Homélie du 25 janvier 2015

Prédicateur : Pasteur Daniel Petremand
Date : 25 janvier 2015
Lieu : Aumônerie oecuménique du CHUV, Lausanne
Type : radio

Evangile de Jean 4 : la Samaritaine

Juifs et samaritains, deux peuples qui ne se parlent pas.. L’un prétend être dans la vérité, l’autre affirme une autre vérité.. L’un se légitime au nom de la tradition, l’autre se justifie au nom du progrès

Chaque peuple a son Sanctuaire, celui de Jérusalem et celui du Mt Garizim, lequel est le lieu où l’Eternel est mieux servi ?… Bonne question…

Sans y aller par quatre chemins la question reste la même aujourd’hui :

-Protestants et catholiques, lequel est davantage dépositaire de la vérité ? -Croyants traditionnels ou libéraux, Fidèles d’une confession chrétienne ou d’une autre : qui est meilleur serviteur de l’Eternel ? Et nous pourrions élargir la question ici à l’hôpital : Finalement, devant la maladie, devant les chamboulements existentiels, à qui faut-il s’en remettre pour retrouver santé et salut ?

-Au religieux et à son Dieu tout-puissant ?

-A la médecine et à ses techniciens super-performants

Ici aussi nous avons aussi parfois 2 Temples, celui de la science, et celui de la Foi, 2 réalités qui semblent ne pas être communicantes…Où l’Eternel est-il vraiment servi ?

Les traits de la question sont probablement forcés. Il y a bien des lieux de rencontres, de conférences, de dialogues où, entre deux ou plusieurs sanctuaires, on tente de se parler, et de collaborer.

Mais la question reste et je crois que le texte d’aujourd’hui nous offre un élément de réponse pertinent. La clé est dans cette petite, phrase prononcée d’abord par Jésus, puis par la Samaritaine : » Donne-moi à boire  » Petite phrase qui permet de passer le cap des rivalités !

Jésus passe par un moment difficile … Physiquement, il est fatigué de la marche, il est assoiffé, Spirituellement, il est profondément affecté par la tension qui règne entre ces deux peuples, et il choisit de traverser cette contrée, certainement pour trouver une source de rapprochement entre les inimitiés, les préjugés, les méfiances, colportées de part et d’autre..

La Samaritaine passe également par un moment difficile :

-Elle est usée de venir chercher de l’eau ici, peut-être même aussi de donner à boire à ceux qui le lui demandent constamment… -Et certainement qu’en sortant à midi, elle évite de rencontrer ceux qui –au village- ne la voient pas d’un bon œil… Elle aussi est à la recherche d’une ressource profonde.

Voilà ce qui ici est insolite : -D’une part, Jésus, lui qui est vu comme la source, comme celui qui incarne la force et le salut, c’est lui-même qui demande à boire, qui reconnaît sa soif, qui incarne la fragilité et la solitude. -D’autre part, la Samaritaine, elle qui est vue comme une servante, comme une marginale, sans relation vraie, c’est d’elle-même que provient une source jaillissant dans la vie éternelle, au-delà de sa soif ! Etonnant, non ?

Sans-y aller par quatre chemins, la question garde aujourd’hui tout son côté décapant :  » Donne-moi à boire  »

C’est plutôt rare que les responsables ecclésiastiques reconnaissent leur fatigue et leurs limites, osent montrer leur épuisement et, peut-être, leur soif de vérité pas encore étanchée…

C’est plutôt rare que des soignants (médecin, infirmière, ou autre) demandent à une personne de leur donner ce dont ils ont besoin pour continuer leur chemin.

 » Donne-moi à boire  » A l’image de Jésus, oser demander cela, c’est reconnaître mes fragilités, mes limites, mes blessures mêmes.. C’est faire une place à l’autre pour m’aider lorsque je suis devant le puits des mystères de la vie, et que je n’arrive pas à y étancher ma soif tout seul !

-J’ai besoin du Christ pour élargir ma vision de la vie lorsque je la restreins à mes propres horizons

J’ai besoin du soignant pour soulager ma souffrance lorsque je suis prisonnier de la douleur, de la détresse,

J’ai besoin de l’autre pour recevoir le baume du cœur, cette chaleur qui enrichit notre humanité.  » Donne-moi à boire  »

A l’image de la samaritaine, oser entendre cela, et y répondre, c’est nouer un dialogue sans préjugé, sans frontière, et, ce faisant, c’est recomposer la fraternité.

