Chanoine Simon Roduit – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS
« Je suis le pain de la vie, celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif »
Aujourd’hui dans l’Évangile, Jésus nous parle de pain, Il nous parle de Lui. Il est le pain de vie qui se donne en nourriture. Avant de comprendre qui est Jésus, cherchons déjà à comprendre ce qu’est le pain terrestre, pour mieux appréhender et recevoir le pain céleste.
En cette période estivale de camps et de colonies, observons comment est reçu le pain terrestre. Avant un repas en camp de jeunes, les jeunes affamés par les activités en groupes se retrouvent parfois à crier en chœur « on a faim, on a faim ! », et il arrive souvent qu’un jeune se glisse en cuisine pour demander à la cuisinière « qu’est-ce qu’on mange ? », puis face à une bande d’enfants pleins d’énergie, il arrive souvent qu’un animateur doive faire la discipline pendant le repas, en disant « on baisse le volume, les jeunes ! ». Ces trois phrases peuvent nous parler aussi du pain de la vie qu’est le Christ.
1) Le désir du pain de la vie
Les enfants crient « on a faim » car ils désirent ardemment manger.
Avant l’Évangile que nous venons d’entendre, Jésus a multiplié les pains et la foule en a mangé, puis Jésus s’est esquivé discrètement pour aller prier dans la montagne, afin qu’on ne le saisisse pas pour le proclamer roi. Puis il est apparu à ses disciples sur la mer, mais à nouveau on ne pouvait se saisir de lui. Tout le monde le cherche, comme les enfants qui crient en chœur à la colonie, tous disent « on a faim… » mais faim de quoi ? De se nourrir de la Parole de Jésus ou des simples pains terrestres qu’il leur a donné ?
Jésus va purifier leur faim : leur faim est toute terrestre. Parfois nous aussi nous avons faim de miracles, d’événements extraordinaires, on aimerait que la Vierge nous apparaisse dans une grotte… Jésus nous dit : « Ne vous attachez pas à ce que je vous donne, mais à moi. » Humainement, nous le savons : si tu aimes quelqu’un uniquement pour l’argent qu’il te donne, une simple faillite de son côté te désintéressera vite de lui. Avec Dieu, c’est pareil : si Dieu donne parfois des consolations sensibles, des signes très clairs de sa présence et de son amour, ne nous attachons pas à ce qu’il nous donne, mais à ce qui demeure : celui qui donne.
Pour expliquer cela, Jésus commente le don de la manne au peuple dans le désert : « Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel, mais mon Père qui est au ciel. » Moïse n’est qu’un instrument momentané pour que Dieu réalise son œuvre. De même qu’à la fin d’un concert de cuivre, on n’applaudit pas le trombone ou les baguettes du tambour, mais bien le musicien, nous sommes invités à rendre grâce à Dieu le Père qui donne le vrai pain qui fait vivre, et qui nous donne de poser de bonnes actions.
Jésus élève nos regards trop terrestres vers le ciel, vers le pain du ciel. Dans l’Évangile, on comprend cette correction de Jésus, car on lui fait cette demande : « Donne-nous toujours de ce pain-là », celui qui descend du ciel et donne la vie.
Ce désir, nous l’exprimons avant chaque communion à la messe ou à domicile, durant la prière du Notre Père, lorsque nous disons : « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » ; ce pain-là que nous demandons, c’est Jésus qui se donne tout entier. Ce désir est en chacun de nous, plus ou moins caché. Le saint curé d’Ars nous parle ainsi de ce désir que Dieu a mis en nos cœurs : « Le Bon Dieu voulant se donner à nous, dans le sacrement de son amour, nous a donné un désir vaste et grand que lui seul peut satisfaire. »
A chaque communion, donne-nous Seigneur d’avoir faim de ce vrai pain et de crier avec toute l’assemblée en procession : « on a faim ! »
2) Mann hou ?
