Homélie du 10 janvier 2021 (Mc 1, 7-11)


Père Henri-Marie Couette, OCist – Abbaye d’Hauterive, Posieux, FR

En conclusion du temps liturgique de la Nativité, nous célébrons aujourd’hui la fête du Baptême de Jésus. Dans la suite de Noël et de l’Épiphanie, elle continue à nous éclairer sur le mystère de ce petit Enfant adoré à la crèche et devenu désormais adulte.
Ce sont d’abord les anges qui l’annoncèrent dans la nuit de Bethléem : ’’Un Sauveur vous est né’’, puis l’étoile apparue dans le ciel d’orient indiqua aux mages le chemin jusqu’à lui. Aujourd’hui, en cet épisode qui marque l’inauguration de la vie publique de Jésus après trente ans de vie cachée à Nazareth, c’est Dieu le Père lui-même qui fait gravement entendre sa voix : ’’Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie.’’ Ainsi, aux oreilles de Jean-Baptiste et des autres témoins, le caractère divin de cet homme est solennellement attesté !

Un « Dieu proche »

Puisque le baptême de Jean était un baptême de pénitence, et donc destiné à ceux qui sentaient peser le péché sur leur conscience, nous sommes en droit de nous demander pourquoi Jésus, le Fils de Dieu en personne bien sûr exempt de toute trace de péché, a désiré s’y soumettre. C’est ici une nouvelle illustration de la manière dont il a voulu assumer réellement et totalement notre condition humaine ; il ne s’est pas fait l’un des nôtres sans s’immerger complètement en notre existence concrète : en devenant d’abord enfant, avec toute la finitude que cela comporte, et sans s’épargner aucunement les risques de cette vie (pensons à sa naissance à l’improviste dans une étable, à son exil forcé en Égypte alors que sa vie est déjà menacée par un potentat local, aux étapes de sa croissance humaine, à l’apprentissage de son métier de charpentier dans un village obscur de Galilée, etc.). Rien ici qui ressemble à une dérobade devant les exigences triviales d’une existence humaine authentique. Il ne s’est accordé aucun privilège d’aucune sorte lié à sa condition divine, lui dont on nous dit lors de sa présentation au Temple, qu’il se soumit à la Loi d’Israël et à l’autorité de ses parents. En toute vérité, il s’est fait ’’Emmanuel’’, Dieu-avec-nous ! Tous les événements que nous avons médités ces derniers jours, et celui d’aujourd’hui n’y échappe pas, démontrent à quel point Il est un ’’Dieu proche’’ (Deut 4, 7). Quelle immense consolation pour nous de le constater et d’en faire l’expérience, alors que nous traversons des temps si déroutants pour tous ! À la vérité, nous ne sommes pas seuls, car il veille sur nous à la manière dont le Père le déclare si proche de lui comme Fils bien-aimé !

Jésus baptisera dans son propre sang

Cette vérité éclate également à nos yeux à travers les paroles du Baptiste : ’’lui vous baptisera dans l’Esprit Saint.’’ Saisit-il déjà ici l’entière portée de cette déclaration ? Car, en effet, le don de l’Esprit Saint, selon la chronologie de l’œuvre divine par laquelle nous sommes sauvés, doit d’abord être précédé par la propre mort de Jésus et sa résurrection. Ainsi Jean dévoile-t-il de façon prophétique toute la trajectoire du Christ en ce monde, le sens profond de sa venue : opérer le salut de tous les hommes, qui n’est pleinement achevé qu’avec la Pentecôte. Or, cela passe par la mort, expérience éminemment humaine s’il en est, et que Jésus va endosser dans sa Passion en tant qu’Agneau innocent. La lettre de saint Jean, entendue tout à l’heure, nous en donne un écho poignant : ’’C’est lui, Jésus-Christ, qui est venu par l’eau et par le sang […] Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit.’’ Le Baptiste, quant à lui, avait déclaré qu’il ne baptisait ’’qu’avec de l’eau’’, mais Jésus accomplira bien plus grand, car c’est dans son propre sang qu’il baptisera, ce sang versé lors de sa Passion au sujet de laquelle il affirmera bientôt : ’’Je dois recevoir un baptême, et comme il m’en coûte d’attendre qu’il soit accompli’’ ! (Luc 12, 50) Ainsi ouvrira-t-il sans mesure à toute l’humanité les portes du don de l’Esprit !

