Homélie du 12 septembre 2021 (Mc 8, 27-35)

Bernard Héritier, diacre – Basilique de Saint-Maurice

Clin d’œil à sainte Hildegarde de Bingen

Tu es le Christ !

Chers amis d’ici et d’ailleurs, cette affirmation centrale de l’évangile est celle-là même qui est au centre de la vie et de l’œuvre de sainte Hildegarde, fêtée le 17 septembre. Benoît XVI, qui a sanctifié Hildegarde et l’a nommée Docteur de l’Église, écrivait :

Le Seigneur a doté sainte Hildegarde d’un esprit prophétique… elle a nourri un amour profond pour la création ; elle a pratiqué la médecine, la poésie et la musique. Et surtout, elle a toujours conservé un amour grand et fidèle pour le Christ et son Église.

Dans ses visions, Hildegarde a vu Dieu comme un feu d’amour ardent. Elle a entendu la Voix de Dieu comme celle de la Sagesse et de l’Harmonie. Elle a vu Dieu créer l’Univers par la force vitale, la « viridité » de son Esprit.

Et ces visions constituent la matière de son œuvre théologique, trois ouvrages pleins de cette symbolique du 12e s., si étrange pour nous.

« J’ai vu une très grande clarté dans laquelle se fit entendre une voix venant du ciel et disant : Dis ce que tu vois et entends ! ».

C’est pour cela que lui conviennent également les paroles du prophète Isaïe, de la 1e lecture : Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas dérobé.

Une foi prophétique

La foi de la sainte a donc un caractère éminemment prophétique.

Et ses visions sont aussi la matière de ses compositions musicales, car elle dit retranscrire le concert qu’elle a entendu au ciel. Et cette musique est celle des anges, celle que nous autres, fondés en faiblesse depuis la faute des origines, espérons pouvoir chanter un jour dans les contrées célestes.

Une espérance mystique

L’espérance de la sainte a donc une visée hautement mystique.

Quant à son œuvre naturopathe, elle correspond à la 2e lecture du jour.

Si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il ?

Oui, c’est bien parce que Hildegarde porte en elle un grand amour pour les faibles et les blessés de la vie, qu’elle cherche les moyens de guérison dans les plantes et dans les pierres, afin de restaurer l’équilibre et la beauté du Jardin perdu des origines.

Une charité en acte

Et en cela, la charité de la sainte est véritablement une charité en acte.

À côté des visions, il faut encore, pour saisir la complexité de cette grande figure, une autre clé de lecture.

Hildegarde entre au couvent à l’âge de 8 ans. Là, elle est confiée à une recluse, Jutta. Elle a donc partagé la vie d’ermite d’une femme dont l’ascèse était très grande, parfois même excessive.

Or, Jutta devait avoir 14 ou 16 ans, à peine plus de 8 ans que Hildegarde.

Imaginez cela aujourd’hui : une enfant de 8 ans, une adolescente de 15 ans, ermites, qui passent la longueur de leurs journées à « vaquer à Dieu » !

Les deux jeunes femmes recevaient leur nourriture par une petite fenêtre à travers laquelle elles pouvaient également suivre les offices monastiques. Et je crois que Jutta, qui était entrée elle-même au monastère à 12 ans, après une guérison miraculeuse, était profondément amoureuse de ce Dieu qui l’avait guérie.

Et elle a entraîné Hildegarde dans son sillage.

J’en veux pour preuve cette lettre reçue par Hildegarde quelques années plus tard :

Nous avons aussi entendu parler d’une habitude qui vous est propre : les jours de fête vos vierges chantent les psaumes, debout dans l’église, les cheveux défaits, portant en plus de leurs robes de longs voiles de soie blanche qui descendent jusqu’à terre. Des couronnes en filigrane d’or, décorées de croix à l’avant et à l’arrière, sont posées sur leur chevelure ; la croix qu’elles portent sur le front est joliment gravée d’un agneau ; et de plus, leurs doigts sont ornés d’anneaux d’or…

Oui, Jutta, Hildegarde, et toutes les moniales qui les ont suivies, sont des amoureuses de Dieu.

L’expérience mystique de l’amour brûlant de Dieu

Hildegarde, a donc fait l’expérience mystique de l’amour brûlant de Dieu. Et elle a obéit à cette Voix qui lui demande de proclamer cet amour de feu autour d’elle.