Après avoir crié « on a faim », un jeune de la colonie parvient toujours à se faufiler entre les casseroles pour demander à la cuisinière : « qu’est-ce qu’on mange ? »
Dans le livre de l’Exode que nous avons entendu en première lecture, le peuple dans le désert en a marre de tout, ils récriminent contre Dieu et désirent même aller mourir en Égypte. Ils se souviennent des promesses que Pharaon leur avait faites : en Égypte ils étaient esclaves mais ils avaient à manger. Ils étaient assis à côté des marmites de viandes, mais sans y goûter ; ces promesses d’Égypte ne sont qu’illusion. Parfois, nous sommes tentés par les promesses que ce monde fait miroiter devant nos yeux. Même Jésus sera tenté au désert : « si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela… », lui disait le diable. En revanche, la nourriture que Dieu donne au peuple libre dans le désert est toute différente : c’est un vol de cailles qui vient le soir, et une rosée qui descend du ciel le matin. Cette rosée est particulière et nous dit quelque chose de la manière dont Dieu s’exprime.
La rosée cache une croûte fine comme le givre. Face à cela, on dit : « Mann hou ? Qu’est-ce que c’est ? » et alors Moïse répond : « C’est le pain que le Seigneur vous donne ». Le peuple est invité à faire confiance en la parole de Moïse, à avoir foi en lui.
De même, la personne humaine de Jésus, en apparence fils de Joseph de Nazareth, cache le Fils de Dieu. Face à lui, on dit : « Qui est-il pour opérer de tels miracles, avoir une telle autorité et une telle sagesse dans ses enseignements ? » et alors l’Esprit-Saint répond : « C’est votre Sauveur que Dieu vous donne. »
De même encore, dans l’Eucharistie, nos yeux terrestres voient un pain normal qui cache quelque chose ou quelqu’un d’invisible à nos yeux de chair. Face à ce mystère, on devrait dire en s’avançant à la communion ou en recevant la communion à domicile, les yeux interrogateurs et écarquillés d’émerveillement : « Qu’est-ce qu’on mange ? Mann hou ? Qui est-ce ? » et alors le prêtre ou l’auxiliaire de l’Eucharistie nous répondra : « C’est le corps du Christ, le Fils de Dieu que le Père vous donne en nourriture. »
3) Le pain qui nous renouvelle
Dans notre colonie bien vivante, le pain terrestre donne tellement d’énergie que l’animateur est contraint de demander de baisser le volume.
Le pain du ciel que nous recevons en communion est un pain vivant. On ne dit pas « Le cadavre du Christ », mais bien « le Corps du Christ » : c’est un corps vivant, qui se donne et donne la vie. Lorsque nous communions à cette vie divine, ce pain nous restaure et nous renouvelle.
Dans la deuxième lecture, saint Paul a conscience qu’il s’agit d’un pain qui produit une action de vie en nous. C’est pourquoi il demande aux chrétiens de cesser de vivre comme si Dieu n’existait pas, comme les païens qui suivent les convoitises de la chair : quand ils aiment quelque chose ils le prennent, quand ils ne l’aiment plus, ils le jettent. L’apôtre nous invite à nous « laisser renouveler par la transformation spirituelle de notre pensée. » Lorsque nous recevons ce pain de vie, nous recevons Dieu lui-même qui vient nous restaurer de l’intérieur, lui qui nous a créés. Ainsi nous serons des hommes nouveaux avec ce cadeau immense en nous. Le saint curé d’Ars disait : « Quand nous avons communié, si quelqu’un nous disait « Qu’emportez-vous dans votre maison ? », nous pourrions répondre : « j’emporte le ciel. ».
En s’avançant pour recevoir le pain de vie à cette Eucharistie, demandons à Dieu de purifier notre faim, interrogeons le prêtre qui a consacré le pain afin d’y discerner le corps du Christ, et laissons-nous renouveler comme des enfants de Dieu par la puissance et la vie de ce pain.
18e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Exode 16, 2-4, 12-15; Psaume 77; Ephésiens 4, 17-24; Jean 6, 24-35