Homélie du 18 mai 2025 (Jn 13, 31-35)

Soeur Véronique Aubry – Carmel du Pâquier, FR

Centenaire de la canonisation de Thérèse de Lisieux

Dites-moi, lors de promenades en montagne, avez-vous déjà admiré, contemplé une cascade ? L’eau surgit, puis bondit dans un élan nouveau, pour rejaillir encore en bouillonnant. Jamais elle ne retourne ni ne remonte vers sa source.
Belle image de l’amour divin, qui se donne du Père au Fils, du Fils aux disciples, et des disciples à l’humanité entière. La manière divine d’aimer n’est jamais retour sur soi, repli, elle n’a jamais rien de captatif, alors que nous-mêmes espérons, attendons toujours la réciprocité dans nos relations d’amour et d’amitié.

Se livrer à Jésus sans réserve

Nous savons que Jésus souvent nous surprend, nous bouscule, nous désinstalle.
Aussi donne-t-il aujourd’hui un commandement nouveau à ses disciples, donc à nous-mêmes. Car si vous êtes à l’écoute de cette célébration ou présents dans cette chapelle du carmel, n’est-ce pas que vous êtes disciples ?
Or, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus écrivait : parmi ses disciples, Jésus trouve hélas peu de cœurs qui se livrent à lui sans réserve, qui comprennent toute la tendresse de son Amour infini.
Se livrer à lui sans réserve…
Serait-ce là ce commandement nouveau dont nous parle l’évangile de ce jour ? D’une nouveauté qualitative qui serait la marque de fabrique, l’originalité chrétienne ?

Comme je vous ai aimés…

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. Tout est dit dans ce COMME Jésus a aimé ses disciples. Sainte Thérèse remarque très justement : ce n’était pas leurs qualités naturelles qui pouvaient l’attirer, ils étaient de pauvres pêcheurs, ignorants et remplis de pensées terrestres. Cependant Jésus les appelle ses amis.

Alors Thérèse s’interroge sur sa propre vie et poursuit avec lucidité : j’ai compris combien mon amour pour mes sœurs était imparfait. J’ai vu que je ne les aimais pas comme le Bon Dieu les aime.
Tous et toutes nous pouvons hélas établir le même constat quotidiennement. Nous n’aimons pas comme Dieu aime. Devons-nous pour autant hausser les épaules et nous décourager ?
Thérèse nous montre un chemin : Ah ! Seigneur, je sais bien que vous ne me demandez rien d’impossible : vous connaissez mieux que moi ma faiblesse, mon imperfection, vous savez que jamais je ne pourrai aimer mes sœurs comme vous les aimez, si vous-même, ô mon Jésus, ne les aimiez encore en moi.

Une issue : se tourner vers Jésus

Si vous-même… Dans ce SI se glisse tout le bon sens de la petite Thérèse, toute son audace aussi, toute sa soif de correspondre à la volonté de Dieu. Il lui demande quelque chose qui lui paraît impossible ? Elle ne se décourage pas (c’est une réalité qu’elle a banni de sa vie) ; elle a cherché et a trouvé une issue : se tourner vers Jésus… pour que lui fasse le travail en elle, pour elle, par elle.

Osons-nous mettre ainsi le Seigneur au défi pour qu’il agisse en nous et par nous ? Ce n’est point là dérobade ou facilité, car pour que Jésus puisse travailler en nous, nous devons apprendre l’abandon, le lâcher-prise, la confiance et Thérèse nous l’assure : c’est la confiance et rien que la confiance qui conduit à l’amour !
Mais cet amour ne doit pas se traduire seulement par des paroles, car ce ne sont pas ceux qui disent : Seigneur, Seigneur, qui entrent dans le Royaume des cieux mais ceux qui font la volonté de Dieu, nous dit-elle.

La charité ne doit pas rester enfermée dans le coeur

Alors, très concrètement, Thérèse comprend (ce verbe revient souvent sous sa plume car elle ne se contente pas de vérités toute faites, elle réfléchit) et donc elle comprend que la charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres, à ne point s’étonner de leur faiblesse, à s’édifier des plus petits actes de vertus qu’on leur voit pratiquer, mais surtout j’ai compris que la charité ne doit pas rester enfermée dans le fond du cœur.

Merveilleuse Thérèse qui rejoint le commandement de Jésus : ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres.
Alors, pourquoi ne pas unir nos voix à la sienne lorsqu’elle chante :

Ma vie n’est qu’un instant, une heure passagère
Ma vie n’est qu’un seul jour qui m’échappe et qui fuit
Tu le sais, ô mon Dieu ! pour t’aimer sur la terre
Je n’ai rien qu’aujourd’hui !

Que notre amour dans tous nos aujourd’hui rayonne et se répande comme l’eau de la cascade… car nos frères et sœurs, dans le monde, ont soif.

5e Dimanche de Pâques
Lectures bibliques : Actes 14, 21-27; Psaume 144; Apocalypse 21, 1-5; Jean 13, 31-35

Homélie du 11 mai 2025 (Jean 10, 27-30)

Eric Monneron, diacre – Eglise Notre-Dame de l’Immaculée, Payerne, VD

Voilà une lecture d’évangile bien courte mais tout de même compliquée. Jésus s’y présente comme le berger qui guide son troupeau et le fait vivre. Ça c’est facile à comprendre…
Mais voilà qu’il est aussi question de vie éternelle. Et il y a cette phrase de Jésus qui peut nous paraître énigmatique : « Le Père et moi, nous sommes un. »

Jésus solidaire avec des gens déconsidérés


En Israël, on connaissait le thème de Dieu berger de son peuple, un thème richement développé par les prophètes, une image qui était devenue une sorte d’image pieuse, comme une récitation de catéchisme que tout le monde connaît par cœur et à laquelle nul ne prête plus attention.
Et puis, reconnaissons-le : pour nous, cette parabole du bon berger est pleine de douceur et de tendresse, et nous avons tous en tête l’image du berger portant sur ses épaules un frêle et gracieux agneau.

