Homélie du 10 septembre 2023 (Mt 18, 15-20)

Bernard Litzler, diacre – Eglise du Saint-Esprit, Lausanne

Frères et sœurs,

On dit toujours qu’en Suisse il vaut mieux avoir des dettes. Car on peut déduire les intérêts de la dette de sa déclaration de revenus. Assurément saint Paul aurait été un mauvais Suisse, car il dit aux Romains : « N’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel ». La seule dette à régler en régime chrétien, c’est celle de l’amour les uns pour les autres.
De fait, Paul, bon connaisseur de la loi juive, en rappelle certains principes : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas commettre d’adultère. Mais il rappelle aussi ce qu’il a reçu du Christ : tout se résume dans le commandement de l’amour du prochain.

Le Christ ouvre le chemin de l’amour mutuel

« Le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour », dit Paul. Le plein accomplissement… Jésus, sur la croix, a dit dans son dernier souffle : « Tout est accompli ». L’amour de Dieu trouve là son accomplissement : Jésus meurt pour le salut du monde.
Sur le Golgotha, le ciel et la terre se rencontrent : le désir de Dieu et le désir de l’homme se rejoignent dans le dernier acte de la vie terrestre du Christ, avant sa résurrection. Condamné comme un brigand, le Crucifié meurt en prenant sur lui le péché du monde.
Mais l’aube de Pâques va tout changer : le péché est mis au tombeau avec Jésus pour être transformé. Le Christ ouvre pour ses amis le chemin de l’amour mutuel. Oui, le monde nouveau est possible lorsque nous devenons réellement frères et sœurs.

De fait, nous nous sentons comme des apprentis sur ce chemin. Aimer tout le monde, c’est possible ? Ce mouvement intègre, d’abord, l’amour de Dieu pour le monde. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique », écrit saint Jean. Il y a aussi l’amour de l’autre, des autres. Ce n’est pas toujours facile, nous le savons.
Saint Paul lui consacre une des plus belles pages, dans la première Lettre aux Corinthiens : « J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante… » « L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ».

En matière d’amour, on peut se sentir en apprentissage permanent

En matière d’amour de Dieu et du prochain, on peut se sentir en apprentissage permanent, même à 80 ans. C’est un chemin exigeant, mais c’est un chemin de plénitude, un chemin de joie. Car Dieu nous a aimés le premier.
Jésus, vrai fils d’Israël, a partagé la longue histoire du peuple « à la nuque raide », fidèle à la Loi de Yahvé. Les dix commandements et les prescriptions du Deutéronome sont venus renforcer cette fidélité. Mais Jésus vient accomplir la loi juive, lui donner une dimension supplémentaire.

L’Apôtre Paul, un érudit et un juif fervent, a été foudroyé par le Christ sur le chemin de Damas. Et la figure de Paul, capitale pour les débuts du christianisme, illustre bien ce passage entre l’ancienne et la nouvelle alliance. Ce que le prophète Jérémie avait annoncé – « Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leurs cœurs » – Jésus vient le confirmer. Dieu nous donne l’Esprit saint. Et cet Esprit est, en personne, la loi nouvelle gravée dans nos cœurs.

Demander l’Esprit : il vient répandre l’amour de Dieu dans nos coeurs

Alors n’hésitons pas à le demander, cet Esprit qui vient répandre l’amour de Dieu dans nos cœurs. Et vivons-en. C’est vrai, nous nous sentons souvent démunis. Mais Dieu est plus grand que notre cœur. Nous sommes des apprenants, mais nous avons un excellent maître d’apprentissage, l’Esprit envoyé par Jésus.

Ouvrons nos cœurs imparfaits à l’amour de celui qui les élargit. « La loi de Dieu est parfaite, qui redonne vie », dit le psalmiste. Et cette grâce, nous la demandons entre autres dans l’eucharistie. A l’offertoire, avant que le prêtre ne présente à Dieu le vin, fruit de la terre et du travail humain, le prêtre ou le diacre prononce cette invocation : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de Celui qui a pris notre humanité ». Nous demandons d’être unis à la divinité de Jésus, qui a pris notre chair.

Quelle audace que cette demande : elle rejoint pourtant le cadeau que nous fait le Christ de vivre unis à lui et à son Père. Notre seule dette, l’amour mutuel, peut se vivre quand elle s’enracine en Dieu. « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ».

Amen.

23e Dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Ezékiel 33, 7-9; Psaume 94; Romains 13, 8-10; Matthieu 18, 15-20

Homélie du 3 septembre 2023 (Mt 16, 21-27)

Chanoine Roland Jaquenoud – Abbaye de Saint-Maurice (VS)

« Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »

Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui a poussé Jésus à repousser saint Pierre avec une telle violence ?

Pourtant, tout avait bien commencé. Nous l’avons entendu dimanche dernier : jusque là, Pierre avait tout juste. A Jésus qui demandait ce qu’on disait de lui, les disciples avaient répondu : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. ». Quant à Pierre, lui, il avait donné avec enthousiasme la bonne réponse : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Quelle extraordinaire profession de foi. Si extraordinaire que Jésus s’était à son tour enthousiasmé. « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » Or voilà que maintenant, quelque seconde plus tard, celui qui a été choisi pour être la pierre angulaire de l’Église est tout à coup devenu Satan. Celui qui s’était entendu dire par Jésus « ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » est devenu pour Jésus une « occasion de chute » dont les pensées ne sont plus du tout celles de Dieu.