– Premier de tous mes frères, le Christ a besoin de moi pour partager avec lui l’eau vive. Il vient à ma rencontre pour étancher sa soif de vérité et il visite ma Samarie pour adoucir l’aridité de mon existence.

-Mes autres frères et sœurs ont aussi besoin de moi pour partager une vraie solidarité, pour vivre d’une pleine humanité.

-Mes soignants ont aussi besoin de moi pour mettre de l’eau au moulin de leur effort pour soulager, pour accompagner ; pour participer à l’action bienfaisante, bénissante, guérissante de Dieu sur mes blessures.

Avant de conclure, je soulignerai une chose qui me parait essentielle :

L’eau dont il est question ici vous l’avez compris n’est pas que l’eau physique ! Nommée  » l’Eau vive  » j’aurais aujourd’hui envie de la traduire par  » la Relation  »

Cette source de vie éternelle qui peut jaillir en nous, c’est cette relation au Christ qui nous donne d’être juste, ajusté, justifié devant Dieu, et d’être porteurs de Justice. Je crois que la Samaritaine a retrouvé dans cette rencontre avec Jésus une présence bienveillante de Dieu pour elle, et c’est aussi mon souhait pour vous maintenant

Cette source de vie éternelle qui peut jaillir en nous, c’est cette relation avec nous même, ce lien qui fait tenir ensemble nos forces et nos fragilités, nos ressources et nos soifs, nos réponses et nos questions. Ainsi intérieurement  » rassemblés « , nous pouvons vivre paisiblement de l’Unité offerte, étape nécessaire avant de pouvoir la vivre avec les autres.

Je crois, ici aussi, que la Samaritaine a retrouvé dans cette rencontre un visage, un cœur, une image digne d’elle. et c’est aussi mon souhait pour vous maintenant

Cette source de vie éternelle qui peut jaillir en nous, c’est cette relation aux autres qui attendent une rencontre authentique, un climat de confiance, un partage des ressources de chacun-e. Je crois, ici encore, que la Samaritaine a retrouvé par cette rencontre un lien avec ses proches, un bon œil posé sur elle. Et de ce lien retrouvé, tout son village en a bénéficié ! et c’est aussi mon souhait pour vous maintenant.

Oui, l’eau vive est cette relation d’amour –alimentée à sa source divine- qui désaltère, qui rafraîchit, qui purifie, nos existences éprouvées. Elle est ce lien d’affection, de solidarité qui circule entre nous et qui est déjà, ici et maintenant, une trace d’éternité.

– lorsque nous vivons une telle qualité de rencontre, dans l’authenticité de la relation avec Dieu, avec nous-même et avec les autres, nous devenons alors de vrais serviteurs : répondants de cet appel de Dieu qui nous invite à l’adorer en Esprit et en Vérité.

Ainsi, comme l’Evangile nous l’indique, les lieux de l’expression de foi ne sont pas d’abord nos sanctuaires, nos dogmes, nos sciences médicales ou théologiques : le lieu privilégié de l’expression de notre foi, c’est la rencontre, la relation vraie, le vécu quotidien composant avec les questions et avec les recherches de réponse.

A sa suite, à chaque instant, le Christ m’invite à accueillir l’autre personne humblement, avec ce qu’elle peut m’offrir pour étancher ma soif, et ainsi à devenir ferment d’unité, même si je ne suis pas du même bord qu’elle.

A sa suite, et en particulier en cette semaine de prière pour l’Unité de chrétiens, le Christ nous invite à nous ouvrir aux autres communautés, aux autres peuples, et ainsi à devenir ferments d’une humanité animée d’Esprit et de Vérité, au-delà des différences et des divergences.

Avant de nous empresser de donner à boire à celle ou celui que nous rencontrons, prenons le temps, comme le Christ, de lui demander à boire, de recevoir la grâce de l’eau vive partagée, la graine d’éternité qui germe dans la relation vraie. Ainsi soit-il !

Lectures bibliques : Jean 4, 1-42; Psaume 42

Homélie du 25 janvier 2015

Prédicateur : Père Rolando Leo et Pasteur Daniele Campoli
Date : 25 janvier 2015
Lieu : Eglise évangélique réformée de Lugano
Type : tv

Méditation 1- œcuménisme des martyrs

Le Père Rolando Leo, vice président de la communauté de travail des Eglises chétiennes du Tessin, nous offre un 1er espace de méditation :

Le pape François a martelé ces derniers mois une expression forte: « L’œcuménisme du sang » . En effet, nous nous rendons compte tragiquement que celui qui persécute ne fait pas de différences de confessions. Le passage de l’Évangile que nous avons tout juste écouté, nous aide à comprendre ce qui arrive et Jésus affirme que la racine de la haine est l’éloignement du cœur profond de Dieu lui-même (« ils ne me connaissent pas… ils ne connaissent pas le Père… »).

