Homélie du 1er octobre 2023 ( Mt 21, 28-32)

Père Jean-René Fracheboud – Chapelle de l’Ecole des Missions du Bouveret, VS

Chers Sœurs et Frères,
Constamment dans l’Évangile, le Seigneur nous invite à faire des choix, à mettre en œuvre ce cadeau extraordinaire qui est notre liberté. C’est certainement la noblesse et la dignité de notre vie humaine d’orienter nos vies et nos existences par rapport à ce qui semble le plus beau, le plus vrai, le plus sublime.

Jamais le Seigneur ne pénètre dans nos vies par effraction ; Il ne nous oblige à rien mais, sans cesse, il vient mendier le OUI de nos libertés.
La parabole d’aujourd’hui se situe dans ce registre d’un choix à faire face à la proposition de Dieu
.

« Quel est votre avis ?
Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : « Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne ».
Celui-ci répondit : « je ne veux pas ». Mais ensuite s’étant repenti, il y alla. Puis le Père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : « Oui, Seigneur » et il n’y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du Père ? Ils lui répondent : « Le premier ».

Cette parabole était adressée aux grands prêtres et aux anciens, autrement dit à ceux qui avaient une responsabilité importante au sein de la communauté juive.
Et là, Jésus va conclure sa petite histoire par une parole particulièrement provocante.
« Amen, je vous le déclare, les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice et vous n’avez pas cru à sa parole, mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. »

Se laisser toucher par l’amour qui ouvre un nouvel espace et un avenir transfiguré

Ce n’est pas la première fois que Jésus dénonce vigoureusement l’attitude des scribes et des pharisiens, les détenteurs du pouvoir religieux.
En fait, ils baignent dans des structures religieuses, ils maîtrisent la Parole de Dieu, ils commentent la loi et les Prophètes pour l’imposer aux autres, ils font la leçon à tout le monde, mais le cœur n’y est pas. Chez eux, il n’y a pas de résonance intérieure, il y a un immense vide.
Par contre, les publicains et les prostituées se sont ouverts à la Parole de Jésus, ils l’ont accueillie au plus profond d’eux-mêmes. Ils se sont laissés toucher par cette grâce de l’amour qui ouvre un nouvel espace et un avenir transfiguré.
Même si les conditions objectives de leur vie les mettaient très loin du royaume de Dieu et de ses exigences, en réalité leur cœur profond restait mystérieusement disponible à une Parole et à une rencontre qui allaient bouleverser leur vie.

Il est bon de mesurer la rudesse du chemin pour ne pas nous faire illusion


Cette parabole de l’Évangile reste très interpellante pour nous aujourd’hui, pour notre Église qui est secouée par de grandes turbulences et pour chacune, chacun de nous qui souhaitons vivre notre foi avec le plus de vérité et d’authenticité possibles.
Peut-être, ne faut-il pas trop vite dire oui au Seigneur et aux exigences du Royaume de Dieu. Le vrai disciple, ce n’est pas celui qui dit : « Seigneur, Seigneur mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux ».
Peut-être qu’il faut d’abord oser dire non, ressentir toutes les résistances qui montent des profondeurs du cœur car ce que le Seigneur nous propose de vivre avec lui, un amour inconditionnel, est terriblement exigeant et dépasse nos seules et pauvres forces humaines.
Il est bon de mesurer la rudesse de ce chemin pour ne pas nous faire illusion.

Le « oui » que nous sommes appelés à dire au Seigneur n’est pas un murmure des lèvres mais l’unification de toutes les fibres de notre être, un engagement total de notre liberté qui vient assumer les zones les plus sombres et les plus secrètes de nos vies.
Aujourd’hui encore le Seigneur nous appelle à aller travailler à sa vigne. Le projet de Dieu est bien de conduire l’humanité vers une plénitude, vers un bonheur total et éternel. Mais il ne réalise pas ce projet sans nous, il ne nous sauve pas en notre absence. Il veut avoir besoin de chacune et de chacun pour construire jour après jour ce royaume de lumière, de paix et de joie.
Par le « oui » de ma liberté et l’engagement de ma vie, je permets à Dieu d’être Dieu. Par contre, si je m’établis dans le « non », j’empêche Dieu d’être Dieu.

Contempler la vie même de Jésus


Pour travailler notre oui, pour le renouveler en profondeur, pour lui donner une assise et du relief, je crois qu’il faut souvent contempler la vie même de Jésus.
Du début à la fin, de sa naissance jusqu’à sa mort, la vie de Jésus n’a été qu’un oui total et généreux au projet de son Père. Et c’est en cela qu’il est notre Sauveur et qu’il ouvre une voie royale vers le Père.
Saint Paul, qui a été touché de plein fouet par la rencontre du Ressuscité sur le chemin de Damas, nous livre un texte magnifique dans la 2ème lecture, le chapitre 2 des Philippiens.
Jésus s’est vidé de sa puissance divine, il s’est dépouillé de tous les attributs divins par amour du Père et de toute l’humanité pour venir nous rejoindre dans notre humanité faible et pauvre. Et le Père a répondu à son Fils en l’exaltant, en le conduisant à la Résurrection.
Jésus est venu rendre visible et accessible l’AMOUR trinitaire. Au cœur de Dieu, il y a un mouvement permanent d’accueil, de don et d’échange entre les 3 personnes divines, le Père, le Fils et l’Esprit Saint. C’est ce qui fera dire à l’Abbé Zundel : « Dieu n’a de prise sur son être qu’en se communiquant ». Dieu est famille, Dieu est relation, Dieu est communion.

