Homélie du 8 septembre 2024 ( Mc 7, 31-37)

Abbé Philippe MattheyEglise Saint Bernard-de-Menthon, Plan-les-Ouates, GE

LE SOUPIR DE JÉSUS

Quand Dieu souffle, il se passe toujours quelque chose de nouveau… au matin du monde le souffle du Créateur tournoie sur les eaux, au cours de sa mission le souffle de Jésus envoie ses disciples et à la Pentecôte le souffle de l’Esprit libère la parole des apôtres. Et chaque fois ce souffle est complété par une parole : lorsque Dieu dit, cela est, quand Jésus parle, l’Esprit remplit les disciples, ce même Esprit qui libère la parole des disciples à la Pentecôte.

C’est ainsi qu’aujourd’hui nous comprenons que le soupir de Jésus ouvre de nouveaux possibles non seulement pour cet homme privé de parole mais pour tous les témoins de ce signe fondateur, et nous en sommes. Effata, ouvre-toi ! La parole est libérée dans les deux sens : les oreilles la reçoivent à nouveau et la bouche la proclame.

La parole d’amour de Jésus est digne de foi

A la différence de la plupart des humains, qui parlent plus facilement qu’ils ne mettent en pratique ce qu’ils disent, Jésus agit puis ajoute une parole pour donner sens à son geste. Comme toute parole de Dieu, celle de Jésus est efficace parce qu’elle réalise ce qu’elle dit. Sa parole d’amour est digne de foi.

Regardons par quel chemin Jésus passe. D’abord il sort du territoire connu pour ouvrir un ailleurs. Puis il accueille l’homme qu’on lui présente et le mène à l’écart pour bien manifester qu’il veut le rencontrer personnellement. Ensuite il pose un geste avec ses doigts qui touchent ce qui est en manque, puis un deuxième geste en levant les yeux au ciel et un troisième en soupirant. Ce soupir s’apparente à un gémissement qui exprime sa profonde compassion et son désir d’agir.

Enfin vient sa parole : ouvre-toi ! Tous les gestes de Jésus ont préparé cet appel pour qu’il soit reçu là où il y a le manque. Par eux il manifeste qu’il est touché par celui qu’il touche à son tour ouvrant ainsi une relation nouvelle qui redonne vie à celui qui en était privé. Il faut bien remarquer que Jésus ne dit pas : je te guéris, mais qu’il rend l’homme acteur de sa propre ouverture : ouvre-toi !

Ce geste et cette parole m’inspirent trois remarques :

Premièrement, Jésus ne fait rien seul : il lève les yeux pour faire appel à son Père et il soupire pour appeler l’Esprit… Il a besoin de ce lien d’unité et d’amour pour le partager. Sans cette relation Jésus ne pourrait pas communiquer la vie et encore moins la guérir.

Deuxièmement, Jésus réalise la promesse du prophète Isaïe : Dieu lui-même vient vous sauver ; alors s’ouvriront les oreilles des sourds. Il se présente donc comme le Messie de Dieu par ces signes très humains qu’on appelle les miracles. Ceux-ci ne sont jamais une démonstration de la puissance de Dieu mais le signe de sa fidélité : Dieu a vu la misère de son peuple et il lui vient en aide dans toutes ses fragilités.

Troisièmement, Dieu ne fait pas sans nous. Jésus rend l’homme responsable de sa guérison. En l’appelant à l’ouverture il lui donne accès à sa propre énergie vitale. Si la volonté de l’homme rejoint la volonté de Dieu, comme nous le prions dans le Notre Père, alors tout est ouvert : ses oreilles, sa bouche et son cœur. L’homme participe donc à sa guérison.

Nous avons besoin d’ouvrir nos oreilles à la Parole de Dieu, nos mains et nos coeurs à sa mise en pratique

Le chemin de la rencontre de Jésus avec cet homme, c’est notre chemin. Nous avons besoin d’ouvrir nos oreilles à la Parole de Dieu et nos mains et nos cœurs à sa mise en pratique. Les soucis de la vie, la nôtre et celle du monde, contribuent à nous replier sur nos peurs et donc à rester sourds aux appels de nos sœurs et de nos frères humains.