Il y a entre nous une réalité difficile que Jean l’évangéliste appelle « monde » et il représente tout ce qui est hostile à Dieu. Il y a deux mois, le pape François et le patriarche orthodoxe Bartolomée Ier ont signé ensemble une importante déclaration. Elle rappelle aussi les retrouvailles historiques d’il y a 50 ans entre le pape Paul VI et le patriarche Atenagoras qui s’embrassaient. Nous pouvons nous demander si en 50 ans quelque chose a changé dans les rapports entre les Églises, et parfois nous pourrions nous sentir un peu découragés, mais la vraie réponse nous est donnée par l’histoire et par l’Évangile.

Par l’histoire, parce que nous sommes en train de vivre l’œcuménisme du sang, l’œcuménisme des martyrs, qui est aussi le thème de cette journée. En ces temps historiques, nous vivons une nouvelle manifestation de la bonne volonté de l’être humain, des Eglises, dans lesquelles le martyr se reconnait encore comme graine féconde pour la vie chrétienne.

Reconnaissons que la souffrance aide le chemin vers l’unité, et arrive à favoriser un dialogue avec l’Islam aussi, parce que nous sommes convaincus d’une chose: un unique appel universel existe à travailler ensemble pour amour de la justice, de la paix et du respect de la dignité et des droits de chaque personne.

Les divergences culturelles et éthiques qui rendent notre chemin plus compliqué, ne doivent pas nous effrayer!

Ce ne sont pas nos paroles, mais la réponse nous vient de l’Évangile lu aujourd’hui:

« Si le monde vous hait, dit Jésus, pensez au premier d’entre vous qui m’a haï… vous n’appartenez pas au monde, parce que le monde vous hait… s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ». La souffrance fait partie de notre chemin.

Mais nous sommes présents aussi depuis toujours dans la pensée de Dieu, dans son histoire! Jésus nous dit ainsi: « Vous avez été avec moi dès le commencement. » Il nous a prévenus!

Et Jésus nous avertit: « En tuant, ils penseront faire une chose agréable à Dieu! » Et c’est littéralement ce qui est en train d’arriver aujourd’hui. Il nous a avertis. On ne peut pas dire qu’il ne nous l’aie pas dit.

 

Mais l’Évangile a le dernier mot de consolation pour nous aujourd’hui. Quand nous pardonnons, quand nous permettons des rapports de paix, de fraternité et d’unité, le Christ renaît continuellement. La pierre du sépulcre a été renversée pour toujours. Le dernier mot est vraiment de Jésus: « Courage, j’ai vaincu le monde ».

Méditation 2 – solidarité

Un 2e espace de méditation par le pasteur Daniele Campoli, qui est pasteur au service de cette église protestante de Lugano.

L’apôtre Paul écrit une lettre à l’Eglise de Corinthe – une Eglise riche et forte –Dans cette lettre, il exhorte les destinataires de partager généreusement selon leurs moyens.

Le motif de la lettre – ou du moins du bref passage que nous avons lu – est très vite donné: il s’agit de partager les richesses – spirituelles, mais aussi matérielles – avec les croyants qui vivent à Jérusalem et qui sont mis à dure épreuve dans une période de restrictions.

L’apôtre Paul toque à la porte de la communauté de Corinthe, mais il toque également à la porte de toutes les autres communautés qu’il a visitées ou fondées autour de la Méditerranée, dans le but de susciter un mouvement de solidarité qui produise une aide concrète destinée à atténuer les souffrances des frères et sœurs qui se trouvent à Jérusalem.

La lettre date de près de deux mille ans. Mais pourtant, l’initiative de Paul – de faire une collecte et de susciter un élan de solidarité pour les frères et sœurs dans le besoin – est tout-à-fait compréhensible aujourd’hui. Et elle nous suggère quelques éléments de réflexion.