Que s’est-il passé ?

Eh bien il s’est passé que le grand saint Pierre, l’homme de foi par excellence, celui qu’a eu tout juste, n’a pas pu admettre la suite de l’enseignement de Jésus : la révélation de ses souffrances, de sa mort et de sa résurrection : « À partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. »

Cette révélation-là, Pierre n’a pas pu l’admettre. Il s’y est opposé de toute sa force. Comme le dit l’Évangile, après l’avoir pris à l’écart, il fit à Jésus «de vifs reproches ».  Proclamer Jésus : Christ, Fils de Dieu, ça oui, Pierre l’a fait, et de tout son cœur. Mais entendre ce même Jésus parler de sa descente jusqu’au fond de la misère humaine, et que c’est cette voie là, et pas une autre, qui est chemin vers la résurrection – c’est-à-dire la vraie vie –, ça, non ! c’est impossible, inaudible, inadmissible. Et voilà notre Simon, pierre angulaire de l’Église, devenu tout à coup Satan. Le reproche de Jésus est terrible. Refuser l’annonce de la mort et de la résurrection du Seigneur annule la foi, anéantit même une inspiration divine, transforme l’homme de foi en diable.

C’est terrible, vraiment. Mais pourquoi cela ? Est-ce qu’une remarque, même intempestive et mal placée, mérite une telle accusation ?

Et si Pierre, qui, lorsqu’il professait Jésus – Christ et Fils de Dieu, était le symbole de la foi de l’Église, était devenu, en refusant la croix, le symbole de ses pires manquements ?

La seule voie proposée par Jésus : prendre sa croix et le suivre

L’histoire de saint Pierre nous avertit qu’on peut avoir tout juste dans la proclamation de la foi, être d’une orthodoxie parfaite, et en même temps être complètement à côté du sens de la foi, de ses implications dans la vie réelle. Pierre a proclamé la foi au Christ Fils de Dieu qu’il a reçue du Père Lui-même. Du coup, il a cru que du haut de son autorité de Pierre nouvellement acquise, il pouvait contester le cœur du message de Jésus, la conséquence même de la foi : la Croix, l’amour jusqu’à la perte de soi-même, le don total de soi. Et pourtant, c’est là la seule voie par laquelle Jésus a choisi de sauver le monde. Et c’est aussi la seule voie qu’il propose à ses disciples :

« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. »

C’est cela le sens profond de la foi : l’amour fou signifié par la croix, source de vie et de résurrection. En le refusant, Pierre s’est transformé en Satan, en occasion de chute pour Jésus lui-même. Chers frères et sœurs, chaque fois que l’Église – c’est-à-dire nous – oublie le chemin de la croix, chaque fois qu’elle veut prendre le pouvoir sur la révélation, faire de Jésus sa chose, elle devint occasion de chute, elle devient Satan. Seul le chemin de la charité parfaite la fait devenir instrument du salut, c’est-à-dire de la rencontre de chacun avec Dieu. Amen

22e Dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Jérémie 20, 7-9; Psaume 62; Romains 12, 1-2; Matthieu 16, 21-27

Homélie du 27 août 2023 (Mt 16, 13-20)

Mgr Charles Morerod, évêque – Eglise Saint-Joseph, Lausanne

Nous entendons dans la première lecture quelque chose qui en fait arrive assez souvent dans l’Ancien Testament, à savoir, Dieu dit  à un gouverneur, tu n’as pas bien fait ton travail, je vais te remplacer. Et d’une manière ou d’une autre, cela se produit ainsi régulièrement. Dans quel contexte ? Dieu fait alliance avec son peuple, en l’occurrence le peuple hébreu, et il lui dit, je veux que nous soyons ensemble. Je veux que nous soyons ensemble, cela implique la part de Dieu et la part humaine.

Or, par moments les choses se passent plutôt bien, mais pas toujours, et quand il y a un problème, cela est dû à la part humaine, car Dieu est fidèle et il est capable de faire ce qu’il a promis, mais pas nous.

Et on voit que même avec les bergers du peuple que Dieu apprécie le plus, comme Moïse ou David, ce n’est pas parfait. Et d’ailleurs, il dit aux deux, tu ne vas pas achever toi-même ce que tu as commencé.

Exemple, à Moïse : tu n’entreras pas dans la terre promise, ou à David : c’est ton fils qui me construira un temple.

En fait, ce n’est jamais parfait de notre côté. Mais alors, comment est-ce que Dieu réagit à cela ?  Est-ce qu’il se lasse ? Parce que s’il se lasse, si j’ose dire, il risque de se lasser aussi de nous. Il ne se lasse pas.

Dieu dit : je vais prendre moi-même soin de mon peuple

Dieu dit à son peuple, ce n’est pas la lecture que nous avons entendue aujourd’hui, mais dans un texte d’Ézéchiel, qui reprend bien cette question, il dit : puisque mes bergers ne sont pas à la hauteur, puisqu’ils ne sont pas fidèles, et bien qu’est-ce que je vais faire ? Je vais prendre moi-même soin de mon peuple.

Alors, est-ce que cela signifie qu’il élimine toute part humaine pour désormais faire tout tout seul ? Parce que quand même, ce n’est pas entièrement ça l’idée de l’Alliance.

