, sur leurs mérites, et non sur Jésus. De l’autre, vous avez les humbles, qui n’ont de cesse que pour Jésus.

L’HUMILITÉ, c’est l’enseignement  de ce dimanche…

L’humilité, c’est de consentir à se laisser prendre par la main, par un Autre, par un plus grand que soi, comme un petit enfant qui sait qu’il est faible et cherche la main de ses parents. C’est dans la faiblesse que Dieu vient nous chercher. Il entre par notre faiblesse. Parce que dans la faiblesse nous sommes perdus, égarés. Dans la faiblesse nous n’avons plus de prise sur nous-mêmes. Nous sommes seuls, dans le brouillard…

Dieu, c’est le GPS dans le brouillard

Au fond de chacun de nous il y a un enfant qui pleure et qui cherche Dieu! Parce qu’il est perdu… Dieu n’attend que cela: nous trouver, nous retrouver…

Quand on s’est égaré en voiture et qu’on ne sait plus quel chemin suivre, heureusement nous avons aujourd’hui un GPS. Quelque soit l’endroit, la petite voix vient toujours nous récupérer: “Nouveau calcul de la distance…”, dit-elle, pour nous ramener sur le bon chemin. Dieu, c’est le GPS dans le brouillard, qui vient nous rechercher là où nous sommes, à condition de lui faire confiance, d’ouvrir son GPS rechargé dans un regard de foi…

C’est ce qui faisait dire à saint Paul: “Je peux tout en Celui qui me rend fort… Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort” (Ph 4,13; 2 Co 12,10). Encore faut-il consentir à se laisser aider par Dieu…

C’est Jésus qui nous sauve, et l’humilité en est la clé, à cause de sa seule bonté. Il n’y a pas d’autre raison que sa bonté. Encore faut-il consentir à se laisser chercher, à se laisser trouver…

La peur nous pousse à nous élever

“Qui s’élève (par lui-même) sera abaissé, mais qui s’abaisse dans sa propre réalité, il sera élevé par Dieu!” C’est pourquoi Jésus demande au petit Zachée de descendre de l’arbre car c’est dans la poussière qu’il est attendu, dans “l’humus” puisque humilité vient de “humus”, terre… là où nous consentons à être seulement soi-même. C’est la peur qui nous pousse à nous élever…

Prendre soin de l’autre

Nous saisissons alors la seconde partie de l’évangile: “Quand tu donnes un repas, invite les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles…”

C’est-à-dire : toi aussi fais preuve de la même bonté que Jésus envers les autres, que ton geste soit aussi bon, gratuit!

Ne regarde pas aux apparences, regarde en chaque personne cet enfant de Dieu qui pleure, qui ne sait plus comment s’en sortir. Toi aussi donne-lui la plus belle place dans ton cœur pour qu’à son tour il se sache aimé de Jésus et réconcilié en Dieu.

Aimer, c’est prendre soin de ce qu’il y a de plus fragile dans l’autre parce que cette fragilité cache un enfant de Dieu qui a peur. Cette fragilité c’est Dieu lui-même dont il faut prendre soin.

C’est tout à fait dans cet idéal évangélique que s’enracine l’Ordre de Malte, aujourd’hui actif dans 120 pays, pour prendre soin des personnes dans le besoin à travers des activités médicales, sociales et humanitaires. Il fournit ainsi un soutien à ceux qui sont oubliés ou exclus par la société.


22e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques :
Siracide 3, 17-18.20.28-29; Psaume 67, 4-5ac, 6-7ab, 10-11; Hébreux 12, 18-19.22-24a; Luc 14, 1.7-14