Premièrement, l’Apôtre nous donne à voir la dimension internationale – dans un vocabulaire chrétien, nous dirons universelle – de l’Eglise. L’Eglise n’est pas seulement ma famille, ma paroisse, l’église de ma région, mon diocèse, mais elle a une dimension beaucoup plus ample. Parfois il nous est difficile de nous souvenir de cette dimension. Notre vision est si limitée.

Deuxièmement, nous ne voyons pas seulement l’Eglise dans sa dimension universelle, mais aussi les besoins de l’Eglise repartie en de nombreuses régions du monde.

Nous ne pouvons pas ignorer ce qui se passe dans les Eglises chrétiennes en Irak, en Corée du Nord, en Turquie, en Syrie, au Nigéria et dans beaucoup d’autres pays: des soeurs et des frères en Christ sont victimes de situations difficiles, parfois dramatiques, et de grande souffrance.

Troisièmement, nous remarquons que l’apôtre Paul ne fait pas de différences en ce qui concerne les aides à mettre en œuvre. C’est-à-dire qu’il ne dit pas qu’il faut aider certains – ceux qui lui sont sympathiques – et non d’autres – ceux qui lui sont moins sympathiques.

Il aurait pu le faire, et il en aurait eu motif: les églises chrétiennes de la Palestine ne partageaient pas sa ligne de foi. De fait, Paul s’était disputé avec quelques responsables de communautés. Mais il ne dit pas : aidons seulement les chrétiens qui sont de notre obédience, aidons seulement les catholiques, ou seulement les protestants, ou seulement les orthodoxes, mais pas les autres, les catholiques oui, mais les évangéliques non, les orthodoxes oui, mais les catholiques non.

Encore une fois il s’agit d’élargir son cœur et sa propre vision, afin de redécouvrir l’œcuménisme chrétien. C’était le cas dans l’esprit et l’action de l’Apôtre. Est-ce que aussi le cas dans nos cœurs et dans nos esprits ?

Que le Seigneur élargisse notre cœur et ajuste nos yeux, afin de nous donner une vision plus ample de communion, de partage, de solidarité vécue et active.»

Lectures bibliques :Evangile selon Saint Jean 15,18-16,33 ; 2e épître de Saint Paul aux Corinthiens 8, 1-8

« En Roumanie, l’œcuménisme semble banni! »

Bucarest, 20 janvier 2015 (Apic) « En Roumanie, l’œcuménisme semble vraiment banni! » Interrogé par l’Apic, le Père Michel Kubler, ancien rédacteur en chef religieux du quotidien français «La Croix», ne mâche pas ses mots. Propos recueillis par Jacques Berset.

Depuis septembre 2010, comme directeur du Centre « Saint Pierre – Saint André » dans la capitale roumaine Bucarest, il a pour mission d’œuvrer à la réconciliation entre les communautés chrétiennes divisées. Une tâche plutôt ardue, comme on le découvre à l’occasion de la Semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, qui se déroule cette année du 18 au 25 janvier.

« Cette semaine de l’unité se passe assez bien à Bucarest, confie à l’Apic le religieux assomptionniste d’origine alsacienne. Ainsi, chaque jour de cette semaine de prière, l’ensemble des chrétiens de la capitale – du moins ceux qui sont sensibles à la question de l’unité, ce qui en réduit le nombre! – se retrouvent toutes confessions confondues à tour de rôle dans l’une des sept églises historiques de la ville. La prédication est assurée à chaque fois par le représentant d’une autre Eglise, ce qui introduit un peu de diversité, avant de nous retrouver pour un moment de convivialité. C’est assez fraternel. Le problème, pour l’œcuménisme à Bucarest, ce n’est pas la Semaine de prière pour l’unité, qui se passe bien, mais c’est ce qui se passe tout le reste de l’année ».

Apic: Récemment le Père Cristian Langa, prêtre de l’éparchie gréco-catholique de Cluj-Gherla, en Transylvanie, nous déclarait qu’en Roumanie, l’unité des chrétiens n’est pas à l’ordre du jour. Il déplorait que, lors de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, il priait avec les protestants, les baptistes, les réformés, les luthériens, les pentecôtistes, les adventistes, les évangéliques, mais pas avec les orthodoxes…

Père Michel Kubler: Rappelons d’abord un fait: le métropolite orthodoxe du Banat, Nicolae Corneanu, avait demandé, le 25 mai 2008, à recevoir la communion dans l’église gréco-catholique de «Sainte Marie, Reine de la Paix et de l’Unité» à Timisoara, ce qui avait suscité la colère de la hiérarchie orthodoxe.  Il est vrai, du point de vue de la chronologie des faits, que cette  initiative du métropolite Corneanu, récemment décédé, avait contribué à geler considérablement l’oecuménisme en Roumanie.