L’Alliance, ce n’est pas Dieu avec Dieu, c’est Dieu avec nous.

Dieu se fait homme

Eh bien, il n’élimine pas tout, mais il fait quelque chose de très étonnant, quelque chose que nous n’aurions pas imaginé. Et d’ailleurs, saint Paul nous le décrit aujourd’hui d’une manière assez frappante. Saint Paul dit bien quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la connaissance de Dieu ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? Eh bien, en fait, nous n’aurions pas pu imaginer ce que Dieu fait, nous n’aurions pas pu imaginer la manière dont il allait agir vis-à-vis de nous. Pour prendre soin lui-même de son peuple, sans éliminer la part humaine, il se fait homme.

Et ainsi, celui qui va être le berger de son peuple, ce n’est pas un homme imparfait comme cela a toujours été le cas, ce n’est pas non plus Dieu seul, c’est Dieu fait homme. Alors ça, on ne l’aurait pas imaginé. Il y a en lui les deux, l’humanité fidèle, car le Fils de Dieu fait homme est fidèle à Dieu, et Dieu, ça on ne l’aurait pas imaginé.

Mais, est-ce qu’il n’y a pas un léger paradoxe ?

On entend dans l’évangile d’aujourd’hui que Dieu dit à Pierre qu’il va être le pasteur de son peuple, puisque Pierre a su reconnaître qui était le Christ, il lui dit « puisque tu sais qui je suis, c’est toi qui seras le pasteur de mon peuple ».

Bien, mais en fait, il reste que c’est encore un homme qui n’est pas Dieu, Pierre, et ses successeurs, si j’ose dire le successeur de Pierre, le pape, n’est pas Dieu. Alors est-ce qu’on ne retombe pas dans le même problème qu’auparavant ? Et plus encore, si Jésus dit à ce moment-là « ne dites pas qui je suis », là, il y a un certain paradoxe, il vient prendre les choses en main lui-même, et en les confiant en même temps à un homme, pas seul bien sûr, à travers lui aussi, d’une certaine manière à tout son peuple, et puis en même temps il dit « mais ne dites pas qui je suis ».
Alors ne dites pas qui je suis, ce n’est qu’un paradoxe partiel, parce que c’est provisoire, ce n’est pas encore le moment de le dire, mais le moment venu, et notamment après la Résurrection et la Pentecôte, il faudra bien proclamer qui est le Seigneur.

Mais il reste qu’il a vu que nous sommes toujours imparfaits, et ce n’est pas qu’une question de l’Ancien Testament, c’est l’être humain, même avec la grâce, qui n’est pas à la hauteur de Dieu. Et Dieu ne nous abandonne pas pour se contenter d’être lui-même à sa propre hauteur, il nous dit « je veux quand même faire quelque chose avec vous ». Mais pour que cela soit possible, il faut reconnaître qui il est, pour les gens qui suivent.

On peut reconnaître qui est Jésus sans l’aimer

Alors si on pense simplement que Jésus est un homme religieux particulièrement remarquable, on n’a pas saisi qui il est, Dieu fait homme venu s’occuper lui-même de son peuple. Il faut que Pierre le proclame, c’est là la nouveauté, et que nous le suivions, mais cela ne suffit pas encore, comment pouvons-nous être avec lui ?

On peut compléter la profession de foi de Pierre dans cet évangile, parce qu’elle arrive plus tard, pour qu’on soit sûr qu’il est avec Jésus. Jésus ne lui demande pas simplement « qui suis-je ?», parce qu’on peut reconnaître qui est Jésus sans l’aimer.

Vous voyez, dans l’évangile, par moments, qui sont les premiers à dire qui est Jésus, les démons. Nous savons bien qui tu es, mais ne viens pas nous déranger. Alors la profession de foi de Pierre, toute seule, ne serait pas suffisante.

 Ce que Jésus dit à Pierre plus tard dans l’évangile, c’est
– « m’aimes-tu ?
– Tu sais bien que je t’aime,
– M’aimes-tu vraiment, m’aimes-tu plus que ceci ?
– Tu sais bien que je t’aime. »

Eh bien, pour que Pierre et ses successeurs, et nous aussi, puissions être des témoins du Christ, il faut reconnaître qui il est, et ça, on ne va pas le deviner. Ce n’est pas la chair et le sang qui nous permettent de le savoir, il faut l’aide de Dieu. Mais ça ne suffit pas. On peut dire qui il est et ne pas l’aimer. Si on ne l’aime pas, alors on n’est pas le peuple de Dieu. Si les pasteurs, Pierre et ses successeurs, et d’autres, reconnaissent qui est le Seigneur, mais ne l’aiment pas, alors on retombe dans le vieux problème.

Sans doute, faut-il parfois que Dieu change ses pasteurs, et l’histoire s’en occupe. Mais prions pour les successeurs de Pierre, prions pour le Pape, et en même temps prions, si j’ose dire, pour tous nos pasteurs, et prions pour nous-mêmes, car qui témoigne du Christ ? C’est l’ensemble du peuple de Dieu, uni dans la foi par le ministère de Pierre et de ses successeurs. Demandons que nous puissions reconnaître qui il est, pas seulement un homme religieux inspiré. Dieu fait homme, Dieu fait homme qui vient s’occuper de son peuple. Montrons-le par toute notre vie, et nous pouvons le faire seulement si nous l’aimons. Voilà notre vocation.