Et voilà que Jésus nous emmène dans une relation à la fois personnelle et collective. Nous ne sommes pas des anonymes pour lui ; son attention et sa présence à chacun-e de nous manifeste sa confiance et valorise ce que nous sommes. Et en même temps il nous relie à cette grande histoire de l’alliance avec tous ses témoins (aujourd’hui Isaïe, le Psalmiste et les gens de l’évangile…) pour que nous puissions nous associer à ceux qui constatent qu’il a bien fait les choses. La fidélité à la promesse divine se dit à travers ses gestes et ses paroles et il nous envoie faire de même.

Faire de même : c’est un appel constant de l’évangile. Qu’est-ce à dire ?

Si Jésus nous parle ce n’est pas pour que nous répétions ses paroles mais bien pour que nous nous mettions à notre tour au service de celles et ceux qui habitent nos existences. Par des gestes de compassion, de solidarité, de partage et de fraternité… Effata nous dit-il : tu peux toi aussi t’ouvrir aux autres pour te laisser toucher par eux et pour les toucher de ta présence et de ta sollicitude.

Nous sommes co-créateurs avec Dieu

Enfin, arrêtons-nous sur le « toi » d’ouvre-toi. Jésus nous révèle que c’est nous qui sommes les artisans de nos propres existences. Mais nous ne sommes pas livrés à nous-mêmes. En toute liberté il nous offre le choix d’adopter son attitude. Si nous croyons au Dieu créateur nous croyons également que nous sommes co-créateurs avec lui, autrement dit qu’il compte sur nous pour qu’avec lui nous prenions notre part dans la construction d’un monde ouvert à l’amour, donc plus juste et plus fraternel

Lorsque le souffle de Dieu nous traverse nous croyons que nous ne sommes pas seuls et que l’ouverture à tout autre donne à nos vies la dimension de l’amour qui unit le Père, le Fils et le Saint Esprit !  Amen

23e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Isaïe 35, 4-7; Psaume 145; Jacques 2, 1-5; Marc 7, 31-37

Homélie du 1er septembre 2024 (Marc 7, 1-23)

Chanoine Jean-Michel Girard – Basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice, VS

Souvent le Christ met l’accent sur l’opposition entre l’extérieur, l’apparence et l’intérieur, les intentions, le cœur. Pensons par exemple à la parabole du pharisien et du publicain. Celui pour qui l’extérieur compte plus que l’intérieur et où il n’y a pas correspondance entre les deux est qualifié d’hypocrite.

Evidemment, pour Jésus, – et, je l’espère, pour nous aussi – le plus important est l’intérieur car, là, nous sommes réellement nous-mêmes et là est la source de notre comportement. Certes, il n’est pas nécessaire d’opposer l’extérieur et l’intérieur. On peut espérer une belle harmonie entre les deux. Pourtant si Jésus y revient fréquemment et avec énergie, c’est pour souligner un réel danger, celui de mettre la priorité sur le paraître et alors tout est faussé.

Ne pas mettre la priorité sur le paraître

Supposons – c’est un exemple peut-être impertinent – supposons un frère ou une sœur qui entre dans une communauté monastique, dont le style de vie est bien différent de celui du monde. S’y adapter demande de grands efforts. Si toutes les forces sont utilisées à ressembler à un modèle de recueillement, à marcher à pas lents, à garder les yeux baissés, à ne parler qu’à voix basse, à chanter juste, etc…, le danger est que la carapace extérieure durcisse trop vite et que l’intérieur n’ait pas le temps de profiter du soleil pour mûrir.

Les parents et les éducateurs le savent bien. Il est nécessaire qu’il y ait des règles, mais rien n’est gagné jusqu’à ce que l’enfant ou le jeune en comprenne le bien-fondé, intègre la règle et s’implique personnellement.
Il est sain de remettre en question les obligations qui nous sont imposées ou que nous nous imposons nous-mêmes, les habitudes, les rituels. Non pas nécessairement pour nous en débarrasser. Parfois, ce sera le cas. Mais d’abord pour en vérifier le bien-fondé pour les assumer librement.