Apic: Pouvait-on vraiment parler d’œcuménisme avant l’incident de Timisoara ?

Père Michel Kubler: Je n’en suis pas sûr. Je vois cet incident plutôt comme une sorte de prétexte des plus anti-œcuméniques au sein du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe roumaine. Ces milieux conservateurs s’en sont servis pour dire: on arrête tout! Aujourd’hui encore, des années après cet incident, il est impossible d’avoir le moindre temps de prière commune entre orthodoxes et ‘hétérodoxes’. Il n’y a même pas moyen de réciter un ‘Notre Père’ ensemble publiquement.

Cela n’empêche pas que les activités à notre Centre soient fréquentées tout aussi bien par les catholiques – tant du rite latin que byzantin – que par des orthodoxes, des protestants et d’autres encore. Mais au niveau officiel, on ne peut rien faire, y compris durant la Semaine de prière pour l’unité. Lorsque l’on va chez les orthodoxes, on ne peut qu’assister à une liturgie, en général l’office des vêpres, au terme duquel quelqu’un de notre Eglise prononce quelques mots, mais quand l’iconostase s’est refermé. Pas question de prier ensemble!

Apic: On avait pourtant eu l’impression, après le voyage du pape Jean Paul II en Roumanie en mai 1999, que nous assistions à un dégel de ces relations ?

Père Michel Kubler: C’était sans doute davantage l’émotion d’un moment unique. C’était la première fois dans l’histoire, en effet, qu’un évêque de Rome se rendait dans un pays majoritairement orthodoxe. La population de la Roumanie étant orthodoxe à près de 80%.

On a pu voir également le caractère d’amitié qui est apparu entre les deux hommes, le patriarche Teoctiste, chef de l’Eglise orthodoxe roumaine, et Jean Paul II, déjà malades. Les deux vieillards se sont étreints, et leur baiser de paix qui n’en finissait plus avait dénoté un vrai désir d’unité entre eux.

J’y étais alors comme journaliste pour « La Croix », et lors de la grande messe, suite à cette longue accolade, la foule, spontanément, a crié: « Unitate!, Unitate! » Faites l’unité! A tel point qu’une décennie plus tard, quand nous sommes revenus à Bucarest pour rouvrir notre Centre, je voulais d’abord lui donner le nom d' »Unitate », mais on m’en a dissuadé, et j’ai été très déçu.

Apic: Les Eglises minoritaires ne semblent pas non plus trop intéressées à développer l’esprit œcuménique…

Père Michel Kubler: Effectivement! J’ai compris surtout que le temps avait passé, et qu’on en était revenu à la suspicion, non seulement de la part de l’Eglise majoritaire – qui peut se dire: on est un pays orthodoxe, et qui n’est pas orthodoxe n’est pas Roumain, c’est toujours la mentalité profonde  – mais également de la part des Eglises minoritaires, y compris l’Eglise catholique. Elle ne veut pas l’œcuménisme, car elle a peur de se diluer dans la masse orthodoxe, et surtout de ne plus apparaître comme ayant, elle et elle seule, toute la vérité. Il y a certes un rapport  démographique, mais il y a surtout un rapport théologique.

Apic: Les gréco-catholiques de rite byzantin sont aujourd’hui cinq fois moins nombreux qu’avant leur dissolution par le régime communiste, et ils en souffrent!

Père Michel Kubler: Rappelons qu’avant la période communiste, avant la dissolution de l’Eglise gréco-catholique en 1948 et son intégration forcée dans l’Eglise orthodoxe, cette Eglise de rite oriental était, elle, plus nombreuse en Roumanie que l’Eglise catholique de rite latin. C’était elle, durant des siècles, la vraie Eglise catholique roumaine du point de vue historique et démographique.  Malheureusement, à la chute du communisme, lorsque l’Eglise gréco-catholique a pu ressortir des catacombes, la majorité des fidèles qu’elle comptait avant 1948 sont restés dans l’Eglise orthodoxe, et c’est une de ses grandes souffrances.