Et en même temps, souvenons-nous de quelque chose. On voit dans l’Ancien Testament qu’il faut régulièrement changer les pasteurs. Est-ce que désormais nous avons passé cette étape ? Parce que le Fils de Dieu est là lui-même. Nous avons quelque chose à apprendre de la manière dont le peuple juif regarde Dieu. Nous avons pas mal de choses à apprendre, tout l’Ancien Testament, mais entre autres voyez le débat entre des rabbins. Est-ce que par moments ils tombent d’accord ? Pas vraiment, ils ne peuvent pas tomber d’accord parce que s’ils disaient maintenant on a trouvé et nous sommes d’accord, cela rabaisserait Dieu. Donc dans leur perspective, continuer à débattre signifie on n’a jamais complètement compris Dieu. Et si on pense qu’on l’a complètement compris, alors on le méprise. Il y a là peut-être un risque pour nous.

Reconnaître que Dieu est présent, l’aimer

En croyant désormais que Dieu s’est manifesté à nous, qu’il s’est fait homme, nous pourrions dire nous avons passé par-delà l’étape d’une certaine inconnaissance. Oui, mais il reste quand même que si à un moment donné nous pensons avoir suffisamment et complètement compris Dieu, même parce qu’il s’est fait homme, alors nous ne lui sommes pas fidèles, nous ne pouvons pas témoigner de lui.

Demandons au Seigneur en même temps de nous faire grandir dans la foi, de nous aider à le reconnaître présent, lui qui vient s’occuper de son peuple lui-même, et à ne pas tomber dans une forme de mépris qui viendrait de la familiarité, en croyant que nous sommes suffisamment ses disciples. Nous ne le sommes jamais suffisamment.

Seigneur, aide-nous à être témoins, tes témoins, aide-nous à croire en toi ! Et si parfois il ne faut pas dire trop vite qui il est, ce n’est pas seulement parce que dans l’Évangile c’est trop tôt, c’est aussi parce que nous risquons de le dire trop mal. Qu’il nous aide à le dire et à le manifester en vérité. Amen

21e Dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Isaïe 22, 19-23 ; Psaume 137 ; Romains 11, 33-36 ; Matthieu 16, 13-20

Homélie du 20 août 2023 (Mt 15, 21-28)

Père André Carron – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Le Pape François, parmi les premiers textes qu’il a livrés et qu’il a désiré offrir à tous les cœurs de « bonne volonté », il y a sa belle exhortation : « La joie de l’évangile »…
Tout un programme, tout un désir !

Pour bien nous faire comprendre qu’on n’a plus à réfléchir ni à agir comme avant…
Le monde change, la communication est partout… souvent trop envahissante, toujours difficile à gérer ! La mondialisation est en route…

Notre Eglise, sans cesse, selon la belle expression biblique, « Élargit l’espace de sa tente… allonge ses cordages et affermit ses piquets ! »  (Ésaïe 54,2). Nos communautés deviennent de plus en plus internationales… Accueil, asile, partage sont devenus des réalités, des visages au quotidien…

Ecoutons donc le Pape François : « L’Eglise est la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile… » (Exhortation apostolique. Evangelii gaudium, n. 47).

Le salut de Dieu est pour tous les humains

Les textes bibliques de ce dimanche s’inscrivent dans cet « esprit » et nous annoncent encore et encore une « bonne nouvelle : Le salut de Dieu est pour tous les hommes ; il est pour tous y compris les étrangers…

Isaïe, prophète inspiré au 8ème siècle avant Jésus-Christ, l’a compris et rêve de cette « rencontre au sommet » (sur la montagne sainte !) et d’une maison qui soit « maison de prière pour tous les peuples ! »

Saint Paul, pharisien juif de Turquie, s’est laissé travailler par l’Esprit-Saint jusqu’à oser s’auto-proclamer « apôtre des nations »… Il écrit aujourd’hui aux chrétiens de Rome…

Nazareth se trouve en Galilée, Jésus est parfois désigné comme « Le Galiléen » et sa région du nord d’Israël est nommée la « Galilée des nations », vu les grands transferts de population qui ont marqué l’histoire de cette région à bonne distance de la Judée et de Jérusalem…

Saint Mathieu, dans l’évangile, nous présente un Jésus qui n’est pas chez lui… « Partant de Génésareth, il se retira dans la région de Tyr et de Sidon »… Ce n’est pas trop loin, 60 – 80 km, mais franchement à l’étranger !
Un Juif au Liban d’aujourd’hui, chez des non-juifs, des païens…
Un Jésus confronté à ces étranges étrangers… C’est là qu’il est en quelque sorte « harcelé » par les cris d’une femme qui crie sa souffrance de « perdre » sa fille… Les disciples ne comprennent rien et n’ont que le rejet à proposer !

Jésus se tait mais son coeur « écoute »

L’étrange dialogue, typiquement juif, nous laisse l’impression que cette femme fait évoluer le « cœur » de Jésus qui est touché et s’ouvre à une splendide rencontre sur un fond de profonde admiration : « Femme, ta foi est grande… que tout se passe pour toi comme tu le veux ! »
A l’heure même, sa fille fut guérie !
Et après, a-t-on envie de dire ? A chacun d’entendre et de répondre dans son cœur, dans sa vie !