Eh bien, à l’époque de Jésus, cette image n’avait pas cours : les bergers étaient des gens déconsidérés qu’il valait mieux ne pas fréquenter. Des gens impurs toujours en contact avec les animaux, des gens sales et qui sentent le bouc (Pouah !!). Aucune confiance à avoir envers ces gars plus proches de l’animalité que de l’humanité.
Et voilà que Jésus bouleverse – une fois de plus – les codes sociaux et religieux de son temps (vraiment, pour qui se prend-il ?). Il se refuse à enfermer la personne ou un groupe social – ici les bergers – dans une identité toute faite et définitivement fermée.
Et c’est intolérable de voir que Jésus est solidaire avec ces pauvres types méprisés vivant avec leurs troupeaux et qui ne fréquentent guère les lieux de religion.

Et ce n’est pas la première fois que Jésus franchit ainsi la ligne rouge et donne à voir une image de Dieu qui fait scandale : on l’a vu manger avec des collecteurs d’impôts et des prostituées ; on l’a aperçu discuter avec une Samaritaine aux cinq maris ; on dit qu’il s’est laissé toucher par une femme qui saigne. Et pour lui, les étrangers païens sont à égalité avec les vrais juifs pieux.
Mais il va plus loin encore dans ce qui est perçu comme une provocation. Il déclare : « Je leur donne la vie éternelle. » Prétention insupportable et insensée…
Mais est-ce vraiment bien cela que Jésus promet ? Au Ve siècle, l’évêque d’Alexandrie, Cyrille, disait : « Par vie éternelle, nous ne comprenons pas cette succession interminable de jours, bons ou mauvais, mais cette vie où l’on demeure dans la joie. » Si on comprend bien Cyrille, la vie éternelle c’est donc aujourd’hui, c’est notre quotidien ici et maintenant. Et c’est là, dans cette vie, qu’il nous faut découvrir un don fait par Jésus le bon berger, un don de joie.
Avouons qu’une bonne dose de foi nous est nécessaire pour entendre cela…

La vie éternelle, cette vie où l’on demeure dans la joie


C’est que la vie, notre vie, n’est pas spécialement une partie de plaisir. Et chacun d’entre nous pourrait faire la triste litanie des souffrances subies, des humiliations, des vexations et peut-être plus encore du sentiment d’être méprisé, traité comme moins que rien, infantilisé. Oublié.
Combien de familles détruites par l’alcool, la violence ou la maladie des corps ou, pire encore, des esprits ? Combien de personnes qui tirent le diable par la queue pour survivre et manger, payer leur loyer, se chauffer, fournir le minimum aux enfants ? Plus loin de nous, c’est encore pire : Gaza, Ukraine, Haïti…
Et l’évêque Cyrille qui maintient : « La vie éternelle, c’est cette vie où l’on demeure dans la joie »… Malgré les apparences, il a sans doute raison, Cyrille… Car Jésus qui dit : « Je donne la vie éternelle », il sait ce que vivre veut dire. Comme beaucoup d’hommes et de femmes, il est allé au plus bas de l’humanité.

Jésus nous donne l’espérance d’un matin de Pâques


Ce berger n’est pas un chef, ni le président bling-bling d’une république où les courtisans sont légion. Mais il est celui qui donne sa vie, qui va jusqu’à la mort pour affirmer envers et contre tout et tous ce qui lui tient à cœur et qu’il dit recevoir de Dieu son Père. A savoir ceci: tout homme est une histoire sacrée, tout homme a valeur infinie alors même qu’il serait au plus bas de l’échelle sociale, tout homme est riche de possibilités et d’avenir. A tout homme est donné le salut de Dieu.

La voilà, la vie éternelle qu’il nous donne : il nous donne d’être humains, même parfois au cœur de l’inhumain. Il nous donne l’espérance d’un matin de Pâques.
Et tout cela, Jésus ose affirmer que c’est don de Dieu lui-même, celui qu’il appelle Père. Il ose cette formule scandaleuse : « Le Père et moi, nous sommes un. » C’est dire que Dieu est du côté de ceux (et celles) qui tâchent de vivre ou de survivre humainement malgré l’inhumain qui les entoure. Dieu est garant de cette petite lumière de vie qui luit au fin fond des ténèbres. Il est ce petit bonheur qui résiste au malheur.

Chers Amis, aux brebis auxquelles nous sommes comparés, il n’est demandé que deux choses : écouter la voix de ce berger et le suivre.
Ce n’est pas là passivité et démission. Au contraire… Écouter et suivre Jésus, c’est s’engager sur un chemin qui, parfois, est rude.
Écouter et suivre ce berger, c’est recevoir la Vie au cœur même de toutes les formes de mort qui nous menacent, surtout lorsqu’apparaît la vieillesse avec son lot de fragilités et de dépendances.

Et avancer. Quand même. Toujours… Car, ne l’oublions, nous sommes toutes et tous « tournés vers l’avenir » !
Amen. Alléluia !

4e dimanche de Pâques
Lectures bibliques : Actes 13, 14.43-52; Psaume 99; Apocalypse 7, 9-17; Jean 10, 27-30