Il est juste de dire que si l’Eglise catholique de rite byzantin a été absorbée par l’Eglise orthodoxe, c’est le pouvoir communiste qui l’a voulu, c’est historiquement établi. Certes, cette dernière le désirait, car elle considérait l’existence d’une Eglise catholique de rite byzantin dans cette région comme un accident de l’histoire. Elle s’est réjouie de la fermeture de cette parenthèse historique que constituait à ses yeux l’Eglise gréco-catholique, mais ce n’est pas elle qui s’est emparée de ses biens. C’est le régime communiste qui les lui a remis.

Apic: Dans de nombreux endroits, l’Eglise orthodoxe ne veut pas rendre les églises prises à l’Eglise gréco-catholique par les communistes…

Père Michel Kubler: Il faut souligner que du point de vue juridique, les églises appartiennent aux communautés locales. Nombre d’églises anciennement gréco-catholiques ne leur ont pas été restituées, car les fidèles et les prêtres de la paroisse devenue orthodoxe n’ont pas souhaité retourner au sein de l’Eglise gréco-catholique. Il y a évidemment des situations très injustes, car dans certains villages où il y avait avant une église orthodoxe et une autre gréco-catholique et devenue orthodoxe par la force des choses, les orthodoxes ont refusé d’en restituer une aux catholiques de rite byzantin. Ce sont des causes de grande souffrance.

Mais il serait faux de tout mettre sur le dos de la hiérarchie orthodoxe. L’Eglise gréco-catholique refuse souvent de reconnaître publiquement qu’elle a peut-être récupéré un quart ou tiers des fidèles qu’elle avait avant sa dissolution forcée en 1948. C’est pour elle une grande souffrance de n’avoir pu retrouver tous ses fidèles et son clergé. La plupart ne sont pas revenus: ils suivent comme toujours la liturgie de saint Jean Chrysostome, ils ont un clergé marié, l’exacte tradition de l’Eglise byzantine, alors que ce soit le versant orthodoxe ou le versant catholique oriental, ils ne voient pas la différence entre ces deux Eglises. Je parle ici des croyants de la base, pas des théologiens, des prêtres ou des militants.

Apic: Les gréco-catholiques avaient pourtant créé une « Eglise des catacombes ».

Père Michel Kubler: C’est vrai. En 1948, certains gréco-catholiques ont résisté, sont entrés dans la clandestinité, certains ont été internés dans des camps, voire ont connu la mort dans les geôles communistes. La grande majorité à l’époque s’est accommodée de la nouvelle réalité. A la messe du dimanche, c’est la même liturgie, à la seule différence que chez les orthodoxes, on prie pour le patriarche et chez les gréco-catholiques pour le pape.

En 1990, quand les fidèles ont eu le choix de retourner dans l’Eglise gréco-catholique au grand jour, la majorité ne voulait plus changer. Les fidèles, à la base, ne s’embarrassent pas trop de ces subtilités confessionnelles. On peut le regretter, mais la foi populaire est comme cela. C’est une profonde douleur qui reste chez les gréco-catholiques, et c’est un obstacle supplémentaire à l’œcuménisme. Car quand on a souffert comme ils ont souffert, on se raidit. On est encore loin d’avoir atteint la sérénité.

Apic: Les relations entre gréco-catholiques et catholiques latins ne sont pas non plus au beau fixe… 

Père Michel Kubler: Entre les deux, c’est même pire que de la méfiance, c’est de l’ignorance. Car la méfiance repose au moins sur une certaine connaissance de l’autre. C’est peut-être ironique de le dire ainsi, mais c’est vrai, hélas! En Roumanie, les catholiques des deux rites se connaissent très peu et se fréquentent quasiment pas. C’est chacun chez soi. Il y a deux épiscopats, même s’il y a une seule conférence épiscopale sur le papier. Ce sont deux Eglises très distinctes qui en fait estiment n’avoir rien à vivre et rien à partager ensemble. Le premier œcuménisme à pratiquer en Roumanie est intra-catholique!

Le grand mérite de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens est d’exister, de permettre aux gens de se rencontrer. A partir du moment où on connaît physiquement des gens d’une autre Eglise, on porte automatiquement un regard différent sur cette Eglise en tant que telle.  Mais une semaine ne suffit pas pour faire avancer l’œcuménisme. Mais le problème, dans un pays comme la Roumanie, tout le reste de l’année, vous n’avez rien ni personne pour travailler à construire l’unité. Ni l’Eglise orthodoxe, ni l’Eglise catholique, ni les Eglises protestantes, ne se donnent les moyens de se connaître au fil de l’année. L’Eglise catholique de Roumanie – tant au niveau de l’archevêché de Bucarest que de la Conférence épiscopale catholique – n’a personne chargé de l’œcuménisme. On a l’impression que le Concile Vatican II n’est pas encore arrivé ici.