Saint Paul nous exhorte à avoir les mêmes dispositions qui sont dans le Christ Jésus :
« Ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants, ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres ».
Le Pape François nous le rappelle souvent : « ne nous laissons pas volé l’enthousiasme missionnaire ».

Au début de ce mois d’octobre consacré à la mission, puissions-nous ré-entendre cet appel. C’est l’heure pour chacune, chacun d’aller travailler à la vigne du Seigneur.
Le Seigneur vivant et aimant continue d’attendre le OUI de notre liberté, un OUI qui passe par la réflexion, par l’approfondissement continuel et qui débouche sur un engagement concret et fidèle. Amen

Lectures bibliques :
Ezéchiel 18, 25-28 ; Psaume 24 ; Philippiens 2, 1-11 ; Matthieu 21, 28-32

Homélie du 24 septembre 2023 (Mt 20, 1-16)

Abbé Gaëtan Joire – Eglise Saint-Joseph, Lausanne, VD

Dieu ne cesse de nous appeler à aimer !

L’autre jour, je me rendais à la première rencontre de l’année de mon Équipe Notre Dame dont nom est « La Côte 3 » et en traversant les magnifiques vignobles de la Côte, et je me disais : « Ça y est ! Je suis arrivé au Ciel ! Me voici dans le Royaume des Cieux Vaudois ! »
La Côte, Vully, Chablais, Lavaux, Calamin Grand Cru, Dézaley Grand Cru, Bonvillars et Côtes de l’Orbe ! Vous les avez tous reconnus, ceux sont les huit appellations d’origine contrôlées qui composent le vignoble de notre canton, véritable géographie du Royaume des Cieux Vaudois !

La Cité céleste comparée à un domaine viticole

Royaume des Cieux non seulement parce que le vin est bon, mais aussi parce que Jésus dans l’évangile compare la Cité céleste à un domaine viticole, dans lequel les ouvriers sont appelés à vendanger ! Appelés à travailler à la vigne, tellement abondante que le maître embauche non seulement dans la fraîcheur du petit matin mais aussi de nouveau à neuf heures, midi, trois heures et même à cinq heures de l’après-midi. Et de façon totalement surprenante, tous reçoivent le même salaire : un denier de l’époque, une pièce d’argent ! Aussi bien les derniers arrivés tout comme les tout premiers, qui ont longuement travaillés sous le soleil et la chaleur écrasante ! Les réactions ne se font pas attendre : « C’est injuste, j’ai travaillé beaucoup plus que ceux qui ont commencé à cinq heures ! » Réactions humaines que l’on peut comprendre aisément, mais le maître ne change pas sa décision : « Je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui te revient, je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »

Passer d’un regard extérieur et superficiel à un regard intérieur


Mais quelle est cette surprenante logique ? Combien elle nous paraît étrange si on la regarde humainement. Nous aurions tôt fait d’appeler les syndicats, de nous mettre en grève, de manifester avec nos gilets jaunes !

« Mes pensées ne sont pas vos pensées » nous rappelle le prophète Isaïe dans la première lecture, nous sommes appelés à changer, à entrer dans la logique de l’évangile. Appeler à transformer notre regard humain en regard divin, de passer d’un regard extérieur et superficiel à un regard intérieur et essentiel, d’un regard spontané et émotif au regard de la foi ! Et cela nous est rendu possible, non pas par nous-même et nos propres forces, mais parce que nous sommes tous appelés par Dieu ! Appelés à aimer ! C’est-à-dire à tout recevoir de Lui pour tout Lui redonner ! Appel de Dieu à aimer ! Ouvrier de la première heure comme celui de la dernière heure ! Appel à aimer qui se renouvelle chaque jour dès l’aurore mais aussi à neuf heures, midi, trois ou cinq heures ! Appel à aimer qui n’est autre que l’appel à la sainteté !