Un appel à trouver une plus grande liberté

Nous pouvons comprendre cette apostrophe de Jésus aux pharisiens comme un appel à trouver une plus grande liberté et la dignité d’une vraie responsabilité personnelle. Ne pas tenir debout par des échafaudages, mais par une structure intérieure.

C’est tout à fait remarquable que le Christ n’ait jamais cherché à faire pression sur ses apôtres. Il les appelle, les interpelle, les enseigne ; mais il les laisse libres. Nous nous rappelons les paroles de l’Evangile de dimanche dernier : « Voulez-vous me quitter, vous aussi ? » et la réponse de Pierre : « A qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle ».

Agir par amour

L’attitude de Jésus vis-à-vis de ses disciples et vis-à-vis de chacun est toujours la même : « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître ». Cette attitude a permis à ses disciples de devenir ses amis, de l’aimer et d’agir, non par contrainte, mis par amour ; leur cœur a été guéri par la contagion de l’amour qui attend une réponse libre d’amour.

Lorsqu’il nous invite à nous rassembler pour faire mémoire de lui, il nous adresse sa parole. Il a confiance en notre capacité, avec la lumière de l’Esprit-Saint, de comprendre et de nous engager par conviction personnelle sur le bon chemin. Il se présente à nous et se donne de la manière la plus humble, corps livré sous l’apparence du pain. Il ne nous force pas ; il nous donne sa force.

Que sa présence en nous régénère notre intérieur et que ne sorte de notre personne que des paroles et des gestes de lumière !

22e Dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Deutéronome 4, 1-8 ; Psaume 14 ; Jacques 1, 17-27 ; Marc 7, 1-23

Homélie du 25 août 2024 (Jn 6, 60-69)

Abbé Boniface Bucyana – Eglise Saint-Joseph, Lausanne

Servir le Seigneur ou se servir de Dieu

En ce 21ème dimanche du temps ordinaire, les lectures d’aujourd’hui semblent mettre fin à nos vacances et nous sortent de l’ordinaire, de la banalité. En effet, avec la première lecture, le prophète Josué nous interpelle, nous convoque, nous rassemble comme il l’a fait pour les douze tribus d’Israël à Sichem. Voyez comme est bon le Seigneur, nous dit le Psaume 33, pour nous ouvrir les yeux sur la beauté qui nous entoure et rencontrée pendant nos vacances, surtout la bonté du Seigneur à reconnaître et à louer, à célébrer pour témoigner avec joie et fierté pour le Seigneur qui jette un regard bienveillant, qui écoute attentivement, qui délivre, qui veille sur chacun, qui rachète ses serviteurs. Sommes-nous prêts à faire partie de ces serviteurs qui le servent en acte et en vérité et dans l’humilité ?

Le lieu de l’apprentissage du service mutuel par l’amour


La 2ème lecture enfonce le clou : par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux hommes, les hommes comme les femmes, les adultes comme les enfants, tous les membres de la même famille qu’est l’église et la première cellule de l’église ça reste la famille et chacun de nous en a une. C’est là le lieu inaliénable de l’apprentissage du service mutuel par amour et non un champ de bataille pour des épreuves de force et de lutte pour le pouvoir, ni un foyer de tensions entre des droits sans les devoirs.

Le dimanche passé Jésus, comme depuis le début de ce mois, rassemble la foule au sommet de Capharnaüm, et prodigue un enseignement choquant. Mais c’est pour les réveiller et les éveiller pour qu’ils ne se contentent pas que du pain qui remplit seulement le ventre et laisse l’esprit vide et le cœur affamé de vraie vie. C’est donc un choc salutaire qui nous bouscule et nous donne un nouvel élan dans la foi engagée et engageante.

Aujourd’hui encore il précise que c’est l’esprit qui fait vivre et que la chair n’est capable de rien sans l’esprit. Autant nourrir d’abord et souvent l’esprit et le corps s’en trouvera rassasié et vivant. Nous sommes venus aujourd’hui communier à ce pain vivant, l’eucharistie, qui nous donne la force de servir le Seigneur dans nos frères et sœurs dans le Christ.