Apic: Y a-t-il  quand même des lueurs d’espoir dans le paysage religieux roumain?

Père Michel Kubler: Evidemment, sinon nous ne serions pas là. C’est parce que nous pensons que l’unité est non seulement quelque chose de bien, mais c’est une nécessité vitale, c’est la prière de Jésus à son Père: « Qu’ils soient un comme nous sommes un pour que le monde croie », c’est la crédibilité de l’annonce de l’Evangile qui est en jeu, la crédibilité du message chrétien qui est en jeu! C’est un travail de longue haleine, mais il faut s’y mettre dès aujourd’hui. (apic/be)

 

 

 

Homélie du 18 janvier 2015

Prédicateur : Abbé Marc Donzé, vicaire épiscopal
Date : 18 janvier 2015
Lieu : Basilique Notre-Dame, Lausanne
Type : radio

La grande émotion surgie après les attentats contre la revue Charlie-Hebdo et contre le magasin kacher à Paris a fait surgir des valeurs dont le quotidien politique ne parle pas souvent. En particulier, beaucoup ont souligné qu’il est nécessaire de se rassembler dans l’unité pour combattre le terrorisme, la violence, la haine. Et la manifestation monstre à Paris se voulait entre autre chose un moment d’unité face à des actes qui nient l’humain. Cet élan de solidarité est réjouissant, car il monte du plus profond de l’homme.

La valeur la plus prônée, en l’occurrence, c’est la liberté d’expression. Et avec elle, la liberté tout court. Fort bien. Mais il est souhaitable, indispensable même que soient prônées les trois valeurs républicaines essentielles : liberté, égalité, fraternité. Les trois ensemble. Car une liberté sans le respect du frère ou du concitoyen peut devenir folle ou irresponsable. Une liberté sans égalité peut devenir injuste ou méprisante. Et une fraternité sans respect de la liberté devient totalitaire et empêche de respirer.

Cet élan vigoureux vers l’unité, même s’il est le fruit d’une grande émotion, me donne à penser à moi, chrétien, membre de l’Eglise, prêtre. Il me donne à penser particulièrement en ce dimanche, où commence la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. L’appel qui est survenu pour défendre les valeurs républicaines nous met en demeure, nous les chrétiens, de faire retentir aussi un appel, pour que les valeurs de l’Evangile soient vécues par tous ceux qui y adhèrent dans une profonde et viscérale unité.

Alors, finies les guerres de religion et les guerres de chapelles. Finies les querelles de pouvoir et les conflits de territoire. Finies les manifestations d’irrespect, de haine, de mépris. Finis les jugements lapidaires, les condamnations sans procès, les fragmentations sectaires.

Nous, tous les chrétiens, nous sommes appelés à l’unité. C’est le Christ lui-même qui porte l’appel : « qu’ils soient un, pour que le monde croie » dit-il dans sa prière. Dès lors, l’unité est une valeur première, essentielle, qui mérite les plus grands efforts et le plus grand engagement.

Pourquoi donc faut-il avoir cette passion de l’unité ? « pour que le monde croie », dit Jésus, encore une fois. Mais, dans le fond, pourquoi faudrait-il que le monde croie et à quoi devrait-il croire ? Qu’il connaisse ou non le Christ, il faut que le monde puisse croire à l’amour, à la miséricorde, au pardon, à l’espérance d’une vie plus pleine. Il faut que le monde puisse croire qu’il ne va pas vers une catastrophe finale ou une déliquescence définitive, mais qu’il est en route vers la construction de l’amour et la lumière de l’avenir.

Nous, les chrétiens, nous avons mission de construire patiemment l’unité entre nous, pour être au service de l’unité de l’humanité entière. Ce n’est donc pas seulement pour que l’Eglise soit belle ; c’est pour que le monde puisse être traversé par l’élan d’un amour qui met toutes ses forces, pour que la part du bien soit toujours plus présente. Alors, catholiques, protestants, orthodoxes, évangéliques, anglicans, nous devons nous mettre ensemble, en regardant le Christ, pour que les valeurs qu’il a portées jusque sur la croix soient pleinement les nôtres. Encore une fois, pas pour nous-mêmes uniquement, mais pour le service de l’homme.