Les gens qui habitent cet hospice, à l’exemple de saint Bernard, continuent d’apprendre et de pratiquer cet « esprit » d’accueil, d’écoute, de rencontre et d’admiration émerveillée… avec toujours pour chacune et chacun, pour nous aujourd’hui, les mots de Jésus qui disent si bien sa proximité et sa tendresse : « Que puis-je faire pour toi ? »
Osons dire, lui crier nos désirs, nos besoins…

Osons insister comme cette femme cananéenne de la région de Tyr et Sidon…

20e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Isaïe 56, 1-7; Psaume 66; Romains 11, 13-32; Matthieu 15, 21-28

Homélie TV du 15 août 2023 ( Lc 1,39-56)

Doyen Albert Vinel – Église Saint Joseph, Waterloo, Belgique

Chères Amies et Amis en Christ, et vous tous qui nous regardez avec bienveillance, c’est le destin surprenant d’une femme que nous fêtons aujourd’hui. Une femme bien de chez nous, avec son lot de bonheurs et de malheurs. Son adolescence et ses rêves de mariage sont bousculés par une requête divine totalement inattendue : « veux-tu concevoir et enfanter un fils, auquel tu lui donneras le nom de Jésus ? L’Esprit Saint viendra sur toi » (Luc 1, 31.35). Sa vie de maman est assombrie par les critiques entendues autour de son fils pourtant adulé par les foules : « voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs ; il a perdu la tête » (Luc 7, 34 ; Mc 3, 21). Puis surgit le malheur suprême pour une maman : la perte de son enfant, exécuté par la rigidité suffisante des uns et la jalousie des autres. Asseoir son fils mort sur ses genoux, comme l’attestent toutes les pietas du monde, asseoir son fils mort sur ses genoux rapproche Marie de nos quotidiens les plus noirs.
Sainte Marie, priez pour nous !

Mais ce destin sombre contient aussi une part de lumière. Une lumière qui en reflète une autre, bien plus éclatante. Comme la lune qui reçoit son éclat du soleil, Marie reçoit sa brillance d’un projet personnel de Dieu. Avez-vous déjà remarqué en quels termes le messager de Dieu salue la toute jeune fille à Nazareth ? L’ange Gabriel ne lui dit pas : « je te salue Myriam », mais bien : « je te salue Pleine de grâces, le Seigneur est avec toi » (Lc 1, 28). L’envoyé divin ne l’appelle pas « Marie » mais « Pleine de grâces ». Cela signifie donc que « Pleine de grâces » est le nom que Dieu donne à Marie.

Or, dans la Bible, quand Dieu change le nom de quelqu’un, le nouveau nom exprime de façon imagée la nouvelle mission que Dieu lui confie désormais. Par exemple, Abram devient Abraham : « Tu ne seras plus appelé du nom d’Abram, ton nom sera Abraham, car je fais de toi le père d’une multitude de nations » (Genèse 17, 5). Autre exemple, quand l’apôtre Simon devient Pierre : « Tu es Simon, fils de Jean, tu t’appelleras Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Jean 1, 42 ; Mt 16, 18).

Marie ne cesse de nous rapprocher de son Fils


Marie — Myriam en hébreu — devient « Pleine de grâces ». Pour quoi faire ? Quelle est sa mission aux yeux de Dieu ? Saint Bernard de Clairvaux l’explique en la comparant à un aqueduc, c’est-à-dire un canal construit pour le transport de l’eau sur de grandes distances. L’aqueduc n’est pas la source, mais il permet à l’eau de source d’atteindre des lieux fort éloignés. La source, c’est le Christ, et Marie cherche à nous mettre en contact réel avec Lui. Donnons un instant la parole à saint Bernard, le créateur du célèbre Salve Regina : Quelle est cette source de vie, si ce n’est le Seigneur Jésus ? La source a été détournée jusqu’à nous. Le filet d’eau du ciel descend par un aqueduc qui ne nous déverse pas toute l’eau de la source, mais laisse tomber la grâce, goutte à goutte, dans nos cœurs trop secs. (Sermon pour la Nativité de la Vierge Marie, 3). Hier, aujourd’hui et demain, Marie ne cessera de nous rapprocher de son fils. Comme aux noces de Cana, quand elle disait aux traiteurs : « faites tout ce qu’Il vous dira » (Jean 2, 5).
Sainte Marie, priez pour nous !

La Servante du Seigneur est aussi la servante des humains

La réponse libre et courageuse de la jeune Marie à l’Ange permet la mise en œuvre du plan divin : « Qu’il me soit fait selon Ta Parole » (Luc 1, 38). Mais ce « oui » de Marie à Dieu se double quasi instantanément par un « oui » aux autres. Apprenant la grossesse de sa vieille cousine Elisabeth, elle se met en route avec empressement vers la région montagneuse. Plus de 100 km à pied ! Pour servir. Étonnante rencontre entre deux femmes attentives à Dieu dans le concret de leur vie, l’une et l’autre ouvertes à la vie et toutes deux porteuses de vie… Oui, la « Servante du Seigneur » (Luc 1, 38) est aussi la servante des humains. Comme à Jérusalem, dans la « chambre haute », quand elle soutient le moral des apôtres et de plusieurs femmes désemparés par la mort du Maître (cf. Actes 1, 13-14)) En actes plus encore qu’en paroles, Marie témoigne que « la Miséricorde du Puissant s’étend d’âge en âge » (Luc 1, 50).
Sainte Marie, priez pour nous !