Et c’est précisément ce qu’elle écrit dans les textes de sa musique, dont le lyrisme poétique, sans cesse traversé de réminiscences des Psaumes et du Cantiques des Cantiques, professe que Dieu aime sa création, que Dieu aime l’être humain qu’il a créé comme son image, et qu’il va tout faire pour que cet être humain réponde à cet amour.

Et ce lyrisme est né dans l’adoration du cœur à cœur :

Ô Dieu éternel, tu brûles de cet amour ardent qui veut que nous soyons tiens, nous que tu as créés de ce même amour par lequel tu as engendré ton Fils à la première aurore…

Par ta Parole toutes choses ont été créées, comme tu l’as voulu,

Et ta Parole elle-même s’est faite chair, en cette forme qui avait été conçue pour Adam,

dont les vêtements ont ainsi été lavés de la peine infinie.

Ô Marie, éclosion  de vie ! Tu es belle comme l’aurore à son lever ! Étoile de la mer, Marie !

Ô combien précieux est le sang du Sauveur qui s’est fiancé lui-même à son Église. Que se réjouissent maintenant les entrailles maternelles de cette Église, car ses enfants sont rassemblés en son sein comme en un concert céleste.

Sainte Hildegarde, nous t’en supplions, intercède pour nous auprès de Dieu, afin que tes chanteurs vivent en ta contrée.

Amen !

24e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Isaïe 50, 5-9a; Psaume 114 1-2, 3-4, 5-6, 8-9; Jacques 2, 14-18; Marc 8, 27-35

Homélie du 5 septembre 2021 (Jn 2, 1-11)

Chanoine Claude Ducarroz Temple de Fribourg

Avez-vous déjà eu soif ? Mais attention : vraiment soif ! Pas la bonne soif, juste avant d’arriver au restaurant d’alpage lors d’une randonnée en montagne. Pas la petite soif qui vous précipite vers le frigo pour arracher la bouteille d’eau fraîche quand vous rentrez de courses un peu fatigantes. Non. La vraie soif, celle qui vous laisse la bouche sèche, le ventre creux, avec votre personne vidée d’énergie, assise au bord du chemin, pantelante sous le soleil de midi.

Je parie que ça ne vous est jamais arrivé, à ce point, ou alors très rarement, n’est-ce pas ? Or c’est le sort de millions d’êtres humains – aussi humains que vous et moi – à travers le monde. Une statistique nous dit qu’un tiers de la population mondiale est privée d’eau potable. Autrement dit, on peut avoir très soif, mais il reste déconseillé de boire de cette eau-là, non potable.

Bien sûr, nos modestes soifs sont toutes respectables. Il nous faut boire suffisamment, répètent les gardiens de notre bien-être – et sans scrupule – pour rester en forme. Sans oublier de boire aussi à la santé des autres, dans des rencontres joyeuses et des partages fraternels, surtout à la fin de nos tristes pénitences covidiennes. L’eau d’ici est si bonne, n’est-ce pas, quand on a frisé l’au-delà

La reconnaissance pour l’eau disponible, la décision de ne pas la gaspiller…

Mais la situation actuelle de la production et de la consommation d’eau potable à travers le monde nous impose certains devoirs, dont tous les humains de bonne volonté peuvent prendre conscience. La reconnaissance pour l’eau disponible, la ferme décision de ne pas la gaspiller, la volonté de l’offrir à tous, à commencer par celles et ceux qui n’en disposent pas, ou pas suffisamment, pour mener une vie digne, personnellement, en famille, en peuple appelé à vivre debout.

À première vue, les convives de la noce à Cana, en Galilée au temps de Jésus, semblaient bien loin de tels soucis. Dans l’euphorie de leur fête, il apparut que le vin leur manquait davantage que l’eau. C’est qu’il y a encore d’autres soifs que celles qui s’étanchent avec du liquide commun.

La noce, c’est le besoin d’amour, c’est l’espoir de la vie, c’est la gaité contagieuse, c’est la rencontre humaine, sans barrières et sans frontières. La preuve ? On avait invité tout le monde. Jésus, sa mère, sa famille, ses disciples étaient parmi les convives, comme pour dire – selon l’évangile – que l’Eglise doit partager sans retenue les joies et les peines de toute l’humanité.