La source de la joie du Père

La parole du Père proférée au-dessus des eaux s’achève ainsi : ’’en toi [mon Fils bien-aimé], je trouve ma joie’’. Déjà les anges avaient annoncé ’’une grande joie’’ dans la nuit de Bethléem, et les mages avaient tressailli ’’d’une très grande joie’’ à la vue de l’étoile. Ce qui fait le cœur de cette joie nous est ici rendu transparent : c’est le Fils éternel lui-même qui cause la joie du Père… Mais il faut dire davantage : c’est tout fils ou toute fille se reconnaissant enfant de ce Père qui devient pour lui source de joie. C’est à cette hauteur divine que nous devons placer la juste compréhension de notre vocation humaine et de baptisés ! Voilà de quoi alimenter notre joie !

Fête du Baptême du Seigneur
Lectures bibliques : Isaïe 55, 1-11; Cantique, Is 12, 2, 4bcd, 5-6; 1 Jean 5, 1-9; Marc 1, 7-11

Homélie du 3 janvier 2021 (Mt 2, 1-12)

Abbé Laurent Ndambi – Café du Col de Torrent, Villaz (VS)

« Rencontrer le Christ, procure de la joie »

La crise de la pandémie de coronavirus, nos eucharisties et fêtes de fin d’année qui n’ont pas été célébrées comme nous les faisons habituellement, le message du Pape François au monde le 1er janvier courant, la transmission dominicale des célébrations eucharistiques par les médias, la crèche de Noël avec ses bergers, et ses rois mages autour de Marie et Joseph, et de l’enfant Jésus, … C’est avec tout cela en tête que j’accueille avec vous une des paroles de l’évangile de ce jour : « Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils lui ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe » !

J’aime aussi réentendre le prophète Isaïe évoquant dans la première lecture la rencontre joyeuse de Jérusalem avec les nations, et l’apôtre Paul nous partageant (dans la deuxième lecture) son expérience d’avoir reçu la grâce que Dieu lui a donné : par révélation, dit-il, il m’a fait connaître le mystère. Mais qu’est-ce que cela veut dire pour nous en cette solennité de la fête de l’Epiphanie et dans le monde qui est le nôtre ? Je vous partage trois réflexions.

Faire plus ou être plus

Les mages nous invitent non pas à faire plus, mais à être plus. L’homme d’aujourd’hui est quelque fois très fatigué dans sa recherche et sa pratique de sa foi. Il se laisse happer par son désir de faire plus ; il tombe dans l’agitation, dans la crispation, dans la fébrilité, car il ne parvient plus à maîtriser une série de réalités. Cela est vrai dans la vie courante. Cela est également vrai dans l’animation des communautés.

Les cascades de changements que nous subissons dans la vie moderne et dans la vie de l’Eglise, produisent une certaine fatigue intérieure. Le monde parle continuellement de restructurations, l’Eglise parle de reconfiguration du paysage pastoral. Comme homme et comme chrétien, nous vivons une accélération de l’Histoire qui nous oblige à réinventer notre agir et notre être devant la vie. Plus que jamais, le disciple de Jésus doit se laisser guider, renouveler, transfigurer et repartir par un autre chemin comme les mages après avoir rencontré joyeusement le Christ. C’est l’heure de la recherche sans cesse de Dieu, et je dirai du ré-enfantement de notre foi en Dieu, de l’adoration, de la conversion, de l’offrande de notre être à Celui qui est venue faire cause commune avec nous. Laissons-nous porter par le pouvoir de notre rencontre joyeuse avec lui, et cette dernière s’oppose aux tendances de la haine d’Hérode et à ses actions : rivalités, jalousies, emportements, intrigues, divisions, meurtre et autres choses du même genre. Préoccupons-nous, grâce aux fruits de notre rencontre avec le Christ, de nourrir notre relation avec lui et d’en être ses témoins en travaillant nos liens avec lui, et entre nous, en lui offrant ce que nous sommes et en lui avouant aussi nos limites et nos pauvretés.