Il y a plus encore. Douloureux, lumineux, le destin de cette femme est véritablement « sur-lumineux ». Car Marie « donne chair » à une réalité dont notre monde a tant besoin aujourd’hui : l’espérance… Là encore, Marie n’est pas à l’origine de l’espérance, mais elle la fait briller. Comme la lune, qui transmet la lumière dans la nuit, sans en être l’origine. En devenant la première femme ressuscitée des morts, Marie devient un témoin crédible de l’aboutissement de nos propres chemins avec Dieu.

Fête de l’espérance


La fête de l’Assomption est bien la fête l’espérance. Car Marie inaugure le destin ouvert aux humains par la résurrection de son Fils. Elle anticipe ainsi ce qui nous attend tous, à savoir notre étroite proximité avec Dieu. Le mystère de l’Assomption dit bien sa totale proximité avec Dieu, par-delà la mort biologique. Son corps désormais glorifié lui permet de poursuivre sa mission terrestre.

Depuis dix-sept siècles, le culte liturgique rendu par le peuple chrétien à sa Mère du Ciel démontre son occupation quotidienne : intercéder pour nous. Nous, ses enfants, que Jésus lui a confiés du haut de la croix, en lui disant : « Femme, voici ton fils ».
Sainte Marie, priez pour nous, maintenant et à l’heure de notre mort ! Amen

Assomption de la Vierge Marie
Lectures bibliques :
Apocalypse 11, 19 – 12, 1-10; Psaume 44; 1 Corinthiens 15, 20-27; Luc 1, 39-56

Homélie du 13 août 2023 (Mt 14, 22-33)

Chanoine Simon Roduit, hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Dans l’oraison d’ouverture de la messe de ce dimanche, nous avons prié pour que l’Esprit-Saint nous aide à être toujours plus des enfants… de Dieu.
Comment être des enfants de Dieu ? Lors d’un camp pour familles chrétiennes au Simplon, en tant que séminariste, je devais présenter le thème « devenir comme des enfants de Dieu pour entrer dans le Royaume », et il m’était difficile de le faire en voyant ces enfants en pleine crise d’adolescence, ou se disputant entre frères et sœurs. Pourtant, Dieu nous demande d’être comme des enfants. A la veille de la reprise scolaire, voyons comment devenir des enfants de Dieu à travers les grandes étapes de l’enfance : la crise d’adolescence que vit Elie dans la première lecture, l’apprentissage de la Parole de saint Paul dans la deuxième lecture, et l’apprentissage de la marche par Pierre dans l’Evangile.

Sortir de nos cavernes – crise d’adolescence

Lorsque l’on est adolescent, une multiplicité de changements viennent affecter notre corps et notre esprit, et cela peut être difficile à gérer. C’est pourquoi les adolescents ont besoin d’être en groupes pour ne pas s’enfermer dans la solitude de leur chambre, de leur monde.

De même, dans la première lecture Elie fait sa crise d’ado. Il est le dernier prophète fidèle à Dieu dans tout Israël ; il vit de se confronter à 450 prophètes de Baal qu’il a tous tués. A présent, la reine Jézabel veut sa peau, même son serviteur l’a quitté. Il cherche à se laisser mourir à l’ombre d’un buisson. Mais voilà qu’un ange vient par deux fois le nourrir, et il lui demande de monter sur la montagne, mais Elie s’enferme dans une caverne. Alors que Dieu lui parle et lui demande de sortir de la caverne, Elie reste à l’intérieur par peur d’affronter l’ouragan, le tremblement de terre et le feu. Et ce n’est que lorsque la brise légère souffle qu’il sort et entend le message de Dieu à son égard : « Elie, n’aie pas peur, je serai avec Dieu, et par toi, j’agirai dans le peuple ; c’est moi qui ai tout créé, et donc toute la violence que tu peux percevoir dans le monde n’est pas plus forte que moi.

Et nous, sommes-nous parfois enfermés dans nos cavernes d’adolescents ? Est-ce que dans la caverne de notre solitude, nous ne disons pas parfois que personne ne nous comprend ; dans les cavernes de nos mauvaises habitudes, est-ce que nous ne désespérons pas que Dieu puisse nous changer ; dans la caverne d’une maladie, est-ce que nous ne croyons pas parfois qu’il est trop difficile pour nous de la surmonter ? C’est dans ces cavernes que la voix de Dieu vient résonner : « Sors, et tiens-toi sur la montagne, je suis avec toi »

Prendre l’accent de Dieu – apprendre à parler

Lorsqu’un enfant apprend à parler, il lui faut écouter de nombreuses années ses parents, pour se mettre à répéter peu à peu quelques paroles, pour ensuite être corrigé de nombreuses fois à chaque faute d’orthographe, et améliorer graduellement son langage. L’aisance ne viendra qu’après de nombreuses années pour parler comme ses parents.