Y compris l’embarras de ce jeune couple : « Ils n’ont plus de vin », remarque une femme, la mère de Jésus, sans doute plus attentive que beaucoup d’autres à la gêne de ces mariés. Jésus lui-même se fait un peu prier, pas pour un refus camouflé, mais pour faire monter la bonne fièvre du partage impliquant le maximum de convives.

Marie d’abord, elle insiste, c’est la femme, c’est la mère. Les servants ensuite, plus que témoins : acteurs de la solution. Et surtout Jésus, celui qui peut changer l’eau ordinaire de nos vies tout aussi ordinaires, en vin de fête pour des soifs extraordinaires, celles qui nous habitent en profondeur, celles qui pourraient nous ronger de l’intérieur, s’il n’y avait pas quelque miracle d’amour tout proche de nous.

L’évangile appelle cela un signe. Plus encore : la manifestation de la gloire de Jésus, l’entrée dans le mystère de la foi pour ses disciples, un indice pour la future eucharistie, un avant-goût de Pâques.

Dieu, le premier en amour

Dans nos vies comme à Cana, Jésus peut faire l’essentiel, mais jamais sans notre collaboration humaine, extraordinaire et ordinaire à la fois, comme l’eau banale qu’il a changé en vin savoureux sous les énergies discrètes de l’Esprit. Et avec quelle magnanimité, quelle surabondance ! Et pour l’eau et pour le vin. Décidément, Dieu est bel et bien le dernier en calcul parce qu’il est le premier en amour !

Dans les innombrables appels à changer l’eau du quotidien en vin d’un lendemain meilleur, il y a de la place pour tout le monde. Les chrétiens savent – mais d’autres religieux aussi – que Dieu veut pour toute l’humanité une existence digne, avec l’eau du minimum vital, mais aussi avec un peu de bon vin pour la fête, le bonheur du partage fraternel, et pourquoi pas, la perspective du banquet éternel dans le royaume de Dieu.

Dans les cuisines de ce monde, nous sommes tous appelés par Dieu, avec Marie et les autres disciples, à faire quelque chose, humblement mais aussi efficacement, pour relever le menu du passage sur cette terre.

Nous tourner vers ceux qui manquent de l’eau vitale, de la liberté ou du respect

Le faire d’abord auprès de celles et ceux qui, que ce soit chez nous, ailleurs et jusqu’au bout du monde, peinent à trouver un sens à la vie, des opportunités de bonheur partagé, et même une espérance pour après la mort. En nous tournant en priorité, par exemple, vers celles et ceux qui manquent de l’eau vitale, mais aussi de la liberté ou du respect, nous pouvons, avec la grâce de Dieu, transfigurer un peu leur condition humaine en un début de repas de noce.

Comme aux servants de Cana, c’est Jésus lui-même qui nous dit maintenant, avec ce que nous sommes et ce que nous avons, si peu que ce soit : « Maintenant puisez et portez-en aux autres », pas seulement au maître du repas, mais à tous les convives humains, à commencer par les plus nécessiteux de toutes sortes.

Il suffit que ce soit donné avec amour, et ce signe de solidarité brillera aux yeux des hommes. Et beaucoup croiront, non pas en nous, mais en Lui, le Père de toute humanité, manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur.

Homélie du 5 septembre 2021 (Mc 7, 31-37)

Pasteure Débora Kapp – Église Saint-Ursule, Fribourg

Chères sœurs et frères, ici ou là,
assemblés au puits d’une même source de Parole.

A vous qui nous écoutez d’ailleurs, je ne sais pas si vous connaissez Fribourg,
cette ville longtemps à l’écart des axes autoroutiers
et longtemps à la marge du développement économique.
Nous nous trouvons au haut de la rue de Lausanne,
où, anciennement, se dressait une porte de la ville :
ouverture et passage dans un rempart.
La porte a disparu, le rempart est devenu un couvent : le couvent des Ursulines.

Au temps de la Contre-Réforme, en ce tout début du 17ème siècle,
les ursulines ont eu pour vocation
d’émanciper les jeunes filles en les scolarisant
et de libérer les femmes au cœur de ce monde d’alors
et au sein de l’Eglise d’alors
qui maintenaient femmes et jeunes filles loin de tout.
Inaudibles femmes sans paroles.