Envoyés pour aimer Dieu et son prochain

Vous avez peut-être entendu parler récemment de la famille Ulma ? Dimanche 10 septembre dernier pour la première fois dans l’histoire de l’Église, une famille entière a été béatifiée et reconnue collectivement comme martyre. Les parents Ulma et leurs sept enfants, fusillés en 1944 par les Nazis, sont un magnifique exemple de l’aide offerte par les Polonais aux juifs pendant la seconde guerre mondiale. Déjà reconnus comme « Justes parmi les Nations » en Israël, Jósef, Wiktoria et leurs sept enfants – dont un à naître- ont donnés leurs vies à Dieu, exécutés avec les huit membres de la famille juive qu’ils hébergeaient chez eux, de façon cachée, depuis un an et demi. Ils savaient qu’ils risquaient leur vie mais ont décidé d’agir, par amour en accueillant chez eux dans leur maison toute une autre famille persécutée. Quel courage ! Toute une famille qui répond à cet appel de Dieu à aimer : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ! » C’est une façon de répondre à cet appel de Jésus dans la parabole de la vigne de ce dimanche, envoyé pour travailler à la vigne ! Envoyé pour aimer Dieu et son prochain !


Bien entendu, l’exemple d’amour de cette famille nous paraît peut-être difficile à reproduire, peut-être hors de notre portée, mais rien n’est impossible à Dieu ! Nous sommes constamment appelés à aimer Dieu, à aller travailler dans sa vigne, dans les grandes choses comme dans les petites choses. L’amour de la famille Ulma était d’abord vécu dans les petites choses du quotidien, vivre l’hospitalité et l’accueil, partager son toit, préparer un bon repas, chaque petit geste vécu dans une ambiance de famille, les a préparés à poser un geste d’amour plus grand, plus héroïque, qui a valeur d’exemple et qui nous encourage à renouveler le don de nous-même. Frères et sœurs bien-aimés, le vin est le signe de l’amour de Dieu, la vigne est le signe de la présence de son Royaume, demandons la grâce d’un cœur disponible et libre pour écouter cet appel de Dieu à aimer et à y répondre généreusement. Bonnes vendanges !

25e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Isaïe 55, 6-9 ; Psaume 144 ; Philippiens 1, 20-27 ; Matthieu 20, 1-16

Homélie et message du 17 septembre 2023

Hôpitaux universitaires de Genève (HUG)Célébration œcuménique

Abbé Giovanni Fognini (Lc 10, 25-37)

Spontanément, en accueillant cette page d’évangile, je suis touché et interpelé par deux attitudes qui crèvent l’écran :

  • Celle représentée par le prêtre et le lévite. Cette capacité que l’humain a – et j’en fais partie – de voir un humain à terre, blessé, frappé, violenté – et me détourner de lui, comme s’il n’existait pas !
  • Celle représentée par le bon samaritain. Une autre capacité – et elle existe aussi en moi ! – de voir une situation de détresse et de m’arrêter, de prendre soin, d’ouvrir un avenir.

Il y a un personnage dont on ne dit pas grand’chose : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. » Il n’a pas choisi ce qui lui arrive …

Des événements qui nous tombent dessus…

Cet homme, c’est aussi vous et moi, à certains moments de ma vie ! Combien d’événements nous tombent dessus, sans les avoir choisis … Parfois c’est une maladie imprévue, parfois la perte d’un poste de travail ; pour d’autres c’est prendre la route de l’exil ; et l’actualité nous parle abondamment et constamment d’abus sexuels sur des enfants, de guerres, d’incendies, d’inondations, de tremblement de terres.

Il y a aussi toutes nos expériences personnelles, nos fragilités, nos vulnérabilités … cela fait partie du chemin normal de ma vie, sans les rechercher ! Cela s’accompagne de sentiments de solitude, d’abandon.

Dans ces moments-là, il suffit d’un regard posé sur nous, d’une attention, d’un mouvement de compassion pour continuer autrement le rude chemin de la vie !

Une attention remplie de compassion

Nous avons tous besoin de cette attention remplie de compassion qui sait s’arrêter, s’approcher, soigner et soulager.

Marion Muller-Colard fait ce commentaire : « Une fois à terre, ce qui importe par-dessus tout, c’est de trouver penchés vers soi des visages qui relèvent en nous notre dignité.

Non pas cette dignité postmoderne qui consisterait à ne plus être marqué d’aucun stigmate de fragilité, mais la dignité qui me réintègre à la communauté humaine lorsque je crains d’en être exclu.

La dignité qui signifie que je suis né humain et que je le demeurerai vêtu ou dévêtu, debout ou à terre, en santé ou en maladie, tant que d’autres me reconnaîtront comme tel »

Prenons le temps de nous préciser dans le silence de notre cœur : qui est concrètement mon bon samaritain, nos bons samaritains ? Laissons des visages, des prénoms nous habiter et nous réchauffer le cœur !

 Car « nous avons été créés pour une plénitude qui n’est atteinte que dans l’amour. Vivre dans l’indifférence face à la douleur n’est pas une option possible »

Un « mode d’emploi » pour se faire prochain

Le bon samaritain de la parabole nous montre concrètement comme se faire prochain d’une personne fragilisée par la vie. Elle nous donne même un « mode d’emploi »

  • D’abord « voir » et ce n’est pas si simple. Nous avons tous de multiples capacités à détourner notre regard ou de changer de trottoir !
  • Voir, oui, mais surtout s’arrêter. C’est-à-dire se faire proche, devenir le prochain de l’autre. C’est simple, mais exigeant, car il y a plein de résistances en nous qui soi-disant n’avons jamais le temps !
  • Et le bon samaritain met en pratique toute une panoplie de gestes de « premier secours » qui sentent bon l’amour, l’attention à l’autre, le prendre soin 
  • Et surtout, il prend de son temps et de son argent pour inscrire la personne fragilisée dans tout un réseau à qui il délègue la mission de continuer ce qu’il a commencé. Il sait qu’il ne peut pas faire tout seul ! C’est vrai : je ne peux pas être bon samaritain tout seul ! Nous en faisons quotidiennement l’expérience dans cet hôpital : c’est en additionnant les compétences de chacun-e – à tous les niveaux : médical, humain, spirituel – que nous essayons d’offrir un chemin de guérison aux personnes malades !

Cette parabole vient nous redire avec les mots de Marion Muller-Colard :

  • « Ne pas être un prochain, c’est passer outre. Etre pour l’autre un prochain, c’est intégrer la réalité de sa présence »

Cela passe par le fait d’être « ému aux entrailles » vis-à-vis de quelqu’un. Avec des mots d’aujourd’hui, c’est être pris aux tripes …  C’est faire nôtre l’attitude même du Christ envers chacun-e de nous.

C’est traduire dans le concret de notre quotidien le « style de Dieu » qui – toujours – est proximité, compassion et tendresse.

Oui, « Va et toi aussi fais de même »

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Nathalie Schopfer, pasteure (2 Co 12, 9-10)

Depuis plusieurs années l’être humain ne cesse de s’inquiéter de sa fragilité. La fragilité est synonyme du mot faiblesse. Elle a pour pôle opposé la force, la puissance, la grandeur. Au cours de l’histoire du christianisme, la fragilité a souvent été associée à la notion de péché, de faillibilité. L’être humain est faillible à l’inverse d’un Dieu infaillible, fort, tout-puissant. La force a été érigée en valeur de réussite et d’épanouissement. Dans cette compréhension de la force, être fort, c’est être paré, équipé à traverser tous les aléas de l’existence, avoir les ressources pour rester droit et debout quelques soient les circonstances.

Aujourd’hui, le mot fragilité est souvent remplacé par le mot vulnérabilité. Fondamentalement l’être humain est un être vulnérable, soumis aux aléas de l’existences.

Dans notre société, généralement, la force est associée à la réussite et au pouvoir. Le fort ayant alors un ascendant sur celui qui est plus fragile ou faible. La force devient dans ce cas  synonyme d’imposition ou de contrainte.    


Ce matin, nous vous proposons nous questionner en tant que croyant sur notre lien et notre rapport à Dieu face à la diversité de notre existence humaine. Une mise en évidence de nos ambivalences : d’un côté, nous sommes régulièrement confrontés à la vulnérabilité et nous savons qu’elle est inhérente à notre finitude.

Et en même temps, nous glorifions et prenons pour modèle des figures ou personnalités considérées comme héroïques, notre société nous incite même à être les superhéros de notre propre développement.

Un chemin qui passe non seulement par la reconnaissance de notre vulnérabilité mais aussi la reconnaissance de la présence agissante du Christ.

L’épître dans laquelle s’inscrit le passage que nous avons lu est une lettre construite sous forme d’arguments. Au moment d’écrire cette deuxième lettre aux Corinthiens, Paul a été contesté et rejeté, l’authenticité de son ministère est remise en question. On reproche à l’apôtre sa faiblesse, son manque d’éloquence.
Paul écrit et reformule et démonte les accusations dans un style argumentaire. Il va mettre en évidence que c’est à travers la faiblesse que la puissance de Dieu se révèle.

Paul refuse clairement la gloire et la vantardise au profit d’une théologie qui s’exprime à travers la faiblesse. La faiblesse est, selon Paul, le lieu où le divin s’exprime par excellence. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort» car « la puissance de Dieu s’accomplit dans la faiblesse » : c’est un rappel de la naissance du Christ : Dieu vient à nous sous les traits d’un nouveau-né qui n’a même pas de place pour naître convenablement.

Ce ne sont pas des surhommes qui manifestent le divin et on le constate dans de nombreux textes bibliques. Le Christ n’est pas venu pour les bien portants, mais pour les malades, les personnes stigmatisées, celles mises aux marges de la société ou encore les faibles. Jésus guérit, soutient, encourage, vivifie, alors qu’il est lui-même stigmatisé, moqué, dénigré.

Cette attention aux plus fragiles c’est l’attention portée à l’homme, à l’homme véritable et non l’homme qui se prétend invulnérable, au-dessus de tout. L’option préférentielle pour les faibles, c’est le soin pour tous, c’est la grâce pour tous, tous partageant cette même condition.

Il ne s’agit pas pour autant de valoriser la souffrance, ni de s’auto-affaiblir ou d’affaiblir autrui. La souffrance n’est pas un prérequis à la rencontre avec Dieu. Et Dieu n’est pas non plus acteur de nos fragilités.    
Un Dieu présent au cœur du monde mais un Dieu qui n’est pas le commanditaire du déroulement de nos histoires humaines.

Contrairement aux supers apôtres, Paul ne manifeste aucun orgueil, en toute humilité, il se tourne vers Dieu dans la prière. La prière n’est alors pas l’anesthésiant de la souffrance. Elle n’est pas non plus une formule magique qui pourrait supprimer la fragile condition du croyant. Au contraire, la prière constitue le maintien de la communion avec Dieu, malgré tout.
Elle est un dialogue intérieur nourrissant le lien qui nous relie à Dieu. Une communion où l’écharde perd son aiguillion mortifère, où la maladie ne définit pas la relation qui nous unit à Dieu.

Et Dieu se tient là dans ce dialogue intérieur, dans cette condition humaine partagée.
« Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. »

Cette parole témoigne de la puissance du Christ qui campe, plante sa tente, dans le corps meurtri de l’apôtre. La grâce n’est pas synonyme d’exaucement concret ou supposé, elle est par la foi présence spirituelle dans les limites du corps mortel.

Elle est une force donnée par Dieu qui fait dépasser la peur de l’écrasement par la souffrance.
Ouvrir en nous l’espace pour découvrir et déceler la présence aimante et agissante du Christ, voilà le chemin spirituel que nous sommes appelés à vivre. Amen

Homélie du 10 septembre 2023 (Mt 18, 15-20)

Bernard Litzler, diacre – Eglise du Saint-Esprit, Lausanne

Frères et sœurs,

On dit toujours qu’en Suisse il vaut mieux avoir des dettes. Car on peut déduire les intérêts de la dette de sa déclaration de revenus. Assurément saint Paul aurait été un mauvais Suisse, car il dit aux Romains : « N’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel ». La seule dette à régler en régime chrétien, c’est celle de l’amour les uns pour les autres.
De fait, Paul, bon connaisseur de la loi juive, en rappelle certains principes : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas commettre d’adultère. Mais il rappelle aussi ce qu’il a reçu du Christ : tout se résume dans le commandement de l’amour du prochain.

Le Christ ouvre le chemin de l’amour mutuel

« Le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour », dit Paul. Le plein accomplissement… Jésus, sur la croix, a dit dans son dernier souffle : « Tout est accompli ». L’amour de Dieu trouve là son accomplissement : Jésus meurt pour le salut du monde.
Sur le Golgotha, le ciel et la terre se rencontrent : le désir de Dieu et le désir de l’homme se rejoignent dans le dernier acte de la vie terrestre du Christ, avant sa résurrection. Condamné comme un brigand, le Crucifié meurt en prenant sur lui le péché du monde.
Mais l’aube de Pâques va tout changer : le péché est mis au tombeau avec Jésus pour être transformé. Le Christ ouvre pour ses amis le chemin de l’amour mutuel. Oui, le monde nouveau est possible lorsque nous devenons réellement frères et sœurs.

De fait, nous nous sentons comme des apprentis sur ce chemin. Aimer tout le monde, c’est possible ? Ce mouvement intègre, d’abord, l’amour de Dieu pour le monde. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique », écrit saint Jean. Il y a aussi l’amour de l’autre, des autres. Ce n’est pas toujours facile, nous le savons.
Saint Paul lui consacre une des plus belles pages, dans la première Lettre aux Corinthiens : « J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante… » « L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ».

En matière d’amour, on peut se sentir en apprentissage permanent

En matière d’amour de Dieu et du prochain, on peut se sentir en apprentissage permanent, même à 80 ans. C’est un chemin exigeant, mais c’est un chemin de plénitude, un chemin de joie. Car Dieu nous a aimés le premier.
Jésus, vrai fils d’Israël, a partagé la longue histoire du peuple « à la nuque raide », fidèle à la Loi de Yahvé. Les dix commandements et les prescriptions du Deutéronome sont venus renforcer cette fidélité. Mais Jésus vient accomplir la loi juive, lui donner une dimension supplémentaire.

L’Apôtre Paul, un érudit et un juif fervent, a été foudroyé par le Christ sur le chemin de Damas. Et la figure de Paul, capitale pour les débuts du christianisme, illustre bien ce passage entre l’ancienne et la nouvelle alliance. Ce que le prophète Jérémie avait annoncé – « Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leurs cœurs » – Jésus vient le confirmer. Dieu nous donne l’Esprit saint. Et cet Esprit est, en personne, la loi nouvelle gravée dans nos cœurs.

Demander l’Esprit : il vient répandre l’amour de Dieu dans nos coeurs

Alors n’hésitons pas à le demander, cet Esprit qui vient répandre l’amour de Dieu dans nos cœurs. Et vivons-en. C’est vrai, nous nous sentons souvent démunis. Mais Dieu est plus grand que notre cœur. Nous sommes des apprenants, mais nous avons un excellent maître d’apprentissage, l’Esprit envoyé par Jésus.

Ouvrons nos cœurs imparfaits à l’amour de celui qui les élargit. « La loi de Dieu est parfaite, qui redonne vie », dit le psalmiste. Et cette grâce, nous la demandons entre autres dans l’eucharistie. A l’offertoire, avant que le prêtre ne présente à Dieu le vin, fruit de la terre et du travail humain, le prêtre ou le diacre prononce cette invocation : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de Celui qui a pris notre humanité ». Nous demandons d’être unis à la divinité de Jésus, qui a pris notre chair.

Quelle audace que cette demande : elle rejoint pourtant le cadeau que nous fait le Christ de vivre unis à lui et à son Père. Notre seule dette, l’amour mutuel, peut se vivre quand elle s’enracine en Dieu. « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ».

Amen.

23e Dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Ezékiel 33, 7-9; Psaume 94; Romains 13, 8-10; Matthieu 18, 15-20

Homélie du 3 septembre 2023 (Mt 16, 21-27)

Chanoine Roland Jaquenoud – Abbaye de Saint-Maurice (VS)

« Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »

Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui a poussé Jésus à repousser saint Pierre avec une telle violence ?

Pourtant, tout avait bien commencé. Nous l’avons entendu dimanche dernier : jusque là, Pierre avait tout juste. A Jésus qui demandait ce qu’on disait de lui, les disciples avaient répondu : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. ». Quant à Pierre, lui, il avait donné avec enthousiasme la bonne réponse : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Quelle extraordinaire profession de foi. Si extraordinaire que Jésus s’était à son tour enthousiasmé. « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » Or voilà que maintenant, quelque seconde plus tard, celui qui a été choisi pour être la pierre angulaire de l’Église est tout à coup devenu Satan. Celui qui s’était entendu dire par Jésus « ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » est devenu pour Jésus une « occasion de chute » dont les pensées ne sont plus du tout celles de Dieu.

Que s’est-il passé ?

Eh bien il s’est passé que le grand saint Pierre, l’homme de foi par excellence, celui qu’a eu tout juste, n’a pas pu admettre la suite de l’enseignement de Jésus : la révélation de ses souffrances, de sa mort et de sa résurrection : « À partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. »

Cette révélation-là, Pierre n’a pas pu l’admettre. Il s’y est opposé de toute sa force. Comme le dit l’Évangile, après l’avoir pris à l’écart, il fit à Jésus «de vifs reproches ».  Proclamer Jésus : Christ, Fils de Dieu, ça oui, Pierre l’a fait, et de tout son cœur. Mais entendre ce même Jésus parler de sa descente jusqu’au fond de la misère humaine, et que c’est cette voie là, et pas une autre, qui est chemin vers la résurrection – c’est-à-dire la vraie vie –, ça, non ! c’est impossible, inaudible, inadmissible. Et voilà notre Simon, pierre angulaire de l’Église, devenu tout à coup Satan. Le reproche de Jésus est terrible. Refuser l’annonce de la mort et de la résurrection du Seigneur annule la foi, anéantit même une inspiration divine, transforme l’homme de foi en diable.

C’est terrible, vraiment. Mais pourquoi cela ? Est-ce qu’une remarque, même intempestive et mal placée, mérite une telle accusation ?

Et si Pierre, qui, lorsqu’il professait Jésus – Christ et Fils de Dieu, était le symbole de la foi de l’Église, était devenu, en refusant la croix, le symbole de ses pires manquements ?

La seule voie proposée par Jésus : prendre sa croix et le suivre

L’histoire de saint Pierre nous avertit qu’on peut avoir tout juste dans la proclamation de la foi, être d’une orthodoxie parfaite, et en même temps être complètement à côté du sens de la foi, de ses implications dans la vie réelle. Pierre a proclamé la foi au Christ Fils de Dieu qu’il a reçue du Père Lui-même. Du coup, il a cru que du haut de son autorité de Pierre nouvellement acquise, il pouvait contester le cœur du message de Jésus, la conséquence même de la foi : la Croix, l’amour jusqu’à la perte de soi-même, le don total de soi. Et pourtant, c’est là la seule voie par laquelle Jésus a choisi de sauver le monde. Et c’est aussi la seule voie qu’il propose à ses disciples :

« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. »

C’est cela le sens profond de la foi : l’amour fou signifié par la croix, source de vie et de résurrection. En le refusant, Pierre s’est transformé en Satan, en occasion de chute pour Jésus lui-même. Chers frères et sœurs, chaque fois que l’Église – c’est-à-dire nous – oublie le chemin de la croix, chaque fois qu’elle veut prendre le pouvoir sur la révélation, faire de Jésus sa chose, elle devint occasion de chute, elle devient Satan. Seul le chemin de la charité parfaite la fait devenir instrument du salut, c’est-à-dire de la rencontre de chacun avec Dieu. Amen

22e Dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Jérémie 20, 7-9; Psaume 62; Romains 12, 1-2; Matthieu 16, 21-27

Homélie du 27 août 2023 (Mt 16, 13-20)

Mgr Charles Morerod, évêque – Eglise Saint-Joseph, Lausanne

Nous entendons dans la première lecture quelque chose qui en fait arrive assez souvent dans l’Ancien Testament, à savoir, Dieu dit  à un gouverneur, tu n’as pas bien fait ton travail, je vais te remplacer. Et d’une manière ou d’une autre, cela se produit ainsi régulièrement. Dans quel contexte ? Dieu fait alliance avec son peuple, en l’occurrence le peuple hébreu, et il lui dit, je veux que nous soyons ensemble. Je veux que nous soyons ensemble, cela implique la part de Dieu et la part humaine.

Or, par moments les choses se passent plutôt bien, mais pas toujours, et quand il y a un problème, cela est dû à la part humaine, car Dieu est fidèle et il est capable de faire ce qu’il a promis, mais pas nous.

Et on voit que même avec les bergers du peuple que Dieu apprécie le plus, comme Moïse ou David, ce n’est pas parfait. Et d’ailleurs, il dit aux deux, tu ne vas pas achever toi-même ce que tu as commencé.

Exemple, à Moïse : tu n’entreras pas dans la terre promise, ou à David : c’est ton fils qui me construira un temple.

En fait, ce n’est jamais parfait de notre côté. Mais alors, comment est-ce que Dieu réagit à cela ?  Est-ce qu’il se lasse ? Parce que s’il se lasse, si j’ose dire, il risque de se lasser aussi de nous. Il ne se lasse pas.

Dieu dit : je vais prendre moi-même soin de mon peuple

Dieu dit à son peuple, ce n’est pas la lecture que nous avons entendue aujourd’hui, mais dans un texte d’Ézéchiel, qui reprend bien cette question, il dit : puisque mes bergers ne sont pas à la hauteur, puisqu’ils ne sont pas fidèles, et bien qu’est-ce que je vais faire ? Je vais prendre moi-même soin de mon peuple.

Alors, est-ce que cela signifie qu’il élimine toute part humaine pour désormais faire tout tout seul ? Parce que quand même, ce n’est pas entièrement ça l’idée de l’Alliance.

L’Alliance, ce n’est pas Dieu avec Dieu, c’est Dieu avec nous.

Dieu se fait homme

Eh bien, il n’élimine pas tout, mais il fait quelque chose de très étonnant, quelque chose que nous n’aurions pas imaginé. Et d’ailleurs, saint Paul nous le décrit aujourd’hui d’une manière assez frappante. Saint Paul dit bien quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la connaissance de Dieu ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? Eh bien, en fait, nous n’aurions pas pu imaginer ce que Dieu fait, nous n’aurions pas pu imaginer la manière dont il allait agir vis-à-vis de nous. Pour prendre soin lui-même de son peuple, sans éliminer la part humaine, il se fait homme.

Et ainsi, celui qui va être le berger de son peuple, ce n’est pas un homme imparfait comme cela a toujours été le cas, ce n’est pas non plus Dieu seul, c’est Dieu fait homme. Alors ça, on ne l’aurait pas imaginé. Il y a en lui les deux, l’humanité fidèle, car le Fils de Dieu fait homme est fidèle à Dieu, et Dieu, ça on ne l’aurait pas imaginé.

Mais, est-ce qu’il n’y a pas un léger paradoxe ?

On entend dans l’évangile d’aujourd’hui que Dieu dit à Pierre qu’il va être le pasteur de son peuple, puisque Pierre a su reconnaître qui était le Christ, il lui dit « puisque tu sais qui je suis, c’est toi qui seras le pasteur de mon peuple ».

Bien, mais en fait, il reste que c’est encore un homme qui n’est pas Dieu, Pierre, et ses successeurs, si j’ose dire le successeur de Pierre, le pape, n’est pas Dieu. Alors est-ce qu’on ne retombe pas dans le même problème qu’auparavant ? Et plus encore, si Jésus dit à ce moment-là « ne dites pas qui je suis », là, il y a un certain paradoxe, il vient prendre les choses en main lui-même, et en les confiant en même temps à un homme, pas seul bien sûr, à travers lui aussi, d’une certaine manière à tout son peuple, et puis en même temps il dit « mais ne dites pas qui je suis ».
Alors ne dites pas qui je suis, ce n’est qu’un paradoxe partiel, parce que c’est provisoire, ce n’est pas encore le moment de le dire, mais le moment venu, et notamment après la Résurrection et la Pentecôte, il faudra bien proclamer qui est le Seigneur.

Mais il reste qu’il a vu que nous sommes toujours imparfaits, et ce n’est pas qu’une question de l’Ancien Testament, c’est l’être humain, même avec la grâce, qui n’est pas à la hauteur de Dieu. Et Dieu ne nous abandonne pas pour se contenter d’être lui-même à sa propre hauteur, il nous dit « je veux quand même faire quelque chose avec vous ». Mais pour que cela soit possible, il faut reconnaître qui il est, pour les gens qui suivent.

On peut reconnaître qui est Jésus sans l’aimer

Alors si on pense simplement que Jésus est un homme religieux particulièrement remarquable, on n’a pas saisi qui il est, Dieu fait homme venu s’occuper lui-même de son peuple. Il faut que Pierre le proclame, c’est là la nouveauté, et que nous le suivions, mais cela ne suffit pas encore, comment pouvons-nous être avec lui ?

On peut compléter la profession de foi de Pierre dans cet évangile, parce qu’elle arrive plus tard, pour qu’on soit sûr qu’il est avec Jésus. Jésus ne lui demande pas simplement « qui suis-je ?», parce qu’on peut reconnaître qui est Jésus sans l’aimer.

Vous voyez, dans l’évangile, par moments, qui sont les premiers à dire qui est Jésus, les démons. Nous savons bien qui tu es, mais ne viens pas nous déranger. Alors la profession de foi de Pierre, toute seule, ne serait pas suffisante.

 Ce que Jésus dit à Pierre plus tard dans l’évangile, c’est
– « m’aimes-tu ?
– Tu sais bien que je t’aime,
– M’aimes-tu vraiment, m’aimes-tu plus que ceci ?
– Tu sais bien que je t’aime. »

Eh bien, pour que Pierre et ses successeurs, et nous aussi, puissions être des témoins du Christ, il faut reconnaître qui il est, et ça, on ne va pas le deviner. Ce n’est pas la chair et le sang qui nous permettent de le savoir, il faut l’aide de Dieu. Mais ça ne suffit pas. On peut dire qui il est et ne pas l’aimer. Si on ne l’aime pas, alors on n’est pas le peuple de Dieu. Si les pasteurs, Pierre et ses successeurs, et d’autres, reconnaissent qui est le Seigneur, mais ne l’aiment pas, alors on retombe dans le vieux problème.

Sans doute, faut-il parfois que Dieu change ses pasteurs, et l’histoire s’en occupe. Mais prions pour les successeurs de Pierre, prions pour le Pape, et en même temps prions, si j’ose dire, pour tous nos pasteurs, et prions pour nous-mêmes, car qui témoigne du Christ ? C’est l’ensemble du peuple de Dieu, uni dans la foi par le ministère de Pierre et de ses successeurs. Demandons que nous puissions reconnaître qui il est, pas seulement un homme religieux inspiré. Dieu fait homme, Dieu fait homme qui vient s’occuper de son peuple. Montrons-le par toute notre vie, et nous pouvons le faire seulement si nous l’aimons. Voilà notre vocation.

Et en même temps, souvenons-nous de quelque chose. On voit dans l’Ancien Testament qu’il faut régulièrement changer les pasteurs. Est-ce que désormais nous avons passé cette étape ? Parce que le Fils de Dieu est là lui-même. Nous avons quelque chose à apprendre de la manière dont le peuple juif regarde Dieu. Nous avons pas mal de choses à apprendre, tout l’Ancien Testament, mais entre autres voyez le débat entre des rabbins. Est-ce que par moments ils tombent d’accord ? Pas vraiment, ils ne peuvent pas tomber d’accord parce que s’ils disaient maintenant on a trouvé et nous sommes d’accord, cela rabaisserait Dieu. Donc dans leur perspective, continuer à débattre signifie on n’a jamais complètement compris Dieu. Et si on pense qu’on l’a complètement compris, alors on le méprise. Il y a là peut-être un risque pour nous.

Reconnaître que Dieu est présent, l’aimer

En croyant désormais que Dieu s’est manifesté à nous, qu’il s’est fait homme, nous pourrions dire nous avons passé par-delà l’étape d’une certaine inconnaissance. Oui, mais il reste quand même que si à un moment donné nous pensons avoir suffisamment et complètement compris Dieu, même parce qu’il s’est fait homme, alors nous ne lui sommes pas fidèles, nous ne pouvons pas témoigner de lui.

Demandons au Seigneur en même temps de nous faire grandir dans la foi, de nous aider à le reconnaître présent, lui qui vient s’occuper de son peuple lui-même, et à ne pas tomber dans une forme de mépris qui viendrait de la familiarité, en croyant que nous sommes suffisamment ses disciples. Nous ne le sommes jamais suffisamment.

Seigneur, aide-nous à être témoins, tes témoins, aide-nous à croire en toi ! Et si parfois il ne faut pas dire trop vite qui il est, ce n’est pas seulement parce que dans l’Évangile c’est trop tôt, c’est aussi parce que nous risquons de le dire trop mal. Qu’il nous aide à le dire et à le manifester en vérité. Amen

21e Dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Isaïe 22, 19-23 ; Psaume 137 ; Romains 11, 33-36 ; Matthieu 16, 13-20