Ainsi saint Paul dans la lecture s’attriste et ne comprend pas pourquoi le peuple juif, qui a eu l’habitude d’entendre Dieu lui parler, n’a pas réussi à reconnaître la voix de Dieu dans l’enseignement de Jésus. Il invoque sa conscience qui témoigne en lui par l’Esprit-Saint que Jésus est le messie. Mais il lui a fallu entendre la voix de Jésus sur le chemin de Damas, puis de nombreuses fois pour annoncer le Christ à tous. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ! »

De même dans notre vie, il est important de parler à Dieu et de l’écouter dans notre vie de prière, afin de prendre son accent, afin que les paroles qui sortent de notre bouche ne soient que des paroles qui bénissent et non des paroles qui maudissent. Que le Seigneur nous forme lorsque notre langue fourche, afin de toujours avoir des paroles qui élèvent ceux qui nous entourent. Alors nous parlerons comme de vrais enfants de Dieu, avec son accent divin.

Garder les yeux fixés sur Jésus – apprendre à marcher

Dans l’apprentissage hésitant de la marche, un bébé qui se dresse sur ses deux pieds n’a qu’un seul repère, qu’une seule chose qu’il fixe : les bras ouverts de sa maman ou de son papa à 10, 20 ou 60 cm, qui l’encourage à avancer et qui le rattrape si bébé perd l’équilibre. Et la confiance absolue d’un nourrisson envers ses parents lui permet de risquer l’impossible.

De même, dans l’Évangile, Pierre a obéi à Jésus qui l’a « obligé » à monter sur la barque, cette barque ballotée par la tempête du lac de Gennésareth. Et lorsqu’il reconnait Jésus, il reçoit son invitation à ne pas regarder sa peur et à lui faire confiance. Il demande même à Jésus de le rejoindre en marchant sur les eaux. Impossible pour l’homme. Sur ce simple mot « Viens », il se met à marcher. La seule chose qu’il regarde, c’est Jésus. Mais dès que son regard se focalise sur la peur des vagues, il se met à sombrer. Seule la force du Christ qui récupère de son bras puissant l’attention de Pierre lui permet de refaire surface.

Que nous aussi, lorsque nous traversons des tempêtes, nous gardions les yeux fixés sur Jésus et non pas sur nos peurs ou sur les difficultés. Ainsi, nous pourrons apprendre avec Jésus à faire des pas inespérés dans la foi, dans la charité ou dans l’espérance.

Ainsi nous deviendrons des chrétiens adultes, de vrais enfants de Dieu sortis de leur caverne, sachant parler avec l’accent de Dieu et marcher vers le Royaume. Amen

19e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : 1 Rois 19, 9-13; Psaume 84; Romains 9, 1-5; Matthieu 14, 22-33

Homélie du pape François – Messe de Clôture des JMJ, Lisbonne, 6 août 2023 (Mt 17, 1-9)

Les paroles de l’Apôtre Pierre sur la montagne de la Transfiguration sont celles que nous voulons faire nôtres après ces journées intenses : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! » (Mt 17, 4). C’est beau tout ce que nous avons vécu avec Jésus, ce que nous avons vécu ensemble et comment nous avons prié. Mais après ces journées de grâce, nous nous demandons : qu’est-ce que nous emportons avec nous en retournant dans la vallée de la vie quotidienne ?

À partir de l’Évangile que nous avons entendu, je voudrais répondre à cette question par trois verbes : briller, écouter, ne pas craindre.

Briller. Jésus est transfiguré et – dit le texte – « son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 2). Il venait d’annoncer sa passion et sa mort sur la croix, brisant ainsi l’image d’un Messie puissant et mondain, et décevant les attentes des disciples. Maintenant, précisément pour les aider à accepter le projet d’amour de Dieu, qui vise à la gloire par le chemin de la croix, Jésus prend trois d’entre eux, Pierre, Jacques et Jean, les conduit sur la montagne et est transfiguré : son visage devient resplendissant et ses vêtements blancs. Ce “bain de lumière” les prépare à la nuit qu’ils devront traverser ; cette brèche lumineuse les aidera à supporter la peine des heures les plus sombres, celles de Gethsémani et du Calvaire.

Mes amis, nous avons nous aussi besoin de quelques éclairs de lumière pour affronter l’obscurité de la nuit, les défis de la vie, les peurs qui nous inquiètent, les ténèbres que nous voyons souvent autour de nous. L’Évangile nous révèle que cette lumière a un nom. Oui, cette lumière venue éclairer le monde, c’est Jésus (cf. Jn 1, 9). Il est la lumière qui ne se couche jamais et qui brille même dans la nuit. Me viennent à l’esprit les paroles du prêtre Esdras que l’on trouve dans les Saintes Écritures, et que nous pouvons nous aussi répéter après ces jours vécus ensemble : « Notre Dieu a fait briller nos yeux » (Esd 9, 8). Éclairés par le Christ, nous sommes nous aussi “transfigurés” : nos yeux et nos visages peuvent briller d’une lumière nouvelle. Frères et sœurs, c’est ce que l’Église et le monde attendent de vous : que vous soyez des jeunes rayonnants, qui portent partout la lumière de l’Évangile et allument des lueurs d’espérance dans les ténèbres de notre temps !