Un choix clair et un engagement authentique


A Sichem, comme aujourd’hui, Tout le peuple doit se prononcer et choisir de servir le Seigneur ou non. C’est ce qu’on pourrait appeler le serment de Sichem. Ce serment requiert un choix clair et un engagement visible et authentique. Le prophète réveille tout le monde pour sortir chacun de sa torpeur, de son indifférence, et éveille par son exemple, son choix servir le Seigneur
Le peuple doit se prononcer, prendre position : choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir… Le prophète sait et montre que le réveil peut éveiller et rappeler. Et comme on dit le rappel ravive la mémoire, et sauve.
Le Seigneur semble emprunter l’expression suisse pour interpeller chacun : Ecoute voir ! Nous sommes invités à être tous yeux, toutes oreilles ! Nous devons ouvrir nos rétroviseurs spirituels pour se rappeler et contempler tous les bienfaits que le Seigneur a accomplis pour nous et autour de nous et retrouver la confiance en lui et en nous, redoubler la vitesse et la qualité d’engagement sur la voie de la sagesse, rester vigilants et attentifs. Si l’évangile reste la bonne nouvelle, il n’en demeure pas moins une parole dure, parce qu’elle est exigeante, c’est-à-dire qui ne tolère aucune confusion ni compromission.
La question du prophète résonne encore pour nous, aujourd’hui : qui voulons-nous servir. Et j’ajouterai pour quoi ? Par peur ? Par calcul ? Sommes-nous pour le Christ ou contre. Le bien au contraire vaudois n’a pas de place quand il s’agit de servir le Seigneur.
Servir le Seigneur ou se servir de Dieu ! Servir le Seigneur n’a rien d’esclave. C’est un service dans la foi et la liberté. Tandis que se servir de Dieu, c’est en faire une idole manipulable à merci, c’est le supplanter et ignorer sa présence dans l’autre auquel je suis envoyé, mon frère, ma sœur en humanité. Donc prétendre Servir le Seigneur, en ignorant la charité fraternelle est un mensonge. Le service du Seigneur Dieu nous envoie en mission vers le monde et vers tout le monde avec un choix toujours renouvelé.

La parole de Dieu, aujourd’hui, nous met devant un choix dicté par la foi. Voulons-nous servir le Seigneur, nous soumettre sous sa loi qui n’est autre que la loi d’amour, c’est à dire se laisser guider par sa volonté. Par là une question nous interpelle : quel type de relation entretenons-nous avec le Seigneur ? Qui est le Seigneur pour nous ? Avons-nous une relation de peur, une relation ambigüe, de confusion, de soumission aveugle ?

La vraie relation à Dieu

Le Christ est venu nous révéler la vraie relation avec Dieu fondée sur notre statut d’enfants de Dieu Père. À travers lui, Dieu se met au service de l’homme pour lui parler, le guider et le sauver parce qu’il aime tous les hommes.
L’écouter et obéir à sa volonté, c’est participer à son œuvre de salut. C’est collaborer avec lui, c’est servir Dieu et les autres. C’est suivre son exemple de serviteur, c’est être son témoin. Cette mission exige une cohérence de tout instant et une fidélité qui ne doit souffrir d’aucune amnésie spirituelle. Se nourrir du sandwitch et des jeux seulement est profane alors nous sommes tous des êtres sacrés, et notre esprit est divin. Recevoir son corps nous prémunit contre cette maladie, et même contre l’Alzheimer religieux qui nous couperait de toute relation essentielle.

Si nous acceptons de servir le Seigneur, c’est parce qu’il est Dieu Amour. Ce n’est pas un Dieu terreur qui fait peur, qui fait trembler. Il est Père, non pas père ni père fouettard. IL est tout simplement et vraiment le Père miséricordieux pour tous qui a envoyé son Fils non pas pour se servir de l’homme, mais pour se mettre au service de chacun sans le forcer. En effet, le Christ, Roi et Serviteur s’est soumis par amour à tous les hommes, même aux pécheurs. Non seulement il s’est mis au service de tous, mais plus encore il s’est offert pour que tous vivent, soient sauvés. Il s’offre à nous aujourd’hui par sa parole salvatrice et par son corps, le pain vivant pour la vie éternelle. Amen

21e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Josué 24, 1-18; Psaume 33; Ephésiens 5, 21-32; Jean 6, 60-69