Homélie du 17 décembre 2023 (Jn 1, 6-8, 19-28)

Père Jean-Marie Lussi – Abbaye d’Hauterive, Posieux

Dieu absent ? Peut-être au ras de l’histoire des hommes dans l’immédiat de notre existence. Mais il vient et il est même tout proche, nous disent les textes d’aujourd’hui. La fête de Noël commence à être proche. Nous pouvons en ce dimanche nous laisser aller à la joie que promet l’annonce d’une « Bonne Nouvelle ».

Nous laisser aller à la joie

La première lecture nous offre le texte que Jésus, au début de son ministère, s’appropriera dans la synagogue de Nazareth. Il reprend pour le messie qu’il annonce, la métaphore des noces. D’où cette joie qui éclate devant la promesse du salut pour les pauvres, les cœurs brisés, les prisonniers tous les déshérités et les souffrants de la terre.

Cette joie est relancée par Paul dans la deuxième lecture du moins pour tous ceux qui n’éteindront pas l’Esprit.

La joie de Jean le Baptiste est sans doute plus retenue et même probablement un peu douloureuse, mais il n’hésite pas en tout cas à proclamer la présence au milieu de ses auditeurs de « celui que vous ne connaissez pas ». En fait, lui-même le connaît-il exactement ? Ce n’est pas certain, puisque du fond de sa prison il enverra ses disciples l’interroger : »Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Mais Jean est tout entier donné à cette œuvre de préparation que nous évoquions dimanche dernier et c’est là sa joie que personne ne pourrait lui ravir.

Il est frappant de constater que la liturgie chrétienne à prévu, au cours des deux grandes périodes de pénitence de l’année, un dimanche de la joie : c’est le 3e dimanche de l’Avent et le quatrième du Carême.

Jadis toujours et dans notre communauté aujourd’hui encore, les sacristies recevaient une chasuble spéciale, de couleur rose, que le célébrant ne doit porter que deux fois l’an, en ces occasions. C’est peut-être un peu du gaspillage et c’est sans doute pas du meilleur goût, mais le fait est intéressant : il dit que même au sein de l’effort de conversion, même au cœur de la contrition de ses péchés, le disciple du Christ est un homme heureux.

La joie naît de l’expérience du Salut

De quoi peut naître une telle joie sinon de l’expérience du Salut ? Je dis bien : l’expérience et non pas seulement une croyance ou un savoir. La joie véritable, durable ne peut naître que du plus profond de l’être, la où un jour, une Présence s’est fait reconnaître, une rencontre s’est produite, là où est née une amitié, la où s’est nouée une Alliance. Ensuite sont venues des jours de grisaille des nuits même, des traversées de désert dans l’aridité et la solitude. Mais au fond de l’être cette expérience fondatrice de la foi si elle a eu lieu vraiment, ne s’efface plus. Elle demeure vivace sous les sables ou les herbes folles de notre vie, elle demeure vivace et puissante, source toujours prête à jaillir pour désaltérer nos peurs et rafraîchir nos angoisses, pour adoucir nos déceptions. Dieu est déjà venu. On peut croire alors, sans se forcer, qu’il reviendra.

Faire désert en nous pour entrer dans un mystère

Dans sa simplicité, Jean le Baptiste, sans pour autant s’écraser, se nier, nous convie à faire désert en nous pour entrer dans un mystère qui nous dépasse : celui du Fils de Dieu, Jésus Christ. Entrer dans un tel mystère, ce n’est pas réaliser un idéal, encore moins se désoler d’être dans l’ordre de l’incompréhensible.

Entrer dans un mystère c’est simplement se mettre en marche pour commencer à essayer de comprendre. C’est sans doute la raison pour laquelle Jean-Baptiste nous dit : »Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas (Jn 1,26) ».
Il ne crie rien de plus. Jean Baptiste ne dit rien de lui mais tout de Dieu en ne disant rien si ce n’est qu’il est au milieu de nous. Quel paradoxe ? Et c’est de cette manière que nous sommes invités à entrer dans le mystère de Noël.