Je voudrais vous dire une chose : nous ne devenons pas lumineux lorsque nous sommes sous les projecteurs, lorsque nous affichons une image parfaite et que nous nous sentons forts et victorieux. Non. Nous brillons quand, en accueillant Jésus, nous apprenons à aimer comme Lui, car telle est la vraie beauté qui resplendit : une vie qui risque par amour. Un philosophe a écrit que la beauté du message révolutionnaire du Christ consiste à « trouver aimable même l’objet non aimable » (S. KIERKEGAARD, Gli atti dell’amore, Milan 1983, p. 579), c’est-à-dire aimer le prochain tel qu’il est : non seulement quand il est en accord avec nous, mais aussi quand il ne nous est pas sympathique et qu’il a des aspects qui ne nous plaisent pas. Avec la lumière de Jésus, c’est possible ! Vous, les jeunes, vous pouvez aimer de cette manière et abattre certains murs, certains préjugés, en apportant au monde la lumière de l’amour qui sauve. Puissiez-vous toujours briller de cet amour, briller avec Jésus, « lumière du monde » (Jn 8, 12) !

Le deuxième verbe est écouter. Sur la montagne, une nuée lumineuse recouvre les disciples et la voix du Père indique que Jésus est le Fils bien-aimé. Le commandement que donne le Père est simple et direct : « Écoutez-le » (Mt 17, 5). Tout est là : tout ce qu’il y a à faire dans la vie chrétienne réside dans ce mot, le dernier que le Père prononce dans l’Évangile de Matthieu : écoutez-le. Écouter Jésus, dialoguer avec lui, lire sa Parole et la mettre en pratique, le suivre : parce qu’il a pour nous des paroles de vie éternelle ; parce qu’il révèle que Dieu est Père et amour ; parce que, par son Esprit, nous devenons nous aussi des enfants bien-aimés. Voilà ce dont nous avons besoin dans la vie : non pas la gloire, le succès, l’argent, mais savoir que nous ne sommes pas seuls, que nous avons toujours quelqu’un à nos côtés, commencer et terminer la journée avec la certitude de l’étreinte du Seigneur ; l’écouter, croire que nous sommes aimés et accompagnés d’un amour qui ne fait jamais défaut. Et rappelons-nous ceci : nous mettre à l’écoute du Seigneur en restant ouverts à ses surprises fait de nous des personnes capables aussi de s’écouter les unes les autres, d’écouter la réalité qui nous entoure, les autres cultures, la voix souffrante des pauvres et des plus fragiles, le cri de la Terre blessée et maltraitée. Qu’il est beau d’écouter Jésus, de nous écouter les uns les autres et de grandir dans le dialogue, dans un monde où tant de personnes voyagent enfermées dans leur solitude, ne pensant qu’à elles-mêmes.

Briller, écouter et, enfin, ne pas craindre. Ce sont les dernières paroles que Jésus prononce sur la montagne pour encourager les disciples effrayés : « Relevez-vous et soyez sans crainte » (Mt 17, 7). Maintenant qu’ils ont eu une anticipation de la gloire pascale, qu’ils ont été plongés dans la lumière divine et qu’ils ont écouté la voix du Père, les disciples peuvent descendre de la montagne et affronter les défis qui les attendent dans la vallée. Il en est de même pour nous aussi: si nous gardons la lumière de Jésus et ses paroles, nous pouvons marcher chaque jour dans la vie, le cœur libéré de la peur.

À vous, jeunes, qui cultivez de grands rêves mais souvent obscurcis par la crainte de ne pas les voir réalisés; à vous, jeunes, qui pensez parfois ne pas y arriver; à vous, jeunes, qui, en ces temps, êtes tentés de vous décourager, de vous juger inadaptés ou de cacher la douleur en la masquant d’un sourire ; à vous, jeunes, qui voulez changer le monde et qui luttez pour la justice et la paix ; à vous, jeunes, qui y mettez votre engagement et votre imagination, bien que cela vous semble ne pas suffire; à vous, jeunes, dont l’Église et le monde ont besoin comme la terre a besoin de pluie ; à vous, jeunes, qui êtes le présent et l’avenir ; oui, précisément à vous, jeunes, Jésus dit : “Soyez sans crainte !”.

Les paroles que saint Jean-Paul II a prononcées lors d’une des JMJ résonnent plus que jamais : « En réalité, c’est Jésus que vous cherchez quand vous rêvez de bonheur ; c’est Lui qui vous attend quand rien de ce que vous trouvez ne vous satisfait ; c’est Lui, la beauté qui vous attire tellement; c’est Lui qui vous provoque par la soif de radicalité qui vous empêche de vous habituer aux compromis ; c’est Lui qui vous pousse à faire tomber les masques qui faussent la vie ; c’est Lui qui lit dans vos cœurs les décisions les plus profondes que d’autres voudraient étouffer. C’est Jésus qui suscite en vous le désir de faire de votre vie quelque chose de grand. […] N’ayez pas peur de vous en remettre à Lui » (Veillée de prière, Rome, 19 août 2000).

Chers jeunes, je voudrais regarder chacun de vous dans les yeux et lui dire : sois sans crainte ! Mais je vous dis une chose beaucoup plus belle : Jésus lui-même vous regarde maintenant, Lui qui vous connaît et qui lit en vous : Il regarde dans vos cœurs, vous sourit et vous répète qu’Il vous aime toujours et infiniment. Toujours et infiniment. Allez donc, et portez à tous le sourire radieux de Dieu ! Allez et témoignez de la joie de la foi, de l’espérance qui réchauffe votre cœur, de l’amour que vous mettez en toute chose. Brillez de la lumière du Christ. Écoutez-le pour devenir vous aussi la lumière du monde. Et soyez sans crainte, car le Seigneur vous aime et marche à vos côtés. Avec lui, la vie renaît, toujours.