Universalité et proximité, ouverture et identité

Pensons un peu aux événements sportifs entre les nations. Ces événements ont une portée universelle et en même temps les sportifs, leurs supporters et nos journalistes aiment exprimer fortement leur identité nationale.

Depuis la nuit de Noël, la bonne nouvelle de la naissance du Christ a été annoncée aux bergers par l’ange du Seigneur comme une grande joie pour tous les peuples. A la solennité de la sainte famille, Syméon comblé de joie, a vu le Christ comme étant le salut préparé à la face des peuples, et une lumière qui se révèle aux nations. En cette fête de l’Epiphanie, Saint Paul évoque le mystère incarné par la Christ, et selon lequel toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ, par l’annonce de l’évangile.

Depuis cette naissance du Christ à Bethléem, la visite des mages guidés par une étoile nous rend attentifs aux horizons lointains de l’accueil de cette naissance aussi bien qu’aux réalités toutes proches. La Bonne Nouvelle de la naissance a été annoncée par les anges aux berges, mais les mages venus d’Orient, et plus tard Saint Paul et bien d’autres apôtres iront proclamer cette même Bonne Nouvelle aux quatre coins du monde. Si nous voulons rester fidèles à l’esprit de notre rencontre joyeuse du Christ dans l’aujourd’hui de vie baptismale, notre cœur doit absolument s’ouvrir à l’universel, à l’accueil des autres, tout en vivant intensément une recherche de proximité et travailler ce qui fait notre identité chrétienne profonde.

Relations courtes, relations stables et bienfaisantes

Les médias nous parlent chaque jour de mobilité. L’homme moderne voyage énormément pour son travail, pour ses loisirs, pour ses week-ends, pour ses engagements, pour ses relations familiales. Nous vivons tous des relations courtes qui vont dans tous les sens et qui laissent insatisfaits, du fait qu’elles sont souvent porteuses de messages contradictoires et parfois déstabilisants. Lorsque l’on a perdu un cher, on se sent démuni, on se sent déstabiliser. Mais ce n’est pas pour autant que l’être cher n’est pas présent dans notre souvenir, dans notre prière. En cette solennité de l’Epiphanie, les rois mages nous invitent à soigner quelques relations stables et bienfaisantes qui nous équilibreront humainement et spirituellement.

Être plus ; être proche et universel ; être nomade et aussi vivre des relations équilibrantes ! Accueillons cette invitation avec les rois mages en regardant la Vierge Marie. Elle a vécu cela avant nous. Habitée par l’Esprit, elle nous a partagés sa joie de la rencontre dans le Magnificat.

Frères et sœurs, en cette fête de l’Epiphanie, laissons-nous habiter par la joie de la rencontre et de la manifestation du Seigneur dans nos vies. Que cette rencontre fasse sauter les verrous de nos peurs, de nos souffrances, de nos incompréhensions et qu’elle ouvre grandement les portes de nos maisons à plus d’amour, à plus de vie, à plus de bienveillance, à plus d’écoute, à plus de respect, à plus de fraternité et de bonté universelle. Que l’Esprit de Noël nous aide dès aujourd’hui à vivre de ses fruits et que sa joie sur notre visage, soit comme notre plus belle mélodie, et notre plus vrai témoignage. Amen.

SOLENNITÉ DE L’ÉPIPHANIE
Lectures bibliques : Isaïe 60, 1-6; Psaume 71, 1-2, 7-8, 10-11, 12-13; Ephésiens 3, 2-3a.5-6; Matthieu 2, 1-12