3e Dimanche de l’Avent
Lectures bibliques : Isaïe 61, 1…11 ; Cantique Luc 1, 46… 54; 1 Thessaloniciens 5, 16-24 ; Jean 1, 6-8, 19-28

Homélie du 10 décembre 2023 (Mc 1, 1-8)

Père Henri-Marie Couette – Abbaye d’Hauterive, Posieux

« Commencement de l’évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu » : tels sont les mots que nous venons d’entendre ! Tout commencement recèle quelque chose de solennel, d’une nouveauté qui interpelle et qui provoque ! D’autant plus quand il s’agit d’une annonce au sujet du Fils de Dieu Lui-même ! Tout commencement suggère l’idée d’une mise en route nécessitant une préparation : « Préparez le chemin du Seigneur », s’exclame Jean le Baptiste. Sa voix forte qui nous exhorte ce matin avec vigueur est celle du prophète, celle de ce précurseur unique – c’est-à-dire de celui qui prend les devants pour ouvrir la voie à un nouveau commencement précisément.

Appel à vivre « dans la sainteté et la piété »


Et qu’annonce-t-il ? « Un baptême de conversion pour le pardon des péchés » : baptême, signe par excellence d’une décision pour une vie nouvelle, signe d’un changement radical d’orientation ! Signe d’un nouveau commencement comme appel à vivre désormais « dans la sainteté et la piété », pour reprendre les mots de saint Pierre (2e lecture). Tout débute en effet avec la reconnaissance humble et sans concession de notre propre péché. Car il n’y a pas de commencement possible, et donc d’ouverture à une vie nouvelle, sans ce préalable – certes exigeant, mais ô combien nécessaire et libérant !

Apprendre à nous libérer de tout encombrement

De fait, comment prétendre accueillir Celui qui est annoncé à notre porte sans préparer d’abord notre cœur avec lucidité et droiture ? Avec grand réalisme, la liturgie de ce 2e dimanche de l’Avent a commencé par une prière dans laquelle nous avons demandé que notre marche ne soit pas entravée « par le souci de nos tâches présentes. » Combien d’entraves, en effet, jalonnent ce chemin des commencements ! En partant des préoccupations liées à la préparation des fêtes prochaines et en passant par les multiples prétendues urgences que nous entendons nous inventer au fil de nos journées. Mais quel sens donner à tant d’agitation futile si cela ne nous conduit pas à faire la place qui Lui revient à Celui qui se fait pauvre pour nous apprendre à nous libérer de tout encombrement ? Pour citer les mots de la prière finale de cette messe, exerçons-nous à « évaluer avec sagesse les réalités de ce monde » qui passe, pour choisir Celui qui est éternel et qui vient nous rencontrer dans le temps.

Un chemin lumineux de nouveaux commencements

Aujourd’hui, il nous incombe de comprendre que l’unique urgence qui vaille la peine est de nous préparer à L’accueillir, Lui qui seul est capable de remettre notre cœur à l’endroit pour l’ouvrir à Sa liberté, à Sa paix et Son infinie tendresse ! Oui, que Celui qui baptise « dans l’Esprit Saint » nous porte et nous affermisse sur ce chemin lumineux des nouveaux commencements ! Alors, selon l’heureuse formule de saint Grégoire de Nysse, « nous ne nous arrêterons jamais d’aller de commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin. »

2e Dimanche de l’Avent
Lectures bibliques : Isaïe 40, 1-11 ; Psaume 84 ; 2 Pierre 3,8-14 ; Marc 1, 1-8

Homélie du 3 décembre 2023 (Mc 13, 33-37)

Frère Marc de Pothuau – Abbaye d’Hauterive, Posieux

Prenez garde, restez éveillés !
Débuter cette année liturgique nous donne l’occasion de penser notre rapport au temps : passé, futur et présent. Le passé avec Isaïe et son attente d’un avènement ; le futur avec Paul et son attente d’un achèvement, et le présent avec un Jésus insistant : veillez ! Oui, soyons attentifs car nous traitons le temps comme nous traitons Dieu. Notre relation au mystère de Dieu se joue concrètement dans notre manière de vivre le temps. On croit en lui sous condition : qu’il se laisse emprisonner dans nos agendas. On cherche à le posséder, on fait tout pour en gagner et on craint d’en perdre. L’oisif, lui, ne craint pas de tuer le temps alors que la liturgie nous apprend à le célébrer, accueillir le jour du Seigneur, chanter sa troisième, sa sixième et sa neuvième heure.