Comment cela va-t-il se faire ?

D’abord, il faut souligner que l’unité, c’est l’affaire de Dieu. Martin Luther disait dans une prière adressée au Père : « Veuille nous accorder de nous convertir à ton unité ». Quelle demande magnifique. C’est Dieu le premier qui nous donne son unité : celle qui unit infiniment le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Il la met en nous comme une source et comme un appel.

Mais son affaire devient aussi notre affaire. « Veuille nous accorder de nous convertir à ton unité ». Nous sommes appelés à regarder le mystère de Dieu – sûrement aussi les lézardes de l’humanité – pour entrer dans sa perspective, dans sa volonté, dans son élan.

Et le premier mouvement pour que cette affaire devienne à la fois celle de Dieu et la nôtre, c’est la prière commune. Comme disait l’abbé Paul Couturier, l’une des fondateurs de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens : « Accorde-nous de nous rencontrer tous en toi, afin que monte incessamment la prière pour l’unité des chrétiens, telle que tu la veux, par les moyens que tu veux ». Et pourquoi la prière ? pour que nous nous laissions inspirer par l’Esprit et pour que nous en recevions l’énergie.

À cette prière, à cet effort vers l’unité, nous sommes tous appelés. Pas seulement le prophète Samuel, et les autres prophètes, qui devaient servir la cohésion du peuple d’Israël. Pas seulement les apôtres Pierre et André, Jacques et Jean, sans oublier Paul, qui devaient rassembler les enfants de Dieu dispersés. Mais nous tous. Sans exception et partout.

C’est pourquoi, après la prière et même dans la prière, nous devons nous demander très souvent : est-ce que ce que je dis, ce que je fais est au service de l’unité dans ma famille, mon travail, ma paroisse, mon Eglise, l’ensemble des communautés chrétiennes et aussi l’ensemble de l’humanité. Est-ce que je pose des gestes de division ou des gestes de réconciliation, de concorde et de paix ?

À partir de là, les chemins sont nombreux. Chaque personne, chaque communauté peuvent contribuer à l’unité selon leur génie propre. Mais il faut souligner surtout le chemin de la charité avec les plus démunis, car l’unité commence par le respect des plus petits. Et le chemin de l’approfondissement du mystère de Dieu, car plus nous sommes proches de son cœur, plus nous nous rapprochons les uns des autres. Solidarité et mystique, pour le dire en des mots solennels.

Et j’espère qu’un jour, tous les chrétiens trouvent le chemin pour communier au Christ, à la même table, dans la fraternité, l’égalité, la liberté. Et dans la joie. Pour être au service d’un monde que Dieu appelle à monter vers la joie. Amen.»

2ème dimanche du temps ordinaire ; semaine de prière pour l’unité des chrétiens

Lectures bibliques : 1 Samuel 3, 3b-10.19; Ps : 39; 1 Corinthiens 6, 13c-15a.17-20; Jean 1, 35-42

«Larrons heureux, en paradis»: le pardon à ses assassins musulmans

Bernard Litzler

Le tragique assassinat de journalistes et dessinateurs français de Charlie Hebdo rappelle la décapitation, en 1996, des moines français à Tibhirine, en Algérie.

La guerre civile algérienne et le climat de peur de l’époque n’avaient pas fait fuir les moines cisterciens de l’abbaye Notre-Dame de l’Atlas. Au contraire, le prieur de la communauté, le Père Christian de Chergé, avait écrit, par avance, à ses assassins. Une lettre poignante que remet en mémoire l’actualité dramatique de ces jours. Il écrivait:

«S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille, se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays. Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes, laissées dans l’indifférence de l’anonymat.

Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. J’aimerais, le moment venu avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payer ce qu’on appellera, peut-être, la «grâce du martyre» que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam. […]

Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste: «Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense!» Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de sa Passion investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences. […]

Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais, oui, pour toi aussi je le veux, ce merci, et cet «A-Dieu» envisagé pour toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.»

Christian de Chergé avait une connaissance approfondie et une grande estime pour l’islam et la culture arabe. Sa vie durant, il n’a de cesse d’approfondir cette foi dans une unité entre les deux religions. Il médite le Coran, notamment les textes relatifs Jésus et à Marie. Il compare les termes des deux religions, les concepts, comme celui de Dieu le miséricordieux, constamment utilisé par les musulmans. Comme théologien, il cherche à percer la clé du mystère de l’islam dans l’histoire du salut.