Au coin de cette ancienne école des ursulines,
se déploie, depuis 30 ans cette année,
un Centre d’exploration spirituelle au cœur de la cité.
Dès ses débuts, et de manière répétée et formelle,
le Centre Sainte Ursule a fait une place belle aux réformés.

Hors des murs

A nos début, ursulines et réformés,
nous étions, les unes comme les autres,
hors des murs, ou à la frange de la ville.
Nous, réformés, plantés carrément dans les fossés, un comble peut-être.
Et vous, à la charnière entre un dedans et un dehors urbain
dans un espace qui se reconfigurait.
Cette histoire similaire de mise à l’écart
crée peut-être des liens pour nous entendre.
Nous avons appris à partager le défi
de renouveler nos pratiques et réflexions en Eglise.
Parfois les marges vont au centre, et les fossés comblés deviennent esplanade…

Jésus sort des sentiers battus

Dans notre récit, Jésus a franchi les frontières…
et s’attarde un peu trop aux yeux des puristes,
dans un espace hors de la foi des pères, hors du territoire saint.
Il lui a longuement été reproché
de dépasser les bornes au niveau des rituels et des propos.
Les disciples eux-mêmes ne comprennent rien à sa manière d’être.
Ainsi Jésus a-t-il sa parole verrouillée en sa terre, et parmi ses proches.
Et pourtant, c’est l’abondance qui est vécue :
par deux fois, Jésus multiplie les pains,
avant notre récit sur sa terre d’origine et juste après, dans la terre des non juifs.
Surabondance. Même cela ne suffit pas à le faire entendre.
Alors il prend le large. Il sort des sentiers battus. Il se met à l’écart.

Et voici que lui est porté, comme on porte une charge,
un homme doublement frappé, enfermé à double tour en lui-même.
Un homme sans nom qui n’entend que les sons se produisant au-dedans de lui.
Un homme dont la langue est, littéralement, entravée par un frein.
Sans doute que ce mal le stigmatise aux yeux des autres.
Et c’est une captivité de plus.

Jésus le prend à l’écart.
Pour que s’ouvre un nouveau possible,
il est nécessaire de mettre le monde à distance.
Pour que se creuse un espace d’entre deux.
Pour qu’un intime permette de s’entre-tenir,
de tenir l’un près de l’autre, de tenir l’un à l’autre.

Que soit ouvert un espace nouveau

Alors que les enfermements se démultiplient,
Jésus soupire, un souffle douloureux émane du dedans de lui.
Il lance une parole qui naît de sa langue maternelle.
Une parole qui ressemble à un bégaiement, avec son redoublement de sons : effata.
Que soit ouvert un espace nouveau !
Et cette invocation s’accompagne d’un regard qui ouvre sur un ailleurs,
convoquant un tiers dans le huis-clos. Et notre texte l’appelle le ciel.
Une frontière de plus s’efface – Effata.

Où en sommes-nous de nos surdités ?
Où en sommes-nous de nos paroles closes, impossibles à dire ?
Où en sommes-nous de nos entraves à voir, et de nos incapacités à comprendre ?
Toujours et encore des enfermements nous verrouillent au souffle nouveau.
Toujours et à nouveau,
des nombrilismes nous rendent imperméables au vent du dehors.
Et nous retombons trop souvent
dans la superbe de nous croire au fait de la Parole, au cœur du flot de l’Évangile.
Une telle prétention bloque nos louanges, les dévitalisent.

Or, elle est belle la louange qui sort des rives des lèvres,
reprenant en écho la joie de la création jamais terminée.
Écho encore aux prophètes qui, comme des guetteurs,
veillent à la bonté, la justice et la guérison.

Effata, que soient ouverts, et maintenus, les espaces de rencontres et d’exploration
où s’entretiennent les cœur à cœur,
les conversations d’esprit à esprit, les soins du corps et de l’âme.
Persévérant dans notre corps à corps avec le texte.
Y puisant encore et encore l’eau, et le vin, et le sel, et le miel.
Convoquant une instance suprême dans nos intimes.
Dans une abondance de pain démultipliée.

Et que la communion, toujours encore entravée, s’ouvre à un possible.
Amen!

23e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Isaïe 35, 4-7a; Psaume 145, 6c-7, 8-9a, 9bc-10; Jacques 2, 1-5; Marc 7, 31-37