Se réconcilier avec le temps, don de Dieu

Quand donc nous réconcilierons-nous avec le temps, ce don de Dieu, ce Dieu en don ?
Vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, dit Jésus. Celui-ci a donné tout pouvoir à ses serviteurs mais il a caché ce savoir ! Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. Notre rapport au temps est d’abord une ignorance. Le temps est un inconnu car en fait c’est Dieu qui nous aborde dans son mystère. C’est pourquoi nous ne pouvons pas planifier nos vies. Jésus lui-même ne maîtrisait pas son agenda, il vivait tendu vers son heure, sa Pâque, et celle-ci s’ouvre précisément au verset qui suit notre évangile. Jésus ne veut pas nous voir stressés par un calendrier au point de nous rendre insomniaques. Il nous invite plutôt à vivre au contact du Père qui nous crée, vivre le présent de sa création.

Triple sens du temps


Car le temps auquel il faut faire attention, le seul qui est à vivre, c’est le présent. Souvent écrasé entre le poids du passé et la peur du futur, le présent est si facilement oublié. Or le présent signifie trois choses distinctes : l’instant présent, ce « maintenant » que nous partageons avec toute l’humanité ; le présent, c’est aussi le cadeau, ce qui est offert ; le présent enfin désigne une personne présente, physiquement, par la radiophonie ou spirituellement. Le plus présent ici, c’est Dieu ! Le seul qui le soit totalement, le grand oublié ! Veiller, c’est vivre le présent dans son triple sens. Vivre l’instant présent comme un cadeau – – une grâce pour reprendre le mot que répète saint Paul aux Corinthiens –, l’instant comme l’absolue gratuité qui me relie à toute la création qui la partage avec moi, et plus encore à celui qui me donne ce présent parce qu’il est là, mon créateur. Le présent c’est Dieu, discrète gratuité de la présence créatrice. Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes, déclare Isaïe, nous sommes tous l’ouvrage de ta main.

Dieu semble se retirer pour me créer



Ne négligeons pas cependant cette petite insertion que Jésus place souvent dans ses paraboles. Le maître est parti en voyage. Où donc est-il allé ? Est-il parti ou bien présent, comme je viens de le souligner ? Dieu créateur est bien toujours présent. L’instant est son action, l’acte de sa création, mais en me créant, il se cache. Dieu semble se retirer pour me créer. Comme si l’Éternel me laissait la place en se cachant dans l’instant qu’il me donne. Comme parti en voyage,… où donc ? Au pays de mon éveil, au cœur de ma liberté créatrice et de mon inventive générosité. Dans sa discrétion, Dieu me crée pour m’attendre au pays de la délicate attention.

Quand Jésus nous dit prenez garde, restez éveillés. Il nous demande une présence attentive, attentionnée. Veillez, faites attention, tendu dans l’attente de cette présence. Mais donc, pas comme s’il fallait faire attention à un danger, être sous tension, stressé. Attendre l’Éternel, c’est être attendri par son humble patience et sa générosité discrète. C’est sortir de l’habitude, s’étonner d’exister, entrer dans l’intensité de l’éveil, s’émouvoir soudain dans la conscience que Dieu veille, voir se déchirer les cieux, comme mes pensées embrumées, et Dieu descendre en ma chair, au travers de ma propre attention, percevoir Jésus, le visage souriant de chaque instant.

1er Dimanche de l’Avent
Lectures bibliques : Isaïe 63, 6b-17.19b ; 64, 2b-7 ; Psaume 79; 1 Corinthiens 1, 3-9; Marc